L'emmerdeuse

Je suis une emmerdeuse,

Je déteste le travail bâclé, les clous qui dépassent, le carrelage posé sans niveau à bulle, les joints à trous, le ponçage du bois circulaire, les fils qui dépassent, les portes qui ferment de travers, le moche, le laid et le mal fait, le fait sans goût ni grâce ni envie.

Je déteste qu'on me mente et qu'on me la fasse à l'envers en me prenant pour une idiote aveugle et sourde, pour une ménagère de province, pour une quiche qui n'aurait jamais rien fait de ses dix doigts.

Je n'ai jamais aimé le "ça ira bien pour la petite dame que c'est", "elle s'en rendra pas compte", parce que moi je me rends compte de tout, de la moindre rayure, des trous qui ne devraient pas y être, de la laine de verre planquée dans la cloison quand j'ai demandé du chanvre, des carreaux coupés de travers, des trucs pas d'équerre, des corniches à l'envers, de l'absence de bon sens, des petites magouilles mine de rien et du foutage de pomme.

Je suis une enquiquineuse chronique, une perfectionniste du travail très bien fait, une adepte du "le mieux est l'ennemi du bien mais le bien est l'ennemi du dégueulasse" comme disait mon cher et tendre tonton Splotch.

Et quand ce n'est pas le cas, j'ai la moutarde qui me monte au nez, je ne dors plus et me lève à l'aube pour en découdre.

Tout me revient en mémoire, mon atelier, mes employés, les Prud'hommes, les vols, les mensonges, les clients qui hurlaient, mon bébé de 15 jours qui criait pendant que je mastiquais les vitres d'une bibliothèque livrée pendant que j'accouchais, 8 vitres de plus d'un mètre de haut s'écrasant sur le parquet d'une cliente ulcérée parce que le travail selon mon chef d'atelier "allait bien aller comme ça". 10 000 francs au tribunal en "conciliation" pour avoir licencié un type malfaisant au bout d'un mois et demi de travail de cochon, lequel m'avait largement dénoncé à tous les organismes possibles, lesquels sont repartis bredouilles et pour cause, la loi je la respecte. 

Pareil dans la boite de marketing où je bossais. Je les voyais les dossiers mal ficelés, les fautes dans les recos, les frais d'expédition pas comptés dans les budgets, les couleurs de la charte graphique du client pas respectées, les typos de misère, les collègues en retard chez le client, les faux sourires et les vrais branleurs qui passaient leurs journées à l'époque sur le minitel rose pendant que le téléphone sonnait.

Parce que non ça ne va pas comme ça. Ni hier ni aujourd'hui ni demain. Le boulot à la va vite, à la vite fait mal fait, je déteste ça.

Et là je l'entends l'entrepreneur parisien qui pense que je suis une gourde bien gentille, une quinqua demeurée, que je ne vais rien voir ni savoir, que les gars qui ne parlent pas le français et qui bossent en dépit du bon sens, je ne vais pas m'en apercevoir.

Et puis je le sens bien que se faire reprendre par un femme ça le démange. Comme l'autre, le plombier parti au bout d'une demi-journée parce qu'il n'avait pas l'habitude de se faire commander par une nana en pyjama. Ma chienne avait envie de le mordre et moi avec. Il a quand même fallu refaire la dalle béton de la salle de bain après qu'il soit passé à travers.

Compte là dessus et bois de l'eau claire tant qu'il en est encore temps Monsieur le "je vais la lui faire à l'envers".

Je l'avais prévenu pourtant. Je suis très gentille jusqu'au moment où je deviens furieuse, en colère, que je vois rouge, que ça me chauffe de partout et que je me mets à hurler à grands renforts de recommandés.