Les cinq e-critures

Michel Chansiaux

Les cinq « e-critures »

C'est précisément pour des incidents comme celui-ci que je te réaffirme que ce n'est plus possible ! Rends-toi compte ! Je t'envoies un SMS et tu ne captes rien !!! Tu satures ma BAL (boîte aux lettres) avec tes implorations d'explication. Tu fais exploser mon répondeur avec tes confessions pitoyables d'impuissance à comprendre. Tu as beau être normalien, directeur de la nouvelle collection «  Comédie Romantique » chez Flammarion et amant d'une khâgneuse dégourdie, telle que je suis, t'es quand même qu'un ringard, qu'un fake, qu'un « random » ! A cinquante piges, tu ne trouves pas mieux que de lancer ce concours sur « I love words » pour que d'autres traduisent mon message. T'es comme Champollion qui cherche sa pierre de Rosette. Et bien moi, je vais te le dire pourquoi je mets les bouts. Avec l'aide de cinq mâles français qui vont te mettre les points sur les I.

En Français Présidentiel : Casse toi sale con ! Quoique tu fis pour m'épater, tu es aussi « has been » que l'ex-roi de Corrèze, aussi sexy que MAM sur un dromadaire, aussi moderne que VGE et ses volcans. Moi, ce je j'aurais voulu, c'est qu'ainsi que la plupart des Français, tu te donnes les moyens de comprendre. Mais tu lances une consultation d'initiative populaire comme Madame Royal. Je suis donc déterminée, ainsi qu'une large partie de mes amis, à ne pas céder à ceux qui veulent faire stagner la France. C'est dur, c'est nécessaire, j'avance dorénavant sans toi.

Houellebecq dans le texte : Il se disait surfeur de modernité. Longtemps, rue d'Ulm, il avait eu ce sentiment de précéder l'anticipation même. Mais, cruauté élémentaire, une simple particule de silicium, venait de révolutionner l'écriture. Et ne voyant pas la nécessité hasardeuse de se plonger dans ce placenta numérique, il préféra endiguer l'enfantement de ce nouveau langage. Alors, il devînt évident qu'elle ne le supporterait pas. L'insolence suprême lui fut même affligée. Plutôt que de forcer ces petits caractères, il se lança, tel un mari candauliste, à faire déchiffrer l'intimité épistolaire de sa compagne par des hordes de traducteurs cocufieurs. Elle ne pouvait hurler que non, elle ne pouvait continuer la route avec ce fantôme aphone.

A la Jean d'Ormesson : Très Cher. Voici venu le temps des adieux. Non point que vous me déçussiez dans ma couche mais quelle désillusion vous me fîtes à ne pas décrypter, ce que nos amis d'Outre-Manche nomment avec leur désinvolture charmante : « SMS ou Short messaging services » . Plut encore à Dieu, que vous vous adressiez à une quelconque de vos conquêtes ancillaires pour traduire ces quelques idéogrammes numériques. Mais faute d'être Œdipe relevant le défi de la Sphinx, vous lançâtes ce singulier concours auprès du « vulgum pecus », et soudainement l'édifice s'écroula. La magie des mots, Très Cher, est rompue et le moindre des maux est de vous dire, je ne vous aime plus.

Comme José Bové : Scandaleux, on ne le dira jamais assez, scandaleux. Comment un intellectuel, qui devrait être partisan du développement durable, préfère l'archaïsme du vocabulaire, hérité de la société bourgeoise, à ces sigles intelligents et planétaires, créés par les communautés d'internautes ? Consommation énergétique, usure de l'appareil … avec le SMS on ne peut pas faire moins !!! Et puis, au lieu de soumettre ton problème au Comité de Coordination, tu pollues l'espace publique avec tes difficultés personnelles. Alors comprend moi : je suis verte de rage. Ton bilan carbone est inacceptable, je me désolidarise.

François Rabelais, comme bon il me plaira. Oncque honnest François à dame ne fît tant courroux. Lui qui parloit tous les Latins estoit trop roide à lire dessoins escrits curcivement. Mais amour treuve qu'on doibt estre assouvy. Grande desseürance et felonie envaïr la jouvencelle. Ydiot com moyne, galant habloit et haranguoit moult gens pour estendre et deschiffrer ce messaige. Tant qu'elle s'escria « asne, imbécille » et autres insults et advint tant qu'elle regnioit cet amoureux.

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