Plaidoyer pour les ânes

J'ai toujours aimé ces bêtes à la mauvaise réputation. Enfant, les vacances en Ardèche firent que j'en montais souvent.

Un jour s'est posée la question d'entretenir un vieux pré contigu à la maison. Un voisin y faisait paître une jument, bête fort nerveuse qui s'agitait au moindre bruit, ruait à chaque sifflement du TER, ne pensait qu'à fuir son enclos, finit par démolir le poulailler d'une grande ruade. 

Mon côté nomade m'avait amené à fréquenter divers manèges et faire moult randonnées sans problèmes, sans étriers, cravache ou éperons. J'ai toujours préféré m'en passer. Pourtant, je pense que les chevaux sont mieux à courir en liberté dans un espace naturel qu'à vivre trop près des hommes. 

En revanche les ânes bien que largement décriés, affublés d'épithètes négatifs, de bêtes têtues et idiotes, sont de très bons compagnons des humains. On considère que leur intelligence est celle d'un enfant de 4/5 ans et c'est vrai. Ils s'éduquent très bien, répondent parfaitement aux ordres qu'on leur donne - "regarde sur ta droite le morceau de pain" en russe en plus!- , sont très autonomes et comprennent tout ce qu'on leur dit pour peu qu'on leur explique avec douceur.

Je vous donne un exemple. Un dimanche - évidemment - la barrière électrique tombe en panne. Notre couple d'ânes la franchit et court gaiement dans le pré voisin. Nous les ramenons dans leur enclos et tentons de rafistoler la barrière tant bien que mal le temps d'acheter une nouvelle batterie. A 21 heures, je constate que l'ânesse est de l'autre côté de la barrière, juste derrière, le mâle étant resté tranquillement dans le pré. J'explique depuis la fenêtre à cette demoiselle qu'elle peut rester là jusqu'au lendemain et lui confie la mission de surveiller son compagnon qui ne doit pas s'échapper. Le lendemain matin elle était à sa place, n'avait pas bougé d'un iota. Quant au mâle, il était bien au chaud dans son pâturage. J'ai félicitée Ohana pour son intelligence et sa maturité.

Ce sont des animaux très stables de caractère et très résistants, qui ne craignent rien sauf le bruit des feux d'artifices. Le 14 juillet ils sont sous nos fenêtres et nous les rassurons le temps que les festivités se terminent.

Ils ont besoin de peu: un hectare de pré pour deux ânes, de préférence avec un mâle castré (opération à faire quand la bête est jeune - sinon l'âne a tendance à braire - s'il est entier, le laisser dans plusieurs hectares avec 7 ânesses), un abri au sec pour les intempéries, une terre bien drainée qui lui permet de se mettre les sabots au sec. L'humidité crée des fourmilières désastreuses qui remontent dans les jambes. Ils ont besoin d'eau si l'herbe est trop sèche, d'un peu de fourrage en rab quand l'hiver est trop rude ou l'herbe sous la neige, d'un bloc de sel à disposition, d'une litière en paille propre à changer de temps en temps, d'un parage/manucure de sabots deux fois par an. Si vous coupez les ronces ils les mangeront. Ils adorent les fruits, les croûtes de pain et les carottes. Gros avantage par rapport aux chèvres: ils ne déracinent pas les pâtures. Il faut juste faire attention à protéger les écorces d'arbre.

Pour le reste ils se débrouillent. Pas besoin de les brosser. Leur poil change selon la saison. Ils savent très bien se rouler dans l'herbe ou sur une surface de terre sèche pour se débarrasser du vieux poil.

Et les ânes sont des médiums naturels, très réceptifs aux problèmes des humains. Ils comprennent instinctivement nos émotions et tentent de nous consoler. Pleurez et ils poseront leur tête sur votre épaule doucement, sans bouger. Deux fois les nôtres se sont échappés, pour aller toujours au même endroit, à 200 mètres, mettre leur museaux contre la porte-fenêtre d'une voisine, une dame adorable dont la fille est handicapée mentale. Incroyable de voir le contact spontané entre elle et les ânes, cet échange paisible et réconfortant. Comme s'ils avaient senti qu'elle avait besoin d'eux.

En revanche, prenez un âne pour un imbécile et essayez de le contraindre à la cravache et vous allez recevoir un bon coup de sabots!

A noter que ce sont aussi de très bons gardiens en particulier vis à vis des chiens errants ou des molosses animés de mauvaises intentions vis à vis de la maisonnée. Il y a peu deux dobermans hargneux se sont introduits chez nous. Ils sont repartis à bride abattue la queue entre les jambes et la peur au ventre, poursuivis pas nos ânes au galop!

De même si un étranger pénètre dans la propriété ou si un évènement inédit se déroule. Ils vont tout de suite sonner l'alerte. Ainsi ce jour où un hélico de la sécurité civile se posa dans le champ voisin pour tenter de sauver une motarde accidentée. Primo on a été prévenu avant d'entendre les rotors, deuzio les ânes ont surveillé le sauvetage jusqu'au bout avant de venir nous "demander" des nouvelles de la rescapée.

Je voyais l'autre jour un reportage sur des ânes en Égypte, lesquels font des trajets de plusieurs kilomètres tous seuls au bord des routes avec leur barda à livrer, sans jamais se mettre en danger ni marcher sur le macadam.

C'est aussi la grande différence avec les chevaux. Les ânes sont très conscients des dangers là où les chevaux sont vite paniqués. 

Un âne ça ne se dresse pas, ça s'éduque avec douceur, patience et bienveillance, comme on le ferait avec un enfant. Il faut leur parler gentiment et les traiter de même, leur dire si l'on part et pour combien de temps, leur expliquer si un évènement familial se produit...

Alors appel à tous ceux qui ont un peu de terrain et veulent un entretien écologique et peu coûteux...adoptez un couple d'ânes! Il y en a tant à adopter! Et arrêtez de manger du saucisson d'ânes s'il vous plait.