Ma femme n’aime que moi

Hervé Lénervé

Alors que je fouillais par inadvertance dans le sac de ma femme, j’y ai découvert un brouillon de lettre qui m’était adressé et qu’elle ne m’avait jamais envoyé.

Elle avait dû la trouver pas assez abouti, pourtant ce que j'en ai lu, m'a ému et m'a paru très bien léché. Je vais vous en livrer certains passages en taisant ceux qui concernent trop nos ébats amoureux entre les draps, entre autres.

« Mon chéri. »

Ça commence bien. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne m'avait pas appelé ainsi.

« Te souviens-tu de ce merveilleux week-end à Etretat quand nous nous baladions, bras dessus, bras dessous, sur les falaises balayées par des vents complices. La mer à nos pieds, le ciel à nos têtes, nous étions les rois de ce Monde hypocrite. »

Non, je ne m'en souviens pas, mais c'est normal, ma femme a toujours eu beaucoup plus de mémoire que moi. Elle connait même par cœur les anniversaires des voisines, alors que je ne me rappelle jamais du sien.

« Je dis vents complices, car ils dissimulaient à nos familles respectives nos amours clandestins… »

Il est vrai que nos familles ne voyaient pas d'un très bon œil notre relation au début. Elle exagère cependant un peu, avec  le « clandestin », car on n'a  jamais caché à quiconque notre union et affiché au grand jour que leurs avis, ils pouvaient se les carrer où ils le voulaient avec une prédilection pour le cul.

« Ces jours de bonheur me sont présents à l'esprit avec une acuité telle que j'en ressens encore toutes les émotions comme si elles dataient d'hier, alors qu'un mois déjà, c'est écoulé. »

Un mois, merde, ça ne s'arrange pas ma mémoire ! Il faudrait peut-être que je consulte un neurologue, j'ai peur d'avoir attrapé la prostate du cerveau. Elle termine par un :

« A très vite mon bel aimé, dans le nid secret de nos amours. »

Là, je trouve que c'est un peu exagéré que d'appeler notre taudis, un nid d'amour, de plus que ce n'est un secret pour personne. Tous nos amis le connaissent, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils déclinent toutes nos invitations. Mais peu importe,  je mets cela sur le compte d'une envolée romanesque et poétique, l'important c'est de savoir que ma femme n'aime que moi.

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