L'oiseau mort

Un oiseau est mort.

Il est tombé du ciel comme un flocon un peu trop lourd. Comme une boule de neige.

On aurait dit un mouchoir en papier, ou bien un foetus d'ange, fait de plumes et d'éther. Il s'est écroulé dans ma main, et son petit bec s'est brisé contre mes métacarpes. Du bout des doigts, j'ai effleuré son coeur, qu'il avait littéralement au bord des lèvres.

Mon oiseau mort était d'une beauté à pleurer.

Je l'ai enfoui dans ma poche comme on y glisse un souvenir. Contre ma peau, ses plumes grises et froides me rappelaient une poignée de cailloux qui s'entrechoquaient. Ses plumes étaient rigides et dures ; comme si elles avaient été étranglées une à une par une ombre en manteau noir.

Une odeur douceâtre a suivi mon sillage jusqu'au coucher du soleil. Quand je suis rentrée à la maison, maman m'a demandé : "Tu as mangé des caramels ?" et j'ai secoué la tête en souriant.

Mes mains sentaient le caramel. Mes cheveux dégoulinaient de sucre. Ma gorge avalait un poison au goût de miel. Aurais-je résorbé l'oiseau entre mes lèvres ?

J'ai déployé les ailes de l'oiseau sur mon lit. Son abdomen exhalait une odeur de pluie et de cuivre. Le coeur rouge et rond était suspendu à son bec comme le dernier pétale d'une fleur. J'ai longtemps nettoyé mes vêtements, mon corps, pour faire disparaître cette odeur d'agonie. Ma peau était écarlate ; mes mains couvertes de sang. Et si c'était moi qui avais tué cet oiseau ?

En guise de linceul, j'ai déposé mon oiseau sur un carré de drap blanc. Petite tache grise noyée dans une mer blafarde, mon oiseau est une perle grise tombée dans une baignoire en ivoire. J'ai enroulé le tissu autour de son petit corps inerte ; cadavre, cadavre, cadavre.

Les plumes de mon oiseau sont tombées. Je peux lire sur sa peau le contour de ses os. Le squelette d'une blancheur immaculée se dessine sous la chair rose comme l'arbre écorcé. Mon doigt suit la ligne courbe de ses vertèbres. De son omoplate.

J'ai enterré l'oiseau comme j'ai inhumé ton souvenir. J'ai jeté de la terre sur sa dépouille rachitique. Fiévreusement, mes mains folles ont flanqué cette foutue tourbe sur son foutu tombeau.

Et j'ai pleuré.