Photomaton

selig-teloif

Je savais qu'il existait dans le hall de la gare. Il trônait là depuis des années et j'avais eu affaire à lui plus d'une fois. Un vieux photomaton, caisson blanc, avec pour toute porte un rideau bleu plissé en coton tressé s'arrêtant à mi-corps pour permettre aux clients de distinguer son occupation ou non. Quand je m'y présentais, le rideau était tiré, semblant me dire qu'il fallait attendre, mais je ne voyais aucune jambe ballant devant le tabouret réglable. La machine prétextait être en service et disponible, je dégageais donc le rideau et entrais dans l'habitacle, prêt à fournir une tête dénuée d'expression pour orner des papiers administratifs.

C'est en prenant place que l'odeur caressa ma muqueuse olfactive. Un parfum féminin, dont les effluves étaient aussi discrètes que sensuellement puissantes, semblait flotter entre le miroir et le rideau orange derrière moi. Je n'avais jamais senti une telle essence. Mélange poivré d'agrume et fleur des champs, un parfum capiteux qui à la première bouffée étourdissait mais très vite exaltait nos hormones et faisait courir le long de l'échine une onde de plaisir.

Aussitôt j'imaginais la peau récipiendaire, mat et légère, un léger duvet appelant une caresse des lèvres. Je fermais les yeux, mon nez remontant le creux de son épaule jusqu'au lobe ourlet de son oreille, enfouissant mon visage dans une chevelure brune ou blonde, mes mains cherchant des formes enveloppées d'un corsage léger.

C'est le froid du miroir qui me ramena dans le photomaton, apercevant mon visage, la bouche ouverte et les lèvres humides. Je souris de mon escapade olfactive. Je me disais que je chercherai cette femme toute ma vie,  ce cou et cette odeur, et lui donnerai tout ce que j'ai quand je la trouverai.

Je sorti de l'appareil en oubliant de faire mes photos et me dirigeais encore hagard vers la sortie de la gare. C'était l'heure d'affluence, les trains des banlieusards, des hommes d'affaires régionaux, des femmes pressées.

Juste avant l'embouchure de la gare, je me retrouvais bloquer dans un attroupement. Il ne fallu pas longtemps pour que le parfum m'enchante à nouveau. Le coeur serré, je tournais mon visage, impatient de découvrir la femme de ma vie.

Il n'y avait que des hommes. Un de ceux là, les sourcils proprement épilés, la peau légèrement halée par du fond de teint me fixa du regard et m'envoya un sourire extra blanc.

J'ai failli pleuré.

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