Rédemption
nouontiine
Rédemption
Il avançait, le dos ferme et le regard droit, pour ne pas entendre le flot d’injures qui déferlait sur lui. « À bientôt Bob le pointeur ! », le narguaient les autres, ses anciens codétenus. « Va chasser la bête, chien mort ! », hurlaient-ils vautrés dans leur propre désespoir. Lui marchait et happait l’air frais de ce jour nouveau, comme une bête depuis longtemps enfermé et soudain lâchée dans un monde qui lui est désormais inconnu. Ou presque.
« Jamais je ne remettrai les pieds dans cette tombe », répétait-il en son coeur inquiet, tourmenté à l’idée de ne savoir en quelle direction porter ses pas. Alors, il suivait la grande route, celle qu’il avait empruntée treize années auparavant, maintenu dans une camisole souillée par l’urine qui s’échappait de son corps, sans qu’il puisse en contrôler le jet. Ou même la portée. C’est ainsi qu’il s’était présenté pour la première fois aux autres : le regard fou et le corps vaincu par la peur.
Au bout de deux heures de marche sur la route qui lui semblait être celle de la rédemption, il entrait en ville. Guingamp, cette ville dont il ne connaissait que le nom, était une bourgade typiquement bretonne et apparemment calme.
Un café. C’est d’un café brûlant, corsé et presque amer dont il rêvait, pas de cette eau noirâtre et plusieurs fois réchauffée qu’on leur servait en pénitence.
En quelques clins d’oeil, il repérait un bar. Il en fit le tour, hésitant longuement avant d’y pénétrer, parce qu’il avait peur maintenant de ne plus être tout à fait humain. Plusieurs personnes l’avaient déjà dévisagé, sans doute à cause de son air hagard et de son accoutrement bizarre. Un vieux pantalon en velours vert, assorti d’une chemise jaune pisse. Un paquetage de départ - auquel s’ajoutait une Bible racornie et trois tickets restaurant d’une valeur de 7,50 euros chacun – que lui avait remis l’aumônier, la veille.
Enfin, il se décidait à entrer le bougre ! Et il s’avançait jusqu’au comptoir, le pas hésitant, dérouté par le large sourire de la jeune fille qui se tenait derrière.
Elle, on l’avait depuis longtemps classé dans la catégorie des femmes qui, seins en avant et sourires avenants, maniaient l’art de parler dans le vent.
« Bonjour, un p’tit noir ? », l’apostrophait-elle déjà de sa voix stridente qu’elle voulait délicate. Ébauche d’un sourire qui, au final, ressemblait davantage à un rictus.
« Ouais », susurrait-il d’une voix rauque.
Elle, ne se laissait pas démonter. Lui, sirotait son café, lentement, et le plaisir qu’il éprouvait à se tenir ainsi, dégustant son breuvage accoudé au comptoir, en était presque indécent. Dans la quiétude de l’instant, il en recommandait deux autres et la jeune fille, lassée par cet homme bien taciturne, s’était finalement détournée. Elle le trouvait pourtant pas mal dans son accoutrement décalé, les cheveux blonds et les yeux d’un vert translucide. Au bout d’une heure, il lui faisait signe et déposait un ticket restaurant sur le comptoir de zinc. Elle rappliquait et éclatait aussitôt de rire, les seins en avant, tandis que lui avait maintenant envie de la gifler pour faire taire cette offense.
« Toi aussi tu sors du trou ? », lui demandait-elle la bouche béante.
Il marmonnait, le corps soudain en éveil, décontenancé par l’attitude de cette fille à la fois niaise et provocante. « Ça se voit à ta gueule ! », assenait-elle.
Depuis combien temps n’avait-il pas touché une femme, s’amusait-elle, tandis que lui songeait avec une haine profonde que personne ne l’attendait et se souciait encore moins de savoir où il en était.
« Je termine mon service à 13h... dans une demi-heure. Si tu veux, tu peux m’attendre », osait-elle à brûle pourpoint. De la pitié. Était-ce de la pitié qu’il lui inspirait ?
Il observait maintenant attentivement cette grande gigue, surpris qu’on puisse encore lui prêter quelque attention, lui dont tout le monde s’était depuis longtemps détourné. Il hochait la tête en guise de réponse, incapable pour le moment d’émettre autre chose que ce râle qui s’échappait de sa gorge.
Elle, elle s’en foutait, pérorait, trop heureuse d’en avoir coincé un, un homme, aussi étrange soit-il.
Un peu plus tard, ils poussaient la porte du foyer de jeunes travailleuses où elle avait été admise trois mois auparavant. « Tu te fais passer pour mon frère, ok ? », gloussait-elle en poussant la porte d’entrée. Comme si j’avais l’air d’être en promenade !
Ils montaient en silence les marches qui menaient à sa chambre, située au deuxième étage de la bâtisse. Il l’avait laissé passer devant, afin de profiter de sa croupe et du parfum à la fois suave et animal que dégageait son épaisse tignasse. Il a l’air drôle tout de même. Cette façon qu’il a de regarder à l’intérieur même de mon corps...
Enfin, ils pénétraient dans la petite pièce qu’elle occupait seule, pas plus grande qu’une cellule mais bien plus confortable et imprégnée de la même odeur que dégageait son sillage. Elle jacassait, se dandinait, subitement mal à l’aise dans cette petite chambre proprette et exiguë, qui en disait bien plus long sur elle qu’elle ne l’aurait souhaité.
Ils se jaugeaient, chacun attendant de l’autre une approche. Lui s’était mis à trembler et elle prenait cette agitation de son corps pour une excitation débordante. Elle le sentait fébrile, hagard et ne savait comment s’y prendre pour l’aider à se détendre. Elle s’approchait de lui, languissante et câline, prête à baiser ses mains, ses joues et ses yeux dont elle ne pouvait détacher son attention, tant ils étaient vifs et avides. Mais lui la repoussait, anxieusement. Pensant que c’était un jeu, elle revenait à la charge, plus sensuelle encore. Jusqu’au moment où, de nouveau vaincu par la rage, l’humiliation et la peur, il l’a saisie par la nuque et la plaquait sur le lit qui gémit sous leur poids. Il haletait, soufflait son haleine fétide sur son visage et la regardait de ses yeux fous, d’un vert translucide. Saisissant sa méprise, elle commençait à avoir peur.
« Lâche-moi », suppliait-elle.
« Les autres... », hurlait-il comme une bête.
« Quoi, les autres ? », s’affolait-elle.
« Les autres... Ils... ils me l’ont coupé », lâchait-il dans un cri, terrifié, tandis qu’on tambourinait à la porte.
Elle ne bougeait plus, d’horreur paralysée, mais Bob, lui, s’élançait déjà sur la porte, bousculant au passage Iris, la responsable du foyer. « Que se passe-t-il ici ? », interrogeait-elle de sa voix tonitruante.
« Rien, je passais voir ma frangine », criait-il de sa voix rauque, éraflée, avant de s’élancer dans l’escalier.
Une fois dehors, il plongea dans le crépuscule, haletant, en quête de rédemption.
Bob. On misait sur lui.
Du Nuontîine pur souche que j'attends à chaque fois avec impatience ! C'est fort et inquiétant. Violent dans le silence de Bob qui amène à une chute tonitruante. Bravo, encore.
· Il y a presque 14 ans ·leo
Au risque de répéter ce qu'ont dit tous les autres, la fin est tranchante !
· Il y a presque 14 ans ·mls
Bravo ! Une histoire parfaitement bien menée. Une fin terrible.
· Il y a presque 14 ans ·Gisèle Prevoteau
Super ! terrible surtout la fin !
· Il y a presque 14 ans ·sophie-dulac
Terrible! Bravo!
· Il y a presque 14 ans ·meo
Bien joué, histoire bien menée. Bravo.
· Il y a presque 14 ans ·yl5
Pas mal du tout.
· Il y a presque 14 ans ·retrogarde
superbe écriture ....waouh que c'est touchant et ...triste BRAVO
· Il y a presque 14 ans ·Manou Damaye