Le carnet à spirales

eleanor-gabriel

Dans le cadre du concours Shakespeare et la jalousie


Mais où donc peut-il bien se cacher, ce maudit carnet à spirales ?! Voilà deux heures que Juliette fouillait de fond en comble la maison. Elle avait cherché un peu partout, sous le matelas de la chambre, dans le vase à parapluie, l'armoire à pharmacie, et même dans le cellier entre les pommes et les coings ! Le carnet restait introuvable. Allons Juliette, creuse toi encore la cervelle nom d'un chien ! Il est forcément là, quelque part dans la maison ! Il n'était pas dans les poches de Greg hier soir, elle les avait fouillées pendant qu'il prenait sa douche. Ce carnet là était apparu un beau jour tandis que Greg, en le sortant de sa poche, avait déclaré qu'un client le lui avait offert. Brave client qui ne trouvait rien de mieux pour prouver sa reconnaissance que d'offrir un vulgaire carnet à spirales ! En outre, vu sa couverture en camaïeu de fleurs roses, il était évident que le client n'était autre qu'une cliente ! Juliette voyait Greg griffonner dans ce carnet des choses qui, affirmait-il, n'avaient d'importance que pour lui. Il lui avait interdit de le lire, c'était manifestement un signe, et il y en avait d'autres. Juliette l'avait un jour aperçu en train de mettre un terme à une conversation téléphonique au moment même où elle s'était approchée de lui. Il avait prononcé ces deux petits mots éloquents avant de raccrocher : «Moi aussi…». Le sang de Juliette s'était figé sur place. A la question C'était qui ? il avait répondu par Tu ne connais pas, juste un client. Il était quand même vingt deux heures, et elle le lui avait fait remarquer. Elle en avait déduit secrètement que Greg avait une maîtresse, et que, par lâcheté, il n'osait pas le lui avouer. Juliette épiait le moindre signe. Il avait l'air plus cachotier qu'à l'ordinaire, et il faisait aussi plus attention à son aspect général. C'était un signe qui ne trompait pas. Depuis que cette idée avait envahi son esprit, Juliette s'enfonçait dans le gouffre aveugle de la jalousie, s'imaginant des scènes torrides avec l'autre femme qui la rongeaient de l'intérieur comme si elle avait bu une bouteille d'acide. Alors, elle s'était un jour décidée à commettre cet acte indigne qui consiste à fouiller dans les affaires de son mari, et à violer le contenu du maudit carnet à spirale. Elle espérait y déceler un parfum de femme, un numéro de téléphone, un petit mot griffonné à la main, ou tout autre preuve qui lui permettrait de faire décemment une scène dont il se souviendrait, même si elle devait signer leur arrêt de mort. Mais le carnet restait introuvable, et Greg allait bientôt rentrer. Juliette, le cœur battant à l'idée insupportable de passer un jour de plus avec cette épine dans le cœur, fut prise de panique quand elle entendit la clef tourner dans la porte. Il allait entrer, l'embrasser, et, comme un policier qui n'a pas assez de preuves pour arrêter son coupable, elle resterait là le cœur empli de certitudes cruelles sans aucune preuve de trahison.
En entrant, Greg s'approcha d'elle et lui déclara solennellement : «J'ai quelque chose à te dire». Le sang de Juliette ne fit qu'un tour, tandis que le sol commença à se dérober sous ses pieds. Greg allait tout avouer, lui dire qu'il en aimait une autre, et tout serait fini à jamais. Contre toute attente, Greg s'approcha d'elle et lui tendit ... le carnet à spirales ! Comme un condamné à mort avec la tête sur le billot, il lui offrait sa vérité.
Juliette ouvrit le carnet et lut ce qui était écrit sur la première page : A toi, Juliette, ma femme bien-aimée, ces quelques vers que j'ai écrits pour toi et en pensant à toi jour après jour, dans ce carnet à fleurs que j'ai choisi tout spécialement pour toi…

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