LES PIERRES QUI FLOTTENT

21heures, pur bonheur de visite comme d'habitude dans ce palais de l'art contemporain où l'on déambule avec peu de visiteurs. On a tout le temps de le prendre son temps, de profiter des p'tis tabourets proposés gracieusement à l'entrée et de passer d'un univers à l'autre. Celui du temps ensablé dans la contemplation, les fesses bien calées sur le bord des mondes. Pourtant je bascule quand j'aperçois le travail de Bridget Polk ou plutôt  quand je l'entends avant d'entrer accompagné d'un énorme boum, oh oh qu'est ce qui se passe ?Révélation.
Chutes de pierre mais sans danger.
Des cailloux, de gros cailloux de toutes sortes et formes, des parpaings, et au milieu de tout ça, l'artiste, en pleine performance live, yes ! Elle est costaud la miss, tu m'étonnes vu les kilos de chaque pièce qu'elle porte à bout de bras, faut tout plein de muscles. Bridget, elle transforme la nature en art, la gravité en suspension, le poids en brise légère.
Elle pose,  dispose, superpose, une mixité de pierres les unes sur les autres dans un équilibre qui paraît s'être affranchi de toute logique physique. L'artiste met en scène, sublime, transforme une nature qui ne demande qu'à être lue, vue, perçue autrement. C'est ce que fait Miss Polk en assemblant l'impossible, l'impensable, l'improbable pour aboutir à ces structure si frêles, si aériennes aux matériaux pourtant bourrus.
Quand je suis allé lui poser quelques questions en zenglish, elle a été très surprise de m'entendre dire que je ne pouvais m'empêcher de penser à la grâce des statues grecques antiques, à leur légèreté. Bon ça c'est moi... En revanche il se dégage de son travail une poésie indéniable. La prouesse artistique est vite submergée par ce qui s'en dégage, on est bien, on est zen avec la banane à contempler ces pierres que l'on ne regardera plus jamais de la même façon. Je continue de la brancher, elle est supra cool.
Je mysticise sur un rapport intime avec le ressenti de la pierre et tout et tout, et vlan, j'suis rembarré par un pas du tout c'est juste de la concentration extrême et la physique qui soude le tout. Ouais, mais y'a quand même un truc, mais pas fastoche le truc. Chaque pierre doit reposer sur trois points aussi petits soient-ils, c'est la règle d'or. Quand on s'approche des oeuvres c'est de l'ordre du nano contact. Modestie des vrais artistes, elle m'explique que moi aussi, I can do it. Elle m'affiche sur le machâge névrotique de mon chewing gum en m'expliquant que la première chose à faire c'est de se calmer et de se centrer... Bon, grillé en 10 secondes, j'ai bien fait de venir.
Elle a pratiqué le spiritisme mais ce n'est pas forcément nécessaire, l'astuce c'est une focalisation à 100% sur le job, 100% de concentration, 100% d'écoute et de ressenti sur chaque angulation ou tremblement de pierre. Trente cinq minutes ont passée pour finir la  structure de gauche sur la photo d'illustration de ce texte. Après, elle est rincée, claquée, atomisée. Bridget Polk,  c'est la Sisyphe des temps modernes qui chaque jour se remet à l'ouvrage, portant à bouts de bras des petits bouts de monde.
Elle me propose de tester le poids d'une pierre. Ouf c'est lourd, je la laisse retomber, boum, agent de sécu prêt à me sauter dessus. Heureusement Bridget l'arrête et moi je passe pas la nuit au poste. Je la salue et la remercie pour sa disponibilité pendant qu'elle me laisse sa carte. Une carte de visite avec trois pierres disposée à la verticale avec cette fois une seule lecture possible, c'est elle ces trois morceaux de roches au bord de l'eau, aucun doute, pour cette artiste qui s'efface derrière la nature pour mieux la métamorphoser. Bô vraiment bô.