L'obsédé textuel

itsu08

C'était un obsédé textuel

Qui ne pensait qu'aux textes.

Il rêvait la nuit

Qu'il déshabillait des phrases,

Dégrafant les virgules,

Déboutonnant les points,

Epiant les moindres guillemets

Pour les faire gicler ensuite

D'une chiquenaude.

Il traquait dans son sommeil

Les conjonctions en syllabes courtes,

Se retournait

Sur des locutions bien troussées,

Et osait même s'attaquer parfois

A une proposition fort charpentée.

Il faut vous dire qu'un jour

Un songe le surprit

A retourner prestement

Un palindrome ronflant !

Ce dernier était semble-t-il

Un peu bitextuel sur les bords.

Le jour il s'adonnait

A son vice de formes,

Epluchant les journaux,

Ne retenant d'eux

Que beauté de style

Et particularismes syntaxiques.

Fautes et barbarismes

Ne le dérangeaient pas,

L'imperfection faisant du texte

Un être réellement vivant.

Il s'asseyait parfois

Au comptoir d'un café

Où l'on brocardait

A grands coups de gueule

Joueurs maladroits et députés véreux.

Il était à l’affût des calembours,

Glanait avec frissons les équivoques

Et s’excitait sur les contrepèteries.

Et plus les jouteurs clabaudaient

Plus les mots enflaient,

Jusqu'à éjaculer enfin

En un orgasme cacophonique.

Son désir assouvi

Il reprenait alors ses esprits

Et quittait le bar sans rien dire.

Il disparut un jour.

On retrouva chez lui

Un amas de livres et magazines.

Nul autre indice

Dans le petit appartement

Sinon. . .

Sinon, en regardant de très près,

Incrustés dans une phrase

Des Mémoires d'Outre-Tombe

De petits fragments de poils

Et de peau grisâtre.

L'homme qui s'adonnait tant aux textes

S'était noyé

Dans une proposition insubordonnée.

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