LA VISITE
nyckie-alause
Quand Marguerite avait sonné, Béka l’avait introduite au salon
— Puis-je vous débarrasser ?
— Non, je vais les attendre. Merci.
Maintenant elle était assise, toujours apprêtée pour partir. Les mains croisées sur les genoux, elle attendait, le regard tourné vers les erreurs du passé.
« Il est trop tard », pensa-t-elle, « il est trop tard pour nous réconcilier ».
De la salle à manger, par la porte entre-ouverte, lui parvenaient des bruits de vaisselle et de conversation, comme un murmure.
« Comment en sommes nous arrivés là ? » se dit-elle encore une fois.
Un verre heurta brutalement le bord d’une assiette, un choc, comme une rupture, et Maurice s’en excusa, d’une voix un peu trop forte.
— Ce n’est rien, lui répondit Marie. En voulez vous encore ?
Il ne répondit pas, ou Marguerite n’entendit pas sa réponse. Les conversations reprirent, comme des confidences, jusqu’à ce qu’Elise demanda à sortir de table. Emile, son père, lui en donna l’autorisation et elle partit, sautillante et gaie, épargnée du souci des adultes.
Claquant la porte du couloir, en passant devant la cuisine, elle crie, joyeuse « Merci Beka, le riz au lait était exquis ! ». Et elle continue son chemin dans le couloir sombre, des pas menus de souriceau, comme un froissement devant la porte du salon qu’elle entrebâille.
— Bonjour, Grand’Mère.
Marguerite tourne la tête vers l’enfant et son visage s’anime, ses yeux, tellement tristes, se mettent à sourire. Ses mains nouées se disjoignent enfin, s’assouplissent et se tendent jusqu’à devenir caressantes. La vieille femme et l’enfant s’étreignent sans plus rien dire et restent ainsi.
A la salle à manger, depuis qu’Elise a quitté la table, le ton monte. La discrétion et la cordialité affichées jusqu’alors se mue en propos vigoureux entre Emile et Maurice.
— Tu dois venir ! dit Emile à son frère. Tu vas venir et tu vas signer. Il n’y a plus d’alternative !
— Passons à côté, Béka nous y apportera le café, propose Marie, conciliante.
Des bruits de couverts que l’on pose, des raclements sur le parquet des chaises que l’on repousse et quelques paroles aimables plus tard les deux frères entrent au salon. Marie, au travers de la porte appelle sa fille : « Viens tout de suite te préparer ! ». Et Elise quitte les bras de sa grand’mère et s’enfuit, les laissant seuls, face à face.
« Bonjour Mère », dit Emile en lui prenant les mains. Il sent combien elles sont fragiles, froides, diaphanes.
Marguerite lève les yeux vers lui. Il est grand, il ressemble à son père. Massif, puissant, franc. Il est rassurant.
— Maurice viendra avec nous chez le notaire, annonce-t-il, et il signera.
Maurice est là, debout, empoté et têtu. Il ne dit mot, il ne fait pas un geste. S’il est désolé, il n’en montre rien, buté.
Alors, Marguerite se tourne enfin, pour le regarder et, d’une voix émue, elle dit « Mon Tout Petit ».
Elise est peut-être la petite fille en chemise de nuit bleue, épaulée à l'armoire. Jolis liens entre peintures.
· Il y a presque 11 ans ·lyselotte
Très bien mené!
· Il y a presque 11 ans ·Frédéric Clément
Merci de votre commentaire et merci de m'avoir lu
· Il y a presque 11 ans ·nyckie-alause
Je me disais en lisant que le dîner n'était pas loin... c'est très tendre! plaisir de vous lire. je vous suis dans l'abonnement merci! Amicalement vôtre
· Il y a presque 11 ans ·vividecateri
L'art de laisser entendre beaucoup sans en dire trop. Emouvant. Carole
· Il y a presque 11 ans ·Carole Menahem Lilin
Les personnages dans la salle à manger viennent d'un autre tableau de Vallotton "le dîner, effet de lampe" et se sont glissés d'une toile à l'autre.
· Il y a presque 11 ans ·nyckie-alause