Miaou!

victoria28

   « Paul Taylor bonjour et bienvenue dans le studio de  Vous voyez bien, vous êtes aujourd'hui notre unique invité, à titre exceptionnel mais votre actualité est exceptionnelle Paul Taylor, car votre maison d'édition vient de révéler que c’est vous Holden, le mystérieux Holden qui a scandalisé la blogosphère pendant près d’un an.

   – Tout à fait.

   – Holden, je le rappelle pour nos auditeurs, a raconté la mort de son chien dépressif sur son blog "les-yeux-de-Rex.com" et sur twitter, en temps réel en quelque sorte.

   – Oui.

   – Alors pour commencer, comment faut-il vous appeler? Paul Taylor? Holden?

   – Paul Taylor.

   – Holden n'existe plus?

   – Holden n'était que le narrateur. L'auteur, c'est Paul Taylor. En tant que critique, vous savez ce genre de choses.

   – Bonjour Paul Taylor!

   – Bonjour, Laura Desmaret.

   – Tout de suite une première question: pourquoi ? Pourquoi vous être caché derrière un pseudonyme sur internet pour raconter cette histoire, qui est très personnelle tout de même ?

    – Très personnelle en effet. Mon chien est mort après des années de lutte pour essayer de devenir un chat. C'était le point de départ de l'aventure.

   – L'aventure, qui était? Raconter ses derniers jours, semaines, mois?

   – Voilà. Quand j’ai vu que l’opération allait échouer, j’ai voulu lui offrir cette chance de laisser une trace. Raconter tout, au présent, au plus transparent, comme un tribut à son courage. Il aurait fait la même chose pour moi, vous savez. Ne rien taire des souffrances est le meilleur moyen de les partager.

   – Vous auriez pu écrire un livre! Vous être un auteur reconnu! Votre dernier  roman a eu un premier tirage de 50.000 exemplaires, chaque année vous sortez le best-seller de l'été...

   – Je ne voulais pas, avec ce sujet, écrire le best-seller de l’été. Je voulais déranger plus que distraire. Et je voulais me sentir totalement libre pour lui rendre hommage.

   – Hommage, est-ce que le mot est bien choisi? Vous racontez tout sur votre blog! L'hospitalisation, les suites de l’opération, les mois qui suivent dans son panier…

   –  C’est la modernité qui exige l’impudeur. Les gens ont tellement lu de choses affreuses qu’il faut les empoigner par les tripes pour réussir à les toucher.

   – Il faut admettre que vous n’êtes pas tendre avec vous-même. Vous ne cachez rien de votre lâcheté, du nouveau chien que vous adoptez dans son dos…

   – Il faut donner de soi pour écrire des choses justes. Il faut se retrousser les manches et mettre les mains dans le cambouis, même si ce n’est pas glorieux pour vous. La vérité est à ce prix.

   – Et lui, qu’est-ce qu’il en a pensé ? Et les autres ? Vous mouillez aussi beaucoup les autres, dans ce déballage.

   – C’est un risque que ceux qui me fréquentent connaissent très bien. N’écoutez pas les hypocrites. A tous, et à Rex en premier, en les décrivant aussi fidèlement, j’ai donné un bout d’éternité.

   – Est-ce que vous comprenez la colère des associations qui vous accusent d'indécence?

   – Mais la mort est indécente ! Sur ce point, il y a adéquation entre le fond et la forme.

   – Tout de même !

   – Je ne suis pas responsable des sentiments que ces bien-pensants éprouvent.

   – Un peu, non ? Vous avez exploité votre chien, photos à l’appui, pour devenir célèbre.

   – Qu'est-ce qui vous dit que ce sont des photos de mon chien ?

   – Ce n'en sont pas?

   – Je ne vous dirai pas. Qu'est-ce que ça change?

   – Je ne sais pas... manipulation?

   – Ce n'était pas un reportage. L’écriture est un prisme qui transforme les faits en fiction.  Et dans une fiction, vous pouvez sélectionner le vrai plutôt que le réel.

   – Ca s’est vraiment passé comme ça ? Sa fin, quand il se met enfin à miauler…

   – Je ne vous dirai pas.

   – C’est peut-être un vaste canular !

   – J’aime bien cette définition, la littérature comme canular tragique. En l’occurrence, c’est la fin que je voulais lui donner. Et c'est mon pouvoir de romancier de faire que les choses se soient passées ainsi. Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus.

   – Ca fait beaucoup de choses que vous ne voulez pas dire pour quelqu'un qui se veut transparent!

   – Holden est transparent. Holden raconte tout. Moi, je lui donne juste les moyens.

   – Maintenant, Paul Taylor, quid d'Holden? La sortie de l'anonymat marque la fin de l'aventure je suppose?

   – Sans doute.

   – Vous en voulez au « collectif Rex », ce groupe facebook qui a remonté le fil jusqu'à vous?

   – Lui en vouloir?

   – Oui.

   – Pourquoi voudriez-vous que je m'en veuille à moi même? »

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