L'étrange lettre

sabsab

Cher Monsieur,

Nous ne nous connaissons pas, mais j’ai la profonde conviction et la foi que vous pardonnerez la liberté que je prends de vous contacter lorsque vous entendrez ce que j’ai à vous dire.

Avant de vous dévoiler les raisons de cette étrange intervention, permettez-moi de remplir mes devoirs d’homme éduqué en me présentant brièvement. Mon nom est Arthur William Coolidge. Je suis un vieillard las et tout défraichi. En disant cela, je ne fais que répéter les termes désolants de mon ancienne bonniche, que j’entends encore résonner inlassablement dans les couloirs. Cela dit, cette pauvre bougre a raison, cela fait bien longtemps que je ne compte plus les saisons qui flétrissent ma carcasse. Sachez cependant mon cher ami - j’espère que vous me permettez de vous considérer ainsi - que j’ai beau être vieux et dans le déclin, je n’en suis pas moins immensément riche ; d’ailleurs je ne saurais vous dire combien de millions fleurissent les vastes champs de mon compte en banque.

La vie, j’en ai fait dix fois le tour et j’ai réussi à obtenir en quelques heures plus que ce qu’un homme peut désirer sa vie durant. Aujourd’hui je ne sais que faire de cette fortune qui gît à mes pieds décharnés. Mes héritiers n’en sont pas dignes et je n’en vois moi-même plus la nécessité. J’ai assisté à tous les opéras, toutes les opérettes, tous les spectacles vivants, j’ai voyagé dans les coins et recoins les plus reculés de notre monde, j’ai bu des liqueurs interdites en Inde, caressé des prédateurs aujourd’hui disparus, sondé mille fois l’âme du Sahara, abusé des trésors de la jungle de Bornéo, j’ai défloré les plus belles femmes du monde, goûté aux meilleurs vins, dégusté les plus grands mets, admiré les chefs d’œuvres de l’humanité, j'ai baisé la main de la Reine d'Angleterre, diné à la table du Prince de Samoa et côtoyé l’élite dominante de ce monde ; je suis un César triomphant qui a tout lu, tout vu, tout eu. Aujourd’hui il n’y a qu’une chose que je n’ai pas et que je désire au péril de ma vie. Cette chose, mon cher ami - que tout l’or du monde ne pourrait m'offrir - vous seul pouvez me la procurer.

J’imagine aisément que cet aveu résonne au creux de votre esprit comme les délires d’un pauvre vieillard illuminé, mais je vous assure de ma bonne foi et de la sincérité de mes propos quand je vous dis avoir besoin de vous. Monsieur, croyez moi, la mort n’attend pas, elle est actuellement sur mon palier, prête à m’abattre de sa faux aiguisée. Mais avant de tirer ma révérence, ne faut-il pas rendre à César ce qui lui appartient? Cette terre possède une ultime chose que je dois voir, admirer, détenir et sentir filtrer à travers tous mes pores.

Je sais, cher Monsieur et ami, que vous connaissez de grandes difficultés financières. Si vous acceptez mon offre – et vous l’accepterez -, je vous promets de trancher net la tête de votre disette et vous assure un avenir luxueux jusqu’à ce que la mort vous fauche à votre tour. Je pourrai alors succomber à mon trépas tranquillement, ma fortune aura enfin trouvé un digne successeur.

Tout cela doit vous paraître bien confus et passablement précaire, j’en conviens, mais je serais bien fou de continuer à écrire ; j’en ai déjà trop dit, car même en ayant pris les dispositions nécessaires pour que ce courrier vous soit remis en mains propres, il n’est pas à l’abri de tomber dans celles qui sont garnies de douteuses intentions. Ainsi, pour des raisons qui me paraissent évidentes, je vous serai obligé de garder la plus grande discrétion sur toute cette affaire et vous invite à poursuivre cet entretien sur mes terres, lors d’un week-end en ma compagnie. Mon valet viendra alors vous chercher vendredi 18 à 17 heures tapantes. Je n’ai pas l’ombre d’une inquiétude de ne pas vous voir ce jour, ma foi en vous est inébranlable, sachez le.

N’ayez crainte mon cher ami, je n’habite qu’à une centaine de kilomètres de chez vous et je mettrai à votre disposition tout le luxe nécessaire pour votre plus grand bien être.

A vendredi.

Sincèrement votre

A.W. Coolidge

Signaler ce texte