Mon crayon H (3)

Apolline

Un jour, volubile, il allège mon désir facile. Un autre, avec élégance, il contourne mon attente en transe. Un autre encore, il attire mes mains et se porte à ma bouche. Puis de nouveau, il m'aspire en touche sur ses sons pipeaux.

L'inconscient ! Mon crayon H ne pense qu'à lui. Et je le maudis.    

Si « La grande Beauté (1) » s'était manifestée, si « la Lucidité (2) » m'avait aliénée, aujourd'hui ma mine plombée se retrouve enragée.

L'histoire de H, avec B comme blasphème, je vais l'étrangler à l'envers d'un décor qui n'a plus rien de multicolore.

H, ça pourrait être Hubert, B, ça pourrait être Béatrice,

ça pourrait être Toi et cette femme maudite,

ou cet homme vampirisant et Toi.

 

En tout cas, je ne referai pas l'aventure de Lui et de Moi tellement je suis énervée, tellement je suis piquée. 

Au point que la nuit dernière, les moustiques ont eu raison de moi. Ils se sont littéralement déchaînés sur ma peau et aujourd'hui le fléau de la rage me gratte. Il ne me reste plus qu'à gratter le papier en oubliant de façon toxique le crayon H. Le bomber et l'exploser.  

J'ai toujours attiré les suceurs de sang. J'ai beau me cacher dans la foule, ils me foncent toujours droits dessus. Et moi, souriante, les bras en croix, je me mets à psalmodier :

« Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela, en mémoire de moi. »

Voilà ce que c'est, de vouloir toujours copier-coller… ça ne marche  pas et encore moins de se risquer à marcher sur l'eau, car il n'y a pas pire sous le soleil, pour attirer la famille en pleine lamentation de ces piqueurs-suceurs.

Mais je me sens, soudain, dans cette obligation de faire revenir une mémoire où durant deux années, mes amis aux pattes allongées m'avaient rechignée, leurs airs outragés, de devoir se nourrir à côté. Croyez-moi, j'avais la paix tout autant que j'étais consternée. Avais-je donc terriblement changé ? C'est alors que je me suis souvenue qu'à cette époque, par voie intraveineuse, j'avais obtempéré pour un usage régulier de substances chimiques à haute dose pour combattre mes cellules désordonnées. Les autres devenues toutes pâles aussi trinquaient. En conséquence, dans ce traitement au protocole repoussant, coulait l'enfer de mon sang épuisé, longtemps infesté.

Puis quand le premier piqueur s'est posé sur moi, j'ai été presque éblouie. Le lendemain, j'avais même entouré d'un crayon tendre ma rougeur transformée en superbe bouton, apparue sur mon bras pour l'exhiber à mon concessionnaire : « Voyez, Docteur, je suis guérie maintenant »

Ce matin, très tôt, la cuisse dévorée, munie de mon livre de chevet « Espèces en voie de disparition » je n'ai plus hésité pour frapper. Bing et Bang ! Fallait le saigner Lui. Je l'ai maudit.

Ensuite, j'ai entouré la tâche sur le mur de ma chambre avec un crayon sanguine tout neuf. Plus tard, j'ai lu dans le journal du coin que le chikungunya passait par chez moi. Même pas peur, même plus peur. Ce soir, je serais redevenue calme, très calme. Me doter d'yeux, m'orienter selon la lumière et même sous une faible lumière, moi aussi, je sais faire ! «Voyez, cher Lecteur, je suis guérie maintenant ».          

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