L'homme qui changeait la vie
Giovanni Portelli
.12.
le jeudi…
- Elle a dix-huit ans… annonce bientôt Guillaume. Et sa moto, c'est une 50.
- C'est bien, commente Yann. Et… tu vas la revoir ?
- Je ne sais pas.
- Comment ça, tu ne sais pas ?
- En fait, comme j'avais aussi chorale hier soir, je suis parti au bout d'une heure.
- Tu… tu me la refais au ralenti, celle-là ?
- On a mangé ensemble et puis j'y suis allé.
- Non ? Tu l'as plantée là au bout d'une heure pour aller à la chorale ? Je ne le crois pas ! Mais… vous comptez vous revoir ?
- Je ne sais pas… Ouais, sûrement.
- Comment ça, sûrement ? Tu lui as donné ton téléphone ?
- Tu crois que je devrais lui donner ?
- Non, ducon, c'est tellement pratique, la télépathie ! Et si elle veut te parler, elle fait comment ?
- Mais moi, je n'ai pas de téléphone…
- Attends. Tu vis toujours chez tes parents ? Tu veux me faire croire qu'ils n'ont pas un fixe ?
- Eh bien ! En fait, je me vois mal lui parler avec ma mère en face de moi qui ne perd pas une miette de la conversation.
- Tu as peur de ta mère ?
- Non, je suis pudique. Je n'ai pas envie d'étaler ma vie privée devant mes parents, c'est tout.
- Pudique… Pudique, mais con ! Bon, tu as son adresse au moins ?
Face au silence de Guillaume, Yann reste bouche-bée une seconde avant d'éclater :
- Mais qu'est que vous avez fait, hier soir ? Vous avez bouffé vos hamburgers en vous regardant dans le blanc des yeux ou quoi ? Guillaume, il faut que tu m'expliques un truc. Qu'est-ce que tu attends de cette fille, au juste ?
- Je ne sais plus…
- Comment ça, tu ne sais plus ? Il y a deux jours, on aurait dit que tu avais rencontré la femme de ta vie. Et maintenant, tu me donnes l'impression que ça te gêne qu'elle soit aussi ouverte. Qu'est-ce que tu veux, au juste ? Qu'elle te mette définitivement sur la touche ?
- Écoute, Yann. C'est bien trop personnel pour que je réponde clairement à tes questions.
- Alors écoute-moi à ton tour. Je ne connais pas Alice. Je ne sais pas ce que vous avez pu vous dire pour que ce repas ait tourné aussi mal. Mais si tu ne lui montres pas dans les plus brefs délais l'importance qu'elle a à tes yeux, tu vas la perdre pour de bon. Là-dessus, tu fais ce que tu veux.
.13.
"Ma chère Alice…"
C'est original à mourir, ça.
"Devine qui c'est ?"
Carrément navrant.
"A vous, ses yeux bleus…"
!!!?
"A cet ange qui a déployé ses ailes sous le bleu d'un ciel rempli d'étoiles.
A ce miracle qui a ramené un peu d'âme dans mon cœur dépeuplé.
A cette oasis surgie dans le désert incommensurable de mon existence.
A vous, ses yeux bleus…
Je vais vous confier une mission toute particulière. Je voudrais que vous m'aidiez à trouver les mots pour que ma maladresse et mon silence n'en arrivent pas à tarir sa patience. Je crains en effet que mon bonheur de connaître Alice, celui qui me prive déjà de toute éloquence devant elle, ne me la fasse perdre elle-aussi. Alors je vous en prie, faites-lui bien comprendre à quel point je l'estime, même si mes lèvres sont encore trop sèches pour lui exprimer. Faites-moi gagner un peu de temps auprès d'elle pour trouver les mots. Juste un sursis pour retrouver suffisamment confiance et oser enfin lui expliquer ce qui m'a rendu comme ça…
Guillaume"
.14.
Le dernier lundi de juin…
Plutôt surprise, Alice prend l'enveloppe que lui tend sa collègue Cécile.
- Il l'a laissée en fin de semaine dernière. Je lui ai expliqué que tu ne venais pas travailler ici, parce c'était la semaine où tu allais en cours, et que tu ne serais donc pas là avant aujourd'hui.
- Guillaume ?
- Oui…
- Comment était-il ?
- Normal. Je veux dire, pas plus coincé que d'habitude.
Tandis qu'elle lit la lettre, Alice pose une main sur ses lèvres. Comme les larmes lui viennent, elle inspire profondément pour contenir son émotion. Cécile s'inquiète :
- Eh ! Ça va aller ?
Essuyant rapidement ses pommettes, la jeune vendeuse esquisse un sourire pour la rassurer. Puis elle replie la lettre avant de la glisser dans la poche de son tailleur.
- Tu lui as tapé dans l'œil, mais il ne te plaît pas, et tu ne sais pas comment lui dire. C'est ça ?
- Non, ce n'est pas aussi simple. Je ne suis même pas sûre qu'il soit amoureux de moi. Il a vécu quelque chose de tellement douloureux qu'il n'arrive pas à l'exprimer.
- Ouh là ! Tu as levé un drôle de gibier, toi. Méfie-toi, ma fille, les dépressifs, c'est pire que les machos. C'est très collant, et ça finit par être contagieux ! Ces mecs-là, ce n'est pas une femme qu'il leur faut, c'est un psy !
- Attends, ce n'est pas un malade ! Il est juste timide.
- Ce gars est une ruine, c'est écrit sur lui ! Tu ferais mieux de t'éloigner avant que la façade ne s'écroule, parce que c'est sur toi qu'elle va tomber.
Alice laisse ses doigts fouler le papier froid de l'enveloppe. Cécile ajoute alors, comme la fille reste indécise :
- Crois-moi, pour l'instant, il se sent mal parce qu'il n'arrive pas à cracher le morceau. Mais le jour où il l'aura fait, il se sentira mal précisément parce qu'il l'aura fait. C'est un cercle vicieux, tu peux me croire.
- On dirait que tu parles par expérience.
- Tu as en face de toi un aimant à paumés ! Si tu plonges une fois, tu ne t'en sortiras pas. Tu ne rencontreras plus que des hommes comme ça. Et tu es trop jeune pour vivre une histoire pareille, Alice. Fais-moi confiance…
Après un silence, Alice finit par prononcer, pensive :
- Il faut que j'y réfléchisse…
J'adore et j'ai envie de connaître la suite...
· Il y a environ 4 ans ·Corinne Christol Banos
Très beau texte. Beaucoup aimé. La preuve qu'il est possible de bien cerner les personnages seulement par leur façon de s'exprimer. Bravo :)
· Il y a presque 5 ans ·valerie-lemelin
merci pour votre commentaire. Cela vient, je pense, du fait que je fais connaissance avec mes personnages quand je prépare un roman. Ensuite je les écoute me raconte leur histoire, chacun leur tour, et cela donne un roman. Il y a de nouveaux récits à découvrir au format papier sur Amazon et aussi sur Kobo, si jamais vous avez une liseuse de cette marque.
· Il y a presque 5 ans ·Giovanni Portelli
J'ai beaucoup aimé ce texte, très bien écrit, et la timidité de ce garçon y est abordé d'une belle façon... on se demande quel est cet événement tragique qu'il a connu. Merci pour ce beau partage!.
· Il y a plus de 6 ans ·lylia
mon premier roman, je l'ai retiré de la vente pour y ajouter un nouveau volet. Il faudrait que je me penche à nouveau sur ce chemin c'est vrai...
· Il y a plus de 6 ans ·Giovanni Portelli
Très joliment écrit, tendresse, humour dans les dialogues...de quoi aiguiser la curiosité. Bravo à vous
· Il y a presque 7 ans ·muri-elle
merci beaucoup, n'hésitez pas à consulter mon blog sur wordpress, le lien est sur mon profil :)
· Il y a presque 7 ans ·Giovanni Portelli
tellement tendre et tellement vrai. J'adore
· Il y a presque 7 ans ·Bernadette Dubus
merci de votre lecture :)
· Il y a presque 7 ans ·Giovanni Portelli
superbe ! ;) où/comment se procure-t-on le livre ?
· Il y a presque 7 ans ·mysteriousme
merci ! Bonsoir, le livre n'est normalement plus produit j'ai récupéré mes droits pour le publier en auto-édition. Il n'est pas encore à l'ordre du jour, mais j'ai d'autres récits à découvrir à prix tout doux sur Amazon ou Kobo,
· Il y a presque 7 ans ·Giovanni Portelli
J'ai commencé à lire, puis j'ai terminé, maintenant j'en redemande..
· Il y a presque 7 ans ·Charlie Joe
Bonsoir et merci, je suis désormais sur Wordpress plus que sur ce site. bonne découverte. https://www.facebook.com/groups/1697689666914998/
· Il y a presque 7 ans ·Giovanni Portelli
Très bien écrit, je suis tombée sur ce texte par hasard et j'en suis ravie. Au début je pensais que ça allait être un texte routinier, régulier et quelconque. Mais finalement c'était plus que ça, j'ai rapidement été entraînée au fur et à mesure que je lisais les mots et j'aime la façon dont les personnages sont dévoilés, leur façon de communiquer. Beau boulot. Belle oeuvre. Et bonne soirée.
· Il y a environ 7 ans ·starlight
Pour les mots, il faut de la patience...Et les tremper dans l'encre du sentiment et...écrire, ou dire..
· Il y a plus de 7 ans ·cet extrait se lit très vite et suscite l'envie d'en savoir plus, vraiment.
La timidité paralyse.
Bonne plume. Merci.
theoreme
merci pour votre lecture et votre commentaire. vous pouvez me rejoindre sur facebook dans le groupe suivant qui regroupe des liens des photos des extraits etc. https://www.facebook.com/groups/1697689666914998/
· Il y a plus de 7 ans ·Giovanni Portelli
Une belle plume, qui donne envie d'en lire plus! j'ai particulièrement aimé cette timidité et ce coté maladroit, ce manque d'assurance de Guillaume, très réaliste et attendrissant...puis, il faut dire, devant les tourbillons émotionnels nous sommes tous très démunis,
· Il y a plus de 7 ans ·Cordialement
annamuller
Bonjour, merci pour l'attention que vous avez portée à mon texte. C'est une traversée en solitaire d'aller au contact de l'autre et trouver les mots, l'attitude, l'audace surtout dans son cas. Cordialement
· Il y a plus de 7 ans ·Giovanni Portelli
Ce gars est une ruine, c'est écrit sur lui !
· Il y a plus de 7 ans ·Comme une sensation d'écho plutôt dérangeante. Mais si bien tourné.
On est mal loti, les blessés de l'Estime. Pour s'arracher à nos peurs, il nous faut plus que du courage. Surement un psy.
Echo perturbant. Vraiment. Mais qu'importe ! Réel !
eaurelie
C'est notre lot d'être jugé voire condamné pour ce qu'on paraît au détriment de ce qu'on est. Peu importe la communauté il y a des étroits d'esprit partout. Merci pour votre attention.
· Il y a plus de 7 ans ·Giovanni Portelli
Bien!!!!!
· Il y a plus de 7 ans ·unrienlabime
.13 est bien.
· Il y a plus de 7 ans ·12 et 14, alter-ego trop surmoïque, la fée clochette version gros lourd.
Hi Wen