Porte close

Pascal Bléval

Texte: pour une fois, pas de description du thème au préalable. Il vous faudra le lire sans savoir.

Je sais, je suis cruel. ;...;

Texte court. 3000 caractère.

Porte close

Je t’ai tout balancé, ça y est, c’est fait. Sur une impulsion.

À ton retour du travail, les mots sont sortis, un peu dans le désordre.

On dit qu’on se sent plus léger, après, qu’on s’enlève un poids de la conscience.

On dit beaucoup trop de conneries. Parfois, il vaudrait mieux se taire, recouvrir ses fautes sous une chape de silence en béton armé et passer à autre chose.

Mais je t’ai déjà tout dit, c’est trop tard pour faire machine arrière, à présent.

Je t’ai parlé de la salle d’audience, au tribunal. De cet homme, un avocat je crois. Je ne me souviens pas de son nom.

Je ne me souviens que de la douceur de ses lèvres, des mensonges agréables auxquels il m’a fait croire, l’espace de quelques minutes, avant de s’éloigner sans même se retourner.

Je t’ai tout dis, et tu ne m’as pas regardé un seul instant. Tes doigts tripotent un stylo, tes yeux cherchent la lumière du soleil couchant.

Lorsque je me tais, j’aimerais pouvoir casser ta montre et son tic-tac agaçant. Peut-être cela te ferait-il réagir, au moins, et ce serait mieux que ce silence qui me fait me sentir moche. Crade.

« Tu crois que ça te salirais les oreilles, de m’écouter ? Je te demande une oreille, une seule, et c’est un mur que tu m’offres, une porte blindée sans même un trou de serrure pour écouter à travers. La porte de la prison que tu as bâtie autour de moi ! »

Je t’insulte, je te vomis à la figure toute la colère que je ressens contre toi, contre moi, contre le monde entier.

Je repense à toutes ces soirées passées à la maison, à regarder la télé alors que j’aurais voulu sortir, voir mes amies. Tu ne m’as jamais rien demandé. Je voulais te montrer que je t’aimais, je crois. Je ne sais plus. Est-ce que je t’aimais ?

Je me sens seule. Toi et ton regard fuyant.

Tu te lèves, plonges une main dans la poche de ton manteau avant de l’enfiler et de revenir vers moi. Je croise ton regard un bref instant, et je n’y vois rien, pas le moindre sentiment. Ni colère, ni tristesse. Rien que le vide absolu. J’ai envie de te secouer, de crier, mais j’ai la gorge nouée, rien ne sort.

Tu poses quelque chose sur la table, une boite noire, que tu ouvres d’un geste lent. Je ferme les yeux, le visage inondé de larmes. Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi pas hier, la semaine d’avant ? Il y a un an ? Peut-être la caches-tu dans ta poche depuis tout ce temps, à attendre le bon moment. Le bon moment, ça n’existe pas. Il n’y en a que des mauvais, ou des moins mauvais.

« Je voudrais que tu ne sois plus là à mon retour. Prends la bague, s’il te plait. »

Je ne veux pas que tu sois poli ! Je veux que tu m’engueules, je veux que tu te battes, contre moi, pour moi !

Mais on ne se bat pas pour un fantôme. Le passé, on l’enterre. Et dans tes yeux, le fantôme, c’est moi.

Je sens que j’étouffe déjà.

« Ne t’en vas pas. », je murmure, seule face à la porte close.

Le bruit de tes pas dans le couloir. L’ascenseur qui se referme. La voiture qui démarre.

Tu es loin, et j’ai froid, je tremble.

« Reviens… »

Signaler ce texte