Neurasthénie sous la voiture.

slive

J’ai 14 ans.

Akim dormait ventre contre sol dans la rue.

Moi je titubais. J’ignorais où j’allais, je remontais Solferino en attendant de trouver secours à ma mélancolie. Sexe obsédait mon esprit : le temps aussi. Les murs étaient tenu en otages  par des ivrognes et des étudiants dont certains seraient bientôt des préfets.

-T’as l’air mal en point. Tu veux baiser ?

-Oui, je veux. 

-Je suis une pute.

Je souris -Et alors ? On l’est tous.

-T’as de l’argent ou tu as tout dépensé en alcool ? Elle aspire une bouffée de cigarette

-En effet, ça m’a permit de pleurer : C’est cool de pleurer, ça permet de mieux baiser. Pleurer pour toi ma belle.

Akim rampait. Elle est partie devant une porte bleu aux néons qui me rendait épileptique, je bougeais, tremblais : titubais.

-On en revient toujours au même point dans le fond.

Thibault suivait. Regardait. Attendrit par le temps, la nuit, la vie, les filles. Akim rampait, je titubais. Je m’ennuie. C’est ennuyeux de voir les choses différemment.

-Thibault.

-Oui ?

-Tu vois les choses plus claires ?

-Plus depuis trop longtemps.

-Combien de temps ?

-Troisièmes verres de rhum, je crois. Tu es plus mal en point que moi.

-Imagine. Imagine. Putain imagine.

-J’imagine.

Il appui la tête contre le mur, sort sa bite.

-T’as à boire.

-J’aimerais pisser tranquille.

-On aimerait tous pisser en paix, mais pour le moment y a toujours un couillon pour venir te casser les couilles.

Voiture grise.

Papa.

-Qu’est-ce tu fous là.

-En théorie je marche.

-Il mate ma queue ajoute Thibault.

-Tu te fous de ma gueule ?

-Non, il l’a vraiment regardé.

-Mytho. Je regardais tes poignets, j’aime les poignets. REGARDE les miens sont fins.

-GAY

-Vous allez arrêter de vous foutre de ma gueule putain ! 

-Mon nez est trop rouge, c’est lui qui se moque de toi. Je suis QUI pour me moquer de toi, où serait mon envie de me moquer de toi ! Ah propos. Akim rampe.

Tournant le dos au regard injecté de sang du père je voyais : Akim rampait.

Je marche je titube. Mon père. Mon bras, ses grandes mains. Ma joue, du rouge. Je saigne. Qui suis-je.

-Tu as trop bu au point de ne pas savoir qui je suis ?!

-Tu es sensé être mon père. Mais toi, pour me parler sur ce ton, sais-tu qui je vais devenir ?

Une voiture. Une vitre, des trottoirs qui passent doucement. Puis par trentaines, puis par centaines : puis par milliers.

-Te trouver comme ça en pleine rue à cette heure bourré comme pas un ! Tu es vraiment un foutu trou du cul ! T’as que 14 ans ! J’AI L’AIR DE QUOI !

Je pense : Je suis sensé être ivre, malade, pitoyable et c’est lui qui crie. Lui qui rage. Lui qui s’inquiète pour ce qu’il semble paraitre.

Paraitre.

Je lui dis. Je lui souris, il me regarde dans le rectangle.

Puis un fracas, du sang. Le miens, le siens. Je rampe. J’ai mal. Des regards et moi qui ris. J’entends mon rire. Mon père me regarde, les yeux mouillés. Il se débat, crie, il pleure presque. Il est moche.

-Tu es moche père.

La voiture sur lui. C’est drôle, il me fait rire. J’attends qu’il sorte mais il ne peut pas, il ne veut pas. Alors je ris deux fois plus : c’est évident il me fait rire pour se faire pardonner.

Je ne lui pardonne pas, mais je ris.

Je me lève et je pars.

J’ai mal un peu partout, ma jambe est retournée ça m’amuse.

-Qu’il est con.

Sous mes chaussures son sang. Sur mes chaussures le mien. Derrière moi des cris et moi qui ne ris plus.

Silencieux je pense : Je suis ivre et il crève enfin.

Un bruit sourd.

Du sang sous mes chaussures et deux fois plus de cris.

Le dernier goût que j’eu de mon père, c’est son sang.

Je me rappelle de cette nuit :

Que j’ai ris. Dieu. Que j’ai ris.

Akim rampait.

Mon père aussi.

               A la fin. Je titube. Je traine la jambe et j’ai réfléchie à ce pourquoi je le haïssais tant :

-Merde. Pensais-je en pleurant : MERDE !

 

Comme un pendu qui serait mis devant un mur peint à l’honneur des horloges molles de Dali. Une ironie au temps, à la vie. On nous voyait tous en fond ; le cercueil déposé parfaitement devant nous.

-Dites moi que c’est pas vrai ! Que c’est une mauvaise blague … Rendez moi mon fils.

-Une blague pour moi-même surtout. Pensais-je.

Mon père était mort du à une nuit agitée. J’avais très mal à la tête et l’odeur fumante de la voiture qui avait brulé la veille était encore incrustée dans mes narines. Ma mère pleurait mais, surtout, ma grand-mère. Le deuxième fils qu’elle perdait.

C’était de ma faute, tout le monde le savait.

Akim debout ne rampait plus, ma mère avait les jambes qui tremblaient assez efficacement pour qu’on ressente sa douleur.

Je l’aurais bien prise à part : Pourquoi souffres-tu ? Il est mort, ris.

Combien de fois nous en avions tous rêvé, de mon père mort ? COMBIEN. Pourquoi pleurent-ils la mort d’un homme qui les dégoute.

Le cercueil.

Moi devant.  Ma mère suivant le pas. Chuchotements :

-Je dois faire quoi.

-Te repentir d’avoir tué ton père.

-Pas moi qui l’ai tué, c’est le karma.

-Tu n’as même pas quinze ans, fais preuve de sentiment merde ! Chuchotement disparue, des sanglots. Une mâchoire serrée.

Une émotion de dégout à son égard : Hypocrite. Tu l’aimes mais il ne ressentait plus rien pour toi. En plus il est mort.

Tu aurais vu ses yeux, ils pleuraient de dégout : pour lui-même.

Tu aurais entendu ses sanglots, ils étaient emplit de regrets. Crois-moi, je vois son regard quand je ferme les yeux : il m’aide à m’endormir.

Il aura servi à quelque chose dans son existence haha !

Une gifle. Deux gifles. Une vague de gifles, moi à terre. Mes béquilles loin de moi. Ma mère qui me gifle. La dite famille qui prend son temps pour m’arrêter.

Elle me gifle. Elle me gifle.

Je ne pleure pas, je saigne, mais je ne pleure pas.

Retiré de mon corps frêle, je la regarde : Je ne t’en veux pas.

Je disparais. Manger un morceau ou deux. A table je pleure.

Mon dos me fait mal, j’ai des courbatures partout, jusqu’aux endroits où je n’aurai jamais cru permit. Sur ma main un pansement énorme qui prend la moitié de ma main.

L’infirmière était gentille.

-Vous étiez dans la voiture.

-Je crois.

-C’était votre père ?

-Disait-il.

-Je pense qu’il vous faudra des.

- Tutoyez-moi. Je n’ai pas l’âge, ma mère arrive ?

-On l’a contacté.

-Vous lui

-« Tu »

-Tu lui as dit que j’avais bu ?

-Non. Elle le sentira bien de toute manière, rhum ?

-Et une pute.

-Pardon ?

Silence curieux.

-Tu aimes ton père ?

-Il est mort.

-Désolée.

-Pas de quoi, elle sourit, il est mort il y a très longtemps maintenant, je ne l’ai pas connue. C’est toi qui l’as perdu cette nuit, tu ne sembles pas si triste.

-Ce n’est pas pareil, moi je le connaissais.

-… Il te battait ?

-Non.

-Te violait … ?

-Non. Il était difficile moralement.

Elle sourit, se moque intérieurement : Tu as que 14 ans c’est normal.

Le bruit du sparadrap m’arrachait les oreilles.

Elle était belle, elle était brune. Elle était belle, elle était à moi. Elle était belle, elle me faisait bander. Elle nouait ma gorge, elle nouait mon cœur. Je suis tombé amoureux d’elle.

Alors, en confiance, j’ai pleuré.

Avec pudeur.

J’ai pleuré comme un bébé. Sur son épaule.

Adieu père.


  • j'ai lu quelques uns de vos textes ; pas tous, je suis une vraie feignante.
    .
    j'ai particulièrement aimé "texte psychanalithique sous fond rouge" mais surtout, oh oui, surtout, "Neurasthénie sous la voiture".
    Et pourtant, c'est un miracle , j'ai la capacité de concentration d'un pigeon, alors lire 7 pages, c'était pas gagné. Mais je ne les ai pas vu passer, je les ai lu comme du ptit lait :)

    Mesly

    · Il y a plus de 12 ans ·
    25293 342481162381 699477381 4143731 5394820 n 500

    mesly

  • Lu et relu, car cette haine du père je connais, par mon mari, son père est mort quand il avait 16 ans, et il le hait encore, car il n'a pu le comprendre, avec l'age et pardonner.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • çà arrache les tripes. Et avec la musique derrière c'est encore plus PAthétique ...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Sans titre

    agathe

  • Lu d'une traite du début à la fin : super !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Fran 300

    fran

  • Oui un flou qui image superbement le précipité de sentiments forts qui hurlent, à qui se fera le plus entendre. Le côté télégraphique comme le coeur qui bat, qui pulse dans les tempes mille chagrins mêlés. J'ai franchement adoré, magnifique texte Slive que je porte en coup de coeur ! Bravo !

    · Il y a plus de 12 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Embarquée dès les premières lignes. Dommage que la scène de "l’accident" soit si flou. Mais pour le reste ... la fin est magnifique =)

    · Il y a plus de 12 ans ·
    167945 127968097271980 100001763723842 169318 1797134 n orig

    la-tete-en-neige

  • Décousu d'une force presque paternelle, biaisé aux degrés d'alcool. Un tableau de 8 pages! J'aime.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    375705 10150405459877878 1691361839 n 300

    charlotte-laquiche

  • Slive.
    j'ai beaucoup aimé ce côté décousu et pathétique, même si je pensais que le final me donnerait la clé... Accident? Au final, il va falloir qu'il décuve, mais ce qui se dessine est entre le réel et le délire éthylique, un espace où vient s'installer la haine du père. Laisse le comme ça , j'aime c'est surprenant

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Persopsy

    Jacques Lagrois

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