Le fond de la piscine

petisaintleu

Qu'il est loin le petit pull marine d'Adjani. Quand on y réfléchit une génération plus tard, cela peut prêter à sourire. Isabelle, dont le papa d'origine algérienne se prénommait Mohammed Chérif. Les plus cyniques pourront arguer qu'il est décédé d'apoplexie l'année où sa fille atteignait le fond avec son tricot tout déchiré aux coudes.

En 1983, j'avais 14 ans. Avant d'aller à la piscine municipale, j'écoutais, histoire de mettre dans le bain, les Cure et The drowning man, le noyé. Je n'avais guère le physique d'un nageur et, plus d'une fois, j'ai pris la tasse. Je n'avais pas le gabarit pour faire bander des muscles d'acier et les sirènes me toisaient du regard. Elles s'appelaient Nathalie, Valérie, Dalila ou Raïssa. J'étais copain avec le frère de ces dernières. Quand je lui parlais de ses sœurs, ça le faisait marrer. Il me menaçait sur le ton de la plaisanterie de me faire le sourire kabyle. Quand nous passions la journée au bord du bassin, nous partagions, sans que personne n'y voit rien à y redire, des sandwiches au camembert ou au jambon-beurre.

C'était il y a un monde, trente ans. Marine a changé de main, des défilés de Jean-Paul Gaultier à la fille de Jean-Marie. Dalila et Raïssa n'avaient qu'une hantise : que leur papa ne les ramène au bled à seize ans pour les marier de force. Elles rêvaient d'être coiffeuses ou esthéticiennes, d'un joli petit pavillon dans un faubourg de Moulins-sur-Allier et de vacances sur la Riviera. Jamais de ma vie d'adolescent je n'avais entendu parler d'halal ou de burqa. Quand je me rendais chez Noureddine, je ne me souviens pas une seule fois m'être étonné du voile que portait sa mère. Au mieux, j'y voyais une bouffée d'exotisme, au même titre que la coiffe noire et la jupe rouge alsacienne ou que le costume bigouden que je croisais en vacances lors de fêtes folkloriques. Au pire aurais-je pris cela pour un archaïsme, comme la blouse de chez Daxon que portait ma maman et qui me faisait honte.

Il est possible que la nostalgie fantasme mon passé. Je n'ai en tête que les meilleurs moments où je n'ai pas le souvenir de haine raciale. Avec mes yeux d'adolescent, l'autre côté de la Méditerranée évoquait les voyages en Orient de Gérard de Nerval ou les Paradis artificiels. Pourtant, en 1984, le borgne obtenait dix sièges aux élections européennes, précurseur d'une novlangue au goût de rassis.

Que s'est-il donc passé ? Comment les enfants de Noureddine, de Dalila ou de Raïssa ont-ils pu laisser de côté cette espérance proposée par notre laïcité ? Je ne suis pas sociologue ou historien des mœurs. J'ai pleinement conscience qu'entamer un débat sur le sujet ne peut être que clivant, que je serai, au bon vouloir des lecteurs et de leur sensibilité, catalogué d'extrémiste ou d'angélique. Je ne suis qu'un candide enfant de la république. Je crois – non, ne nous mentons pas, j'ai cru – aux valeurs de notre nation inscrites sur le frontispice des mairies.

Alors, oui, je dois vous l'avouer. Je suis énervé quand, au coin d'une rue, je croise une femme déguisée de la tête aux pieds. J'habite Saint-Denis, majoritairement par choix, accessoirement parce que je n'aurai jamais les moyens d'acquérir un bel appartement dans le VIIe arrondissement. La cité qui abrite en sa basilique la nécropole royale est une Babylone francilienne qui accueille toutes les nationalités, hormis sans doute la monégasque. J'ai envie de lui balancer à la figure que ce n'est pas cela la tolérance et que je ne suis pas dupe de ses fausses croyances qui n'ont rien à voir avec les principes de sa religion inculqués par des mécréants qui ont opté pour l'intégrisme comme ils auraient pu, quand ils ne le font pas, choisir le trafic de stupéfiants. J'ai comme une envie de me promener avec Les 11 000 verges et de clamer haut et fort que c'est cela la liberté. Je vous fais le pari qu'en moins de deux minutes, la maréchaussée me tomberait dessus, trop heureuse de ne pas avoir à détourner le regard pour ne pas verbaliser une citoyenne qui enfreint pourtant nos lois.

J'espère que demain je pourrais aller au centre nautique. Je ne compte pas y faire du naturisme, simplement me rafraîchir en maillot de bain. Et je voudrais rassurer Dalila et Raïssa. Il ne sera pas nécessaire que vous veniez affublées de votre burkini. Ce n'est pas hygiénique et en principe interdit. De plus, j'ai passé l'âge de vous reluquer et vous avez perdu depuis des lustres le charme discret de l'Algérie.

  • Oui ! j'avais 20 ans et sur les plages entre Narbonne et Montpellier je n'étais pas la seule à bronzer en monokini. Même le mot n'existe plus, sur le net ça renvoie à un prude maillot 1 pièce. Sans prôner le retour de sexe, drogue et rock (c'est un cliché car le mur de Berlin allait tomber et il n'y avait pas le sida et...), je regrette que les mentalités changent et sont de moins en moins tolérantes.
    Il ne faut surtout pas faire de vagues aujourd'hui, je baisse les yeux tous les jours devant ces gens qui nous narguent avec leurs signes religieux qui représentent pour nous l'opposé de liberté, égalité et fraternité.

    · Il y a environ 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

  • Les années 80..c'est le miracle du monde!!! ;0)

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    flodeau

  • oui !!!

    · Il y a plus de 8 ans ·
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    Patrick Gonzalez

  • pleinement en accord

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Tyt

    reverrance

  • Bien vu et bien dit

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Cavalier

    menestrel75

  • Un super texte, qui prône la tolérance qui régnait en effet durant notre enfance et notre adolescence. Moi aussi, j'avais des amis de toutes nationalités et tout le monde s'en fichait ! Les religions, c'était privé et on s'en fichait que l' ami(e) soit de telle ou telle confession !
    Bravo ! J'adore : 5/5 et cdc

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

  • Ressentis partagés ... On se demande vraiment comment on a pu en arriver à ce stade ...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    W

    marielesmots

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