Polarités (Partie 2)

merielle

Il était quatre heures du matin et pas un bruit ne filtrait de la rue ou de l’immeuble. Le bois de l’escalier grinça sous mes pas, prêt à se fendre et je crû entendre une voix. Un cri précisément. Je m’arrêtai net. Rien. Rien que le froid, pas un souffle. Il me restait trois marches. Je me dirigeai vers la porte des Orte, non sans avoir jeté un coup d’œil sur celle de leurs voisins de pallier. Aussi silencieuse que la leur, elle ne m’appris rien. J’avais les clés de leur appartement, et vis versa, juste en raison de ce fameux  verre qui scellait l’accord, en cas d’absence, de l’arrosage des plantes et l’accueil de spécialistes (plombiers, électriciens…). Concentré, j’essayai vainement d’introduire la clé dans la serrure. Gelée... Je grattai le contour, craquai des allumettes et tentai de réchauffer l’ouverture. La petite boîte y passa. Lorsqu’à la dernière, très rapidement, l’eau s’extirpa, fuyante, pour frayer un passage à la clé. A mon grand étonnement le déclic du verrou résonna dans l’escalier. Un son inapproprié.

J’aurais dû penser, à cet instant, que tout cela semblait bien trop bizarre. Mais je ne fis que regarder le thermomètre digital sur ma montre spéciale : – 20°.

A ce stade, donc, devant la porte, la température au plus bas (du moins je l’espérais), j’allais entrer. De ma vie je n’avais vécu sous une telle température. D’ailleurs je n’avais plus froid, je sentais juste que l’auriculaire de ma main gauche m’avait quitté. Pour mieux saisir la clé, j’avais enlevé les moufles et juste gardé les gants de soie. Or, un petit trou ornait l’auriculaire. Je remis rapidement les moufles, toutefois avec délicatesse, car mon doigt pouvait à tout moment rompre comme du verre. Enfin l’idée me traversa l’esprit. Le verrou avait cédé, mais la clé s’y était fondue. Le froid avait instantanément regelé la serrure. Il m’était impossible de la retirer.  Je l’abandonnai et tournai la poignée pour entrer, sans mal.

La pénombre du couloir me rendait aveugle. J’avançai un peu et le claquement de la porte dans mon dos me fit sursauter. De nouveau le froid s’imposa. Mes yeux s’habituaient peu à peu au noir. Je remarquai quelque chose qui bougeait sur les murs. J’ouvris mon sac et cherchai la lampe torche, qui aurait dû être à portée de main. Tout en fouillant, agacé, je ne quittais pas des yeux ce qui semblait bouger. L’organisation du sac saccagée, je trouvai enfin la lampe et éclairai sur ma gauche. D’un bond effrayé, je me retrouvai contre la porte d’entrée. Des yeux ! Des milliers de pairs ! Vivants ! Les regards couvraient les murs comme une tapisserie ! En un mouvement ils s’orientèrent vers moi ! Non !…  Ils suivaient le faisceau de la lampe ! De plus près, une couche de glace les protégeait de l’air. La lumière les gênait contrairement au froid. Je touchai le mur du bout des doigts, juste pour être certain qu’il ne s’agissait pas d’une hallucination. Les yeux à proximité de ma main fixaient sévèrement la lumière et je ne sentis qu’une surface lisse sous mes doigts. Pourtant au contact, les paupières réagirent. Des yeux noirs, des yeux verts, marrons, gris… cachés de temps à autres par des battements réguliers. Le reste du mur dans le noir, dormait, les yeux clos.

Soudain, la panique. Comme un forcené je tirai sur la poignée de la porte avant d’admettre que je ne pouvais plus sortir. Je me tournai vers le couloir qui s’allongeait, étrangement, à perte de vue. Ce qui était rassurant, si quelque chose pouvait l’être en de telles circonstances, c’est que les yeux étaient inoffensifs. Je ne représentais pas un danger, la couche de glace les protégeait.

Ce qui pouvait être affolant, c’est que je n’étais visiblement pas dans l’appartement de Martine et Patrice. Non. Sous mes pieds s’étendait une couche de neige verglacée, et en guise de couloir, j’évoluais sur un chemin étroit qui semblait avoir déjà été emprunté. Des traces régulières et profondes de pieds immenses me devançaient. C’est donc prudemment et le plus silencieusement possible que je posais les pieds, tout en scrutant le décor. Des yeux, encore et encore, de chaque côté. Je me demandai s’ils me voyaient puisque les paupières ne semblaient réagir qu’à la lumière. Plus j’avançais, plus les regards étaient vitreux, presque morts.

Tout en suivant les traces, j’aperçu l’entrée de la cuisine sur la droite. Bien que disproportionnée la configuration d’origine de l’appartement n’avait pas changé. Etait-ce un soulagement ? Qu’allais-je trouver en guise de cuisine ? Le salon était sensé se trouver juste après sur la gauche. Ces deux pièces comportaient normalement des fenêtres, donc peut être une chance de sortir d’ici. J’optai pour le salon sans trop savoir pourquoi, puisque les pieds monstrueux en avaient pris le chemin. J’avais peur, mais je voulais des réponses. Cependant en passant devant la cuisine, je m’arrêtai et lançai le faisceau de la lampe.

Une jungle avait pris possession de la surface. Une vraie jungle, avec un fouillis d’arbres, de plantes immenses, de végétation tropicale, du vert, des feuilles, des troncs… Une chaleur intense s’échappait, faisant fondre la glace à l’entrée. Dans ce magma je crû distinguer un torse masculin. Le reste du corps était caché par un excès de feuillages et de lianes. L’espace d’un instant, je fus tenté d’approcher afin de savoir s’il s’agissait de Patrice Orte. Tandis que je réfléchissais, le corps fut soudain saisi de soubresauts. Puis l’ensemble du feuillage s’agita, avant que le torse, sans tête, ne bascule vers l’avant. J’étouffai un cri. J’avais ma réponse ! Peu importe que ce soit patrice, je m’empressai de suivre le chemin vers le salon. Mais il n’était pas aussi proche que je l’espérais. Des pensées confuses rongeaient mon esprit. Etait-ce réellement Patrice qui avait subi une mort aussi atroce ? Et Martine ? Peut-être qu’elle était encore vivante, attendant de servir d’encas à un monstre ? Mais il n’y avait pas de sang. La coupure nette et précise n’évoquait pas de dents, de crocs… Qu’est-ce que c’était ? Bon, inutile que je meurs aussi dans ce qui n’était plus un appartement, mais bien un cauchemar éveillé. La peur de mourir déchaînait les battements de mon cœur. Ils devenaient assourdissants. Bientôt je ne pus entendre que ce son. Je m’efforçais de prendre de grandes inspirations afin de me calmer. De respirer par le ventre, aussi bêtement qu’une séance de relaxation pouvait s’envisager maintenant. Réfléchir… Aucun véritable danger ne s’était manifesté et cela, c’était ma réalité. D’accord il y avait ces traces, pieds nus, dans la neige, immenses, mais je ne devais pas oublier que le salon n’était plus très loin…

A peine eu-je franchi l’entrée du salon que je dérapai. Je tombai lourdement sur le sol qui s’ouvrit sous moi comme une trappe. Emporté le long d’une sorte de tube aussi raid qu’une descente de montagne russe, j’hurlais sous la pression de la vitesse. Un bruit sec retenti subitement et l’inclinaison s’ouvrit sur des virages à angles droits. Je sentais mon visage crispé, saisi d’une paralysie faciale. Un cri assourdissant et inconnu, bien qu’issu de ma poitrine, résonnait dans mon sillage. J’eus le souffle coupé par l’atterrissage brutal sur le dos. Je restai là abasourdi, mon sac à dos ayant relativement amorti le choc.

Où étais-je ? Certainement au niveau de la cave…ou les égouts. L’atmosphère méphitique qui m’empêchait de reprendre ma respiration, m’incita à regarder le sol gluant et spongieux. Je ne voyais pas à un mètre et n’avais plus aucun souvenir de mes derniers liens avec la lampe torche. Je devais continuer de progresser, à tâtons. Je me redressai tant bien que mal, pataugeant dans ce qui s’apparentait trop vraisemblablement à de la matière fécale. Mon sac à dos avait tenu le choc et conservé sa position sur mes épaules, sans perdre son contenu. J’avais faim. Un creux dans l’estomac peut être dû à la peur. Mais les effluves fétides favorisaient la nausée. Soudain, derrière moi, j’entendis un bruit mat… le silence… puis des chuintements semblables à des pas. Je m’immobilisai. Je n’avais pas d’arme pour me défendre et rien qui y ressemblait, si ce n’était… mon couteau suisse ! Mais où était-il dans le sac à dos désordonné ? Des pas se rapprochèrent et je discernais une respiration rapide, saccadée… Humaine ?

Tandis que ma main cherchait, affolée, ma seule arme, un corps me frôla et j’hurlais (encore) comme un enfant. La créature elle-même émit un son strident, avant d’effectuer un saut qui sembla gigantesque sur ma droite. Je cru l’entendre retomber très loin de moi. Le cri suivant rectifia mes conclusions. 

  • J'ai la trouille, mais je ne sais pourquoi, je sens la compagnie de Alice au Pays des Horreurs ! et ça me rassure, parce qu'Alice saura nous en sortir de ton récit dément !! Bravo.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Img 0789 orig

    Gisèle Prevoteau

  • Non mais là, tu déconnes!!! C'est pas possible d'avoir une imagination débordante comme ça. Tu dois te faire des peurs bleues à écrire des choses aussi flippantes. LA SUIIITE !?! Mais pas trop vite, il faut que je reprenne mon souffle :)

    · Il y a presque 14 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • Quelle imagination Mérielle ! J'ai moi aussi sursauté à plusieurs reprises derrière mon écran... alors comme un refrain : la suite PLEASE !

    · Il y a presque 14 ans ·
    Images 2 orig

    nouontiine

  • Merci, vous me faîtes rire. C'est un plaisir de sentir que vous vous laissez porter, ce genre suspens, imaginaire c'est pas une mince affaire.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Alice orig

    merielle

  • ............oui le suite ...moi aussi j'ai la trouille et là il est minuit 15 ...pitié Mérielle !!!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Iphone 19novembre2011 013 orig

    Manou Damaye

  • J'ôte mes moufles pour te pianoter "c'est top Mérielle, vivement la suite !". Tu as l'art d'entretenir le suspens, bravo !

    · Il y a presque 14 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • NOOOOOOOOON!!! Ca c'est le mien de cri Mérielle, tu l'as bien entendu? La suite demain j'espère!! :))

    · Il y a presque 14 ans ·
    Mn 35 orig

    lapoisse

  • Ah ! j'ai la trouille aussi ! tu es plutôt efficace dans le style ! et sans pitié avec nous par le choix du feuilleton ! moi aussi j'attends la suite...

    · Il y a presque 14 ans ·
    Camelia top orig

    Edwige Devillebichot

  • Quel cauchemar!!! J'en claque des dents! J'attends la suite avec les mains sur mes yeux écarquillés, j'ai la trouille!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

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