Le Désamour

Juliette Delprat

Il était là, étendu à ses côtés, son corps long et fin, androgyne de tout son être. Son front était lisse, ses yeux clos semblaient sourire et ses lèvres fines mais pleines et régulières accompagnaient son enchantement. Elle le regardait, s’interdisant même de cligner des yeux pour qu’aucune de ses mimiques ne lui échappe. Elle contemplait cette féérique vision, cette douce et insensée fantasmagorie.

Il avait l’air si paisible, serein, heureux, oui heureux. Comment pouvait-il avoir l’air heureux tandis qu’elle se sentait déchirée ?

Elle sentait un trop plein d’émotions l’envahir, une sensation douloureuse et jouissive qu’elle ne saurait maitriser alors elle détourna les yeux de ce corps. Elle glissa dans les draps, sa peau nue commençait à frissonner…quelle heure pouvait il être ? Ils avaient, lui semble t’il, passer l’après midi ainsi étendus. Dehors la nuit tombait, la pluie battait et elle entendait au loin les moteurs et klaxons qui annonçaient le retour des ces hommes et femmes chez eux après une monotone journée de travail.

Elle s’assit, enroulée dans le drap blanc, froissé et chaud, témoin de leurs ébats et débats.

Il se retourna dans un gémissement de contentement, ses cheveux complètement ébouriffés. Elle souriait. A cet instant précis elle savait mieux que jamais pourquoi elle l’avait désiré puis aimé. A cet instant précis elle devinait exactement ce qui l’avait poussée une fois de plus dans leurs corps à corps. Sa peau laiteuse, douce et au délicat parfum était sa came. Quelque chose de viscéral. Passer la pulpe de ses doigts sur la ligne de sa nuque jusqu’à la naissance de l’épaule : ici la peau est si douce. Et à chaque passage elle sentait comme une vague douloureuse d’amour et de tendresse glisser sous ses doigts et réchauffer son corps, brulant jusque dans son ventre. Cet après midi là elle s’était laissée totalement submergée par ces vagues successives. Elle s’était enivrée de son odeur, avait reniflé ses cheveux, baisé tout son corps du bout des lèvres. Elle l’avait gouté, entièrement, sa bouche, ses doigts, son sexe : elle s’était autoritairement approprié chaque infime partie de sa chair. Elle l’avait possédé, elle s’était appliquée à s’imprégner de lui tout entier. Et tandis qu’elle le vampirisait, elle l’adorait et le détestait profondément. Elle voulait le tuer pour plusieurs raisons ; d’abord parce qu’ainsi elle le posséderait à tout jamais, elle avait honte, c’était macabre mais elle ne pouvait s’empêcher de jouir à l’idée qu’elle aurait pu être la dernière personne qu’il ait touché avant d’expirer. La dernière personne qui l’ait pénétrée. Comme un animal marque à jamais son territoire ; il serait mort ainsi ; en elle, sous elle. Elle l’aurait écrasé du poids de son petit corps, l’aurait mordu et griffé pour que l’on scelle à tout jamais leur union, pour que son cadavre soit marqué de ses empreintes à elle.

Elle voulait le tuer oui, aussi pour qu’il ne la désaime jamais, elle ne pourrait pas survivre, elle devait choisir entre le posséder à jamais et courir le risque que lui ne veuille plus disposer d’elle. Et ca lui était complètement insupportable. Et surtout, surtout, il devait mourir parce que l’aimer lui faisait peur. Elle ne savait pas faire, toutes ces émotions, c’était au dessus de ses forces. Impossible, son cœur s‘emballait, son corps entier tremblait et sous les mains de cet homme elle perdait le contrôle. Elle ne s’appartenait plus. L’Amour c’est pour elle aussi violent que la haine, ca déchaine en elle les mêmes passions, les mêmes folies.  

Elle le regardait, lui, le seul homme qui avait su la posséder ainsi. Elle se rhabilla silencieusement, déposa un billet sur la table de chevet. Ses chaussures en main pour ne pas le réveiller, elle se retourna une dernière fois, ferma les yeux pour voler et enfermer à tout jamais ce corps dans son cœur. Et elle quitta l’hôtel.

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