Ravage
fionavanessa
Toi que j'aimais,
J'ai si peu de mots.
Je n'explique rien. Je sais que je t'aimais. Jusqu'à ce que je me brise et écrive pour tuer, tuer ce toi qui me tuait à petit feu, tuer ce toi qui me collait à chaque pas.
La sagesse aurait été de ne rien dire. De s'aimer en silence, de laisser parler le coeur.
Mais je n'en avais que le germe. Trop verte.
Nous nous aimions et en sont nés nos enfants. Pour moi, cette alliance-là les valait toutes. Cela allait de soi. Je t'aurai tout donné. Mais le vent a tourné, tu t'es détourné, cela m'a retourné le sang. Tu ne m'entendais pas, contre vents et marées, ce que j'articulais se perdit dans le torrent sourd d'un mauvais rêve. L'amour s'en fut. Mes larmes n'y ont rien changé.
Je t'ai détesté de me laisser toute seule face à l'avenir. Je t'ai détesté de devoir distribuer entre nous, pour se partager nos enfants, chaque jour que l'année produit, qui maintenant se nomme jour avec ou jour sans.
Je t'ai détesté de jeter mon coeur loyal en pâture aux fauves, dont le plus féroce fut ta propre mère ; je t'ai détesté de m'appeler ta princesse puis de me laisser choir. Inconstance. Que j'étais stupide. Je croyais qu'il suffisait d'offrir mes bras pour que tu les saisisses. Je n'ai pas su à temps que le mot réciproque est un petit miracle en soi.
Qu'aurait-il mieux valu ? Choisir la peur de la blessure et ne pas répondre à ton premier regard, par crainte d'y laisser ma peau ?
La peur s'immisce de toute façon sans être invitée. Je peux seulement choisir de ne pas la laisser me dévorer, la peur qui tue l'amour.
Je n'ai pas plus choisi l'amour. Il m'est tombé dessus, ou m'a choisie, lui. Avais-je besoin d'apprendre une amère leçon ? Sans doute. Connaître la chanson par coeur, jusqu'à la nausée ? Jusqu'au cri qui tue, jusqu'au spasme de refus de tous les atomes de mon corps ?
Nous les anciens complices, nous ne comprenions plus. Errions dans la machination. Deus ex machina. Je fus le jouet de quelque grand rouage que je ne vis pas, la pâte à bois qui colmata l'éclat. Sabotage. A vous deux, mère et fils, vous étiez duo de collabos et moi l'intruse, moi l'empêcheuse de tourner en rond, moi la maquisarde qui fis dérailler le train.
Mais sans moi, tu ne l'eus jamais pris, ce train.
Erreur d'aiguillage ?
J'ai mis si longtemps à trouver le courage de partir. J'ai espéré si longtemps que tu me retiennes. Que tu me regardes. Que tu m'ouvres les bras, sans mot dire. J'aurais alors tout oublié pour m'y glisser. Mais non. Tu me fis croûler sous les reproches, l'amertume, le désaveu. Ne te moques pas ; j'ai eu si froid dans notre maison, si mal dans notre histoire froissée.
J'ai mis du temps à oser dire demain. Pendant longtemps, j'ai cassé du mur, poncé, repeint, rebouché, scié et posé le sol à genoux. J'ai touché ma mère la Terre de mon front brûlant, je n'ai eu d'yeux que pour elle, je l'ai arrosée de mes larmes et baisée de ma bouche. Elle a veillé sur moi et redonné des forces. J'ai appris de mon père le Ciel la patience d'attendre demain, un autre jour possible. J'ai fait l'effort constant de regarder devant, faire ce qu'il y avait à faire tant bien que mal, et derrière le rideau de larmes, est venu le sourire. J'ai pu respirer et respirer encore, une heure, un jour de plus.
Aujourd'hui je peux dire que cet amour est achevé, il a laissé sa marque blanche, tel un anneau, autour de nos doigts pour la vie. Et aujourd'hui je te laisse à ta vie et m'en vais vers la mienne, avec toujours ce trait d'union entre nous que sont nos enfants.
Vers mon printemps tardif.
Et je sais maintenant que loin de me briser le coeur, tu l'as ouvert au champ infini des possibles.
Sigh no more, ladies, sigh nor more; / Men were deceivers ever; / One foot in sea and one on shore, / To one thing constant never; / Then sigh not so, / But let them go, / And be you blithe and bonny; / Converting all your sounds of woe / Into. Hey nonny, nonny.
· Il y a plus de 9 ans ·Plus ne soupirez, Mesdames, plus ne soupirez / Les hommes ont été trompeurs toujours / Un pied dans la mer et un sur le rivage / À une seule chose fidèles, jamais.
Alors ne pleurez plus, / Mais laissez-les s’en aller / Et soyez gaies et jolies / Changeant tous vos airs chagrins / En tralalalalère.
W. Shakespeare
frederik
Ha ! que ce cher vieux Will le dit avec brio et douceur !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Un texte très touchant et fort bien écrit. La trahison d'un homme aimé est toujours un déchirement terrible.
· Il y a plus de 9 ans ·veroniquethery
Merci pour le gentil commentaire
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
J'ai été touchée par ton texte, qui fait écho en moi.
· Il y a plus de 9 ans ·veroniquethery
cette conclusion est tout ce qu'il faut retenir. merci.
· Il y a plus de 9 ans ·ellis
oui c'est exactement ça le plus important !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
puissant, beau et fort qui m'a fait versé une larme rappelant que les histoires d'amour finissent mal en général, mais la dernière phrase ouvre le coeur au champ infini des possibles que cela finisse bien un jour?cdc bien sur
· Il y a plus de 9 ans ·mylou32
Merci pour votre coup de cœur !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Juste beau !! j'aime
· Il y a plus de 9 ans ·Patrick Gonzalez
Je ne sais que répondre ; rien si ce n'est merci de votre lecture amie
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
;-))
· Il y a plus de 9 ans ·Patrick Gonzalez
très émouvant, tout d'un trait, l'amour et sa déchirure, et la phrase de fin magnifique "tu l'as ouvert au champ des possibles" sublime!
· Il y a plus de 9 ans ·elisabetha
Merci beaucoup ! d'un regard de lectrice émérite, et de femme, tu as vu tous les mouvements de mon coeur !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
c'est courageux je viens de le relire c'est très fort très brut, take care
· Il y a plus de 9 ans ·Christophe Paris
Thank you, pour les compliments et la gentille pensée ; la bonne nouvelle c'est que rien ne perdure, même les ravages !
· Il y a plus de 9 ans ·C'était ce que je voulais, ne pas mentir, ni broder, alors tes compliments m'ont fait plaisir
fionavanessa
C puissant de sincérité qui ne peut que nous toucher très beau
· Il y a plus de 9 ans ·Christophe Paris
waoh dur, beau suis en plein dedans en plus donc suis total ravagé, sorte de vérité crue et sans artifice profonde et dense, boum une vraie bombe
· Il y a plus de 9 ans ·Christophe Paris
Très beau, belle ouverture!
· Il y a plus de 9 ans ·siiiliii
Merci
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa