L'Homme qui aimait les Couleurs
Lézard Des Dunes
L’Homme qui aimait les Couleurs
Dans le petit 8 mètres carrés, ça sentait la poudre.
Pas n’importe laquelle, de poudre, mais de la poudre noire. De celle que l’on met dans les armes pour tuer des gens.
Partout, l’odeur envahissait. Prégnante. Pas une parcelle du taudis minable n’était épargnée. Cela allait du bloc douche insalubre de crasse jusqu’aux vieux rideaux gris piquetés de diverses tâches, indistinctes.
Elle semblait même voler dans les airs, comme des grains de poussières. Car ici, elle se savait chez elle. Et lui aussi, il le savait.
Lui, c’était le type qui vivait là, dans ce trou. Il la connaissait bien, la poudre. Tous les jours, il jouait avec elle. Prenant bien soin de la mettre ou il fallait dans ces grands tubes métalliques agglutinés en colline étrange au milieu de son sol. Prenant garde à ce qu’aucun grain de cette puissance chimique ne tombe à côté des longs tubes métalliques, sur le parterre sale. Que chacun des plus petits grains tombe parfaitement comme il devrait tomber.
Et tous les jours, il ne faisait que ça. Il avait oublié tout le reste. Tout.
Il ne savait plus que les cafards avaient maintenant envahi toutes les étagères. Que diverses boîtes de nourritures à emporter agonisaient çà et là, tels des épaves pathétiques. La lumière arrivait à peine à percer l’épaisseur des rideaux sales, mais dans un sens, pour éclairer quoi ? Il l’avait oublié, ça aussi.
Ses yeux s’étaient depuis longtemps habitués au noir. Ses cheveux et sa barbe n’avaient pas arrêté de grandir, encore, et encore. Sous ses ongles trop longs, la poudre avait laissé d’indélébiles traces noirâtres.
Assit au milieu de l’unique pièce, il maugréa quelques mots tout bas avant de se gratter frénétiquement le crâne sous son bonnet rapiécé. Il fallait qu’il se concentre, il avait bientôt terminé.
Sur le bureau, diverses choses s’entassaient anarchiquement. De vieilles photos jaunies, quelques griffonnages incompréhensibles, des fils électriques de couleur diverses, un cactus survivant malgré la pellicule grise qui recouvrait sa peau verte. On y voyait aussi un antique téléphone mobile, éteint depuis longtemps car personne n’avait plus pris la peine d’y répondre.
Juste à côté, un demi-matelas grisâtre, déchiré, posé sur le sol faisait office de couchette, avec quelques vieux vêtements empilés en guise de couvertures. Bordés par quelques livres aux titres effacés par l’usure et le temps.
Suant à grosse gouttes, le type tirait une langue râpeuse, concentrée, d’entre ses lèvres gercées. Les détails de la fin étaient les plus durs, les plus précis, il ne fallait pas qu’il se trompe, au risque de tout faire rater, et de tout recommencer à nouveau, si rien de trop fâcheux ne lui était arrivé entre-temps. Bien sûr.
Derrière lui, sur sa petite table pliante, une théière collante de crasse reposait sur des tas de plans, des notes, des articles découpés dans tout un tas de journaux. Des articles qui parlaient de morts, d’explosions, de meurtres, de guerres, de massacres, de racisme, de viols, de scandales, de drogue, de marchés, de chômage, de dépression, de fin du monde, de fanatiques, de rapts, d’otages, de marques, d’épidémies, de produits high-tech, d’attentats et tout un tas d’autres choses innumérables. Ces mêmes articles en tas froissés décoraient les angles des murs et s’incrustaient dans les crevasses du plancher abîmé. Ils recouvraient même les murs, entre des photos de belles dames, de paysages, qui avaient été collés là bien avant eux.
D’un souffle précis, le type dégagea un moucheron qui s’attaquait maladroitement à son oeil épuisée. Cela faisait plus de deux jours qu’il n’avait pas dormis convenablement, et il commençait à bien le ressentir. Et puis, de toute façon, il était tant excité qu’il n’aurait pas pu fermer l’oeil.
« Allez, encore quelques minutes, et ce sera bon. » Murmura-t-il d’une voie sableuse qui avait, peu à peu, perdu l’habitude de se faire entendre entre ces
quatre murs.
Le son régulier d’une goutte d’eau qui venait frapper le fond du lavabo rouillé menait la cadence. Impassiblement, se collant presque au rythme des secondes. Dehors, la nuit tombait déjà.
« Humf, l’dernier câble. Puis l’détonateur. Allez, encore un peu par là. C’est bon. J’y suis, c’est enfin prêt. »
Le type reboucha alors les silos remplis de poudre noire et y accrocha d’une main habile le dispositif électrique lié au système d’activation. Un sourire, aux dents étrangement impeccables, se traça sur ses lèvres fendues.
« Ca y est, c’est le grand soir. Il faut que je me prépare, pour ne pas rater ça. Hé hé, pour pas rater ça… »
Il se releva doucement, non sans peine, faisant au passage craquer bon nombre de ses articulations maltraitées par sa position immobile et inconfortable. Passant une main sur ses joues cernées, il épousseta son sweat-shirt enneigé de pellicules blanches.
Son sourire c’était maintenant transformé en un petit rire discret et incontrôlable.
Plongeant la main dans le l’armoire dépotoir qui lui servait de penderie, il y chercha frénétiquement un bonnet, presque propre, d’une élégante couleur vermeille, une écharpe et une paire de chaussures racornies.
Le type s’habilla en vitesse, toujours hilare. Il se saisit ensuite d’un vieux sac de sport caché sous quelques poubelles abandonnées, y chassa les quelques bestioles qui y avaient élu domicile pour finalement y placer les silos et le détonateur.
« Ha ha, ha ha ! C’est foutu pour vous, j’ai gagné maintenant, dit-il en saisissant par poignés les coupes de journaux qui monopolisaient les lieux, J’ai gagné. Vous allez voir, vous allez tous voir. Personne ne m’aura, personne ne m’en empêchera ! Je vous ai eu, vous ne m’avez pas attrapé. Et pourtant, y en a tant qui sont tombés dans vos pièges, dans vos malices. Tous salis, tous affadis. Mais vous allez voir, moi, je vais vous changer ça ! »
Reprenant sa respiration, il ouvrit la fenêtre tout en vérifiant que la télécommande à distance se trouvait toujours dans la poche de son jeans composite. Tout semblait parfait.
Sans prendre la peine de fermer la porte derrière lui, il se précipita dehors, riant comme un diable. Courant, malgré le poids conséquent de son fardeau libérateur.
Il courut le long des rues de son arrondissement. Bousculant le monde autour de lui. Il sauta dans la première bouche de métro venu, enjamba avec fracas les barrières de sécurité. S’enfonçant dans une rame, il ne fit pas attention aux réactions des passants, qui jasaient en demi-silence sur son odeur fétide, sur la crasse de ses vêtements, sur la négligence de son allure. Mais étrangement, personne ne vit qu’il riait.
Arrivant sur le quai, il se précipita vers la sortie, comme un plongeur des abysses cherchant une bulle d’air.
Face à la tour Eiffel, sur les dalles du Trocadéro, l’air vif fouetta son visage.
« Ha ha, c’est bientôt l’heure. Ils vont tous voir, ça va être des plus explosifs... »
Saisissant le sac à pleines mains, il s’avança au milieu de la place, y posa son sac, s’écarta un peu et attendit, riant toujours dans sa longue barbe couleur poivre et sel.
Tout autour, la foule nocturne circulait déjà. Des touristes, des couples, des zoneurs, quelques vendeurs à la sauvette, des jeunes hommes et des jeunes femmes venus dépenser leur argent dans des boîtes à cocktails et à sexe facile.
Le type riait toujours. Fixant de temps à autre, pour une raison inconnue, la montre cassée qu’il portait aux poignets.
Après quelques minutes, une demoiselle de l’un des groupes de belles personnes s’avança vers le type au sac.
« Bonsoir monsieur »
« Hé hé, bonsoir demoiselle. Pas trop froid ? T’aurais peut-être besoin d’un manteau, non ?»
« Nan, ça va, dit-elle en faisant des signes à ses amies qui gloussaient un peu plus loin. Vous savez, vous m’avez fait gagner un billet de 10 balles. »
« Ha ! Et en quel honneur ? »
« Mes copines avaient pariées que vous ne me répondriez pas, vu que vous rigoliez comme un cinglé depuis tout à l’heure en fixant votre sac. D’ailleurs, vous devriez faire gaffe, qu’on ne vous le pique pas, ce serait bien le genre ici. »
« Hé hé, pas la peine, jeune fille, pas la peine. »
Les deux se turent un instant. La demoiselle, malgré les appels de ses copines impatientes qui voulaient enfin prendre du bon temps, resta là, sans bouger.
« Et… Y’a quoi dans ce sac ? »
Le type la regarda enfin, souriant de toutes ses dents. Mais ne dit pas un mot.
La nuit avait maintenant totalement enveloppée la ville de son manteau.
« Ah, c’est l’heure maintenant, dit-il en sortant la commande du détonateur de sa poche, ce qu’il y a là-dedans tu m’as demandé? Juste une bombe… »
A ces mots, les doux traits de la demoiselle se crispèrent, la bouche entrouverte. Ses yeux effrayés ne pouvant plus quitter la main sale qui venait juste d’appuyer sur le bouton gris de la commande.
« Non… » Ne put-t-elle que souffler avant que la déflagration n’éblouisse toute la place.
La détonation résonna dans tous les environs, ébranlant les murs, faisant vibrer les fenêtres et les tympans.
Comme un bouquet merveilleux, les gerbes colorées des mortiers d’artifices montaient haut dans le ciel, crépitant de joie.
« Une bombe de couleurs, jeune fille, rien que ça. Tout simplement, des bombes de couleurs… » Murmura l’étrange type dans un souffle ému. Debout,
immobile fixant son oeuvre sur la toile de nuit.
Sans pouvoir dire un mot, la jeune fille restait subjuguée par le spectacle, oubliant peu à peu la frayeur sourde de l’instant d’avant, effacé par la magie. Puis elle se retourna vers l’étrange artificier, la pupille scintillante de halos multicolores.
Lui, il ne riait plus, quelques larmes limpides coulaient sur ses joues sales, brillantes comme des perles. Le visage tantôt baigné de rouge, de pourpre, de vert ou de bleu à mesure que ses silos de poudre noire grondaient leurs splendeurs magistrales.
« … de Couleurs., murmura-t-il encore, la gorge tordue par l’émotion, juste de Couleurs… »
Signé Lézard des Dunes © 2012
Une histoire bien inspirée. Fais tout de même attention aux dialogues. Vu que le type est limite aliéné, ça passe, mais les monologues qui traînent en longueur, ce n'est pas réaliste, en temps normal.
· Il y a presque 12 ans ·Mais quel personnage attachant !
Luce Is No One
Un texte efficace, sans artifices superflus, et un chute en bouquet final qui m'a beaucoup plu.
· Il y a presque 12 ans ·Chris Toffans
les fous onr souvent des idées géniales et symboliques , magnifique texte
· Il y a presque 12 ans ·franek
Oui moi aussi et j'espérais bien que ce n'était pas une bombe, une vraie qui fait mal, là c'en est une qui fait "beau" pour le rêve d'un homme seul ! Belle opposition entre cette crasse solitude et l'explosion magnifique ! Un "jean composite" pour un homme à poudre magique !
· Il y a presque 12 ans ·theoreme
Très beau, comme Christinej, l'image sur le côté s'est insinuée dans mon oeil et m'a soufflé la chute...
· Il y a presque 12 ans ·tchaolyn
J'ai été trés sensible à l'émotion qui se dégage de la fin. Comme quoi ne jamais se fier aux apparences.cdc pour cette explosion d'émotions contradictoires.
· Il y a presque 12 ans ·corinne-antorel
Inspiré je fus bien des fois par ce morceau,de par le fait du vocal Jaunie couplé aux synapses,Fréhel,de la frèle Dame chanteresse Sagan,bref,
· Il y a presque 12 ans ·revisité des répertoires,wesh,et mème revisité des textes,heu,je me comprends,d ailleurs un prochain texte en guise de Merci a(un ou une)auteur pour une invite toile et plate forme,bref,encore Bravo et Merci pour une bribe marge en ligne,Bonne soirée.
Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher
Bravo pour le liant de ce texte,et aussi pour la timbale hasard liée au pixel d une picture avatar, deux lectures alternées télescopage en deux tessitures contrastes mellées,
· Il y a presque 12 ans ·la photo Bengal tour,direct relent pour un clic, Jaunie A l idée sur un texte de Francoise Sagan,qui un titre fort(enfin for mi),,Quelques cris,, je valide et reviens,
Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher
je me suis laissée prendre.la fin est très mignonne!
· Il y a presque 12 ans ·Sweety
je tiens à préciser que cet idée de texte sans prétention m'est venu en lisant le texte "Sur le coeur" de lili, sur Welovewords. Merci à elle si elle lit ces mots. Je le retravaillerais peut-être plus tard pour l'améliorer. En attendant, j'espère qu'il vous plaira.
· Il y a presque 12 ans ·Lézard Des Dunes
@chritinej: Oui, tu as parfaitement raison. Le pseudo suspens est surtout là pour garder l'effet nouvelle. Mais le but ici, enfin je crois, n'était pas surprendre vraiment. C'est plutôt contemplatif. merci en tout cas de le préciser !
· Il y a presque 12 ans ·Lézard Des Dunes
j'aime bien, si je peux me permettre, tu as ecrit ce texte avec un certain suspens sur les intentions de cet homme, mais avec le titre et la photo on a rapidement une idee de ce qu'il veut faire. mais c'est un tres bon texte
· Il y a presque 12 ans ·christinej