L'année du rat

matt-anasazi

L’ANNEE DU RAT

 

 L’avenue jonchée de gravats, de carcasses de voitures, de cadavres s’étendait devant lui comme un immense ruban noir. Une ombre glissa, fantôme au milieu des fantômes. Jason Mc Intyre – du moins jusqu’à il y a peu – avançait, les sens en alerte. Guettant l’ennemi, traquant sa nourriture.

Le soir, autour d’un feu de bois de récupération et de divers ingrédients trouvés au hasard, il avala sans envie deux boîtes de conserves et s’allongea, priant pour que les créatures de ses cauchemars ne viennent ni le hanter, ni le réveiller pour la dernière fois. Plusieurs fois, il se réveillait en sueur, réprimant un cri. Il voyait leurs yeux le guetter, leurs dents blanches se dresser vers lui. Il les entendait se déplacer sans bruit. Il restait de longues minutes à attendre que son cœur reprenne son rythme normal dans le silence de mort.

Une éternité plus tôt, le camping aurait été sa hantise : le confort le plus spartiate qu’il s’imposait était le canapé pur cuir de son living-room spacieux. Il était plus « croisière » que « sortie nature », comme remarquait malicieusement Anna. Des fragments de mémoire illuminèrent son esprit : la soirée du Nouvel An en début d’année avec elle en croisière.

Pour taquiner leurs collaborateurs, ils les avaient appelés en pleine fête.

 « International Care And Research donnera des ailes au futur. Bryan Grearson, j’écoute.

- Fais attention au soleil, Icare. Bonne année du rat !

- Les tourtereaux viennent nous narguer, nous et nos bataillons de rongeurs.

- Non, sourit Anna. Nous apportons réussite à la phase deux des tests sur nos rats.

- Mouais, ricana Bryan, pas convaincu. Pour votre gouverne, les tests des nanotechs concurrents luttent contre la plupart des cancers et ralentissent énormément les métastases.

-  Je sais, répliqua Jason, mais moi, je veux voir disparaître la moindre anomalie génétique, la moindre source potentielle de cancer des cellules des cobayes. Alors, si tu veux le champagne que je garde au frais, torture tes rats et dis-moi qu’ils n’ont rien. Vu ?

- Vu, Frankenstein. »

Le souvenir du baiser qui suivit cette conversation s’évanouit dans la nuit hostile.

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