rêve américain
clemence-leasther
A l’instant où le réveil a sonné, j’ai su que la journée serait longue. J’aurais certainement du formuler cette remarque la veille, avant de siffler mon 5ème cocktail, mais, si cette pensée m’a traversé l’esprit au cours de la nuit, elle n’y a laissé aucune empreinte. C’est donc une révélation douloureuse que m’a offert mon cher réveil ce matin. C’était il y a à peine deux heures et mon stock d’énergie est déjà à plat.
Devant moi, une femme s’extirpe du flot de piétons et hèle un taxi. Je regarde les jambes voilées qui disparaissent, la portière claque et la voiture se glisse dans la circulation. Au premier carrefour, elle se perd au milieu des yellow cabs.
Les écrans publicitaires sans relief projettent des messages criards. Des battles de couleurs et de clignotements anarchiques animent les façades au dessus des hommes affairés.
Je cherche, sans y croire, un quelconque indice qui me guidera dans cette jungle. Mes tempes sont douloureuses. Je ne supporte plus le contact avec cette foule qui me frôle, me touche, me heurte. Tous mes sens sont agressés.
Je voudrais sortir de cet enfer, retrouver mon lit que je sais encore tiède. Mais bien sûr c’est impossible. Si je rate un cours, je serai immédiatement exclu de l’Université et, par voie de conséquence, je serai impitoyablement déshérité, rayé à jamais de l’histoire de la famille Deverre et je développerai très certainement un sentiment de culpabilité éternel vis-à-vis de mes parents qui ne manqueront pas de mourir de tristesse suite à cet affront.
D’un naturel plutôt conciliant, je décide donc de puiser dans mes réserves et continue péniblement mon avancée sur la 52ème rue en direction de « la connaissance ».
Soudain, j’aperçois ce qui pourrait ressembler à une bouée de sauvetage au milieu de cette folie. Une jeune femme blonde, habillée d’une robe blanche, me fixe d’un regard taquin. Debout sur une bouche d’aération du métropolitain, elle pourrait s’envoler. Le souffle porte son rire et fait danser sa jupe légère, dévoilant ses cuisses délicieuses.
Je suis maintenant à sa hauteur. Elle m’interpelle, amusée.
« Comment t’appelles-tu, jeune homme ? Moi c’est Marilyn. Si tu le veux, je peux te présenter tous mes films et j’ai aussi beaucoup d’histoires à te raconter. »
Appréciant cette aimable invitation, je décide pourtant de poursuivre mon chemin.
Je m’éloigne et un débat de conscience houleux s’engage alors entre mon petit ange mielleux qui me félicite de mon sérieux et mon petit diable colérique qui me traite de con. Je tente de séparer les deux compères qui en viennent aux mains, lorsque j’entends des cris et une bousculade derrière moi.
Je suis violemment projeté par un homme en pleine course, contre la vitrine d’un restaurant italien. Assis sur le trottoir, sonné, je vois le fuyard, chapeau de feutre vissé sur la tête, costume sombre et flingue long comme le bras, sauter sur le marchepied d’une berline noire qui démarre en trombe. Dans un mouvement théâtral, un rien cabot, il lance, avant de disparaître, un vibrant « fuck la prohibition ».
Le message, à priori inoffensif, a un effet dévastateur sur mon cerveau, qui décide d’interpréter ce message selon une arithmétique toute particulière. Je sais, depuis cet incident, que mon système nerveux fonctionne par association d’idées : prohibition → alcool → migraine. L’effet est immédiat. Mon léger mal de tête que je connais bien pour l’avoir souvent croisé et presque apprivoisé, se transforme en une douleur insoutenable, perçant mon crâne de dizaine de forets en action. Toujours au sol, je suis incapable de bouger.
Autour de moi, les hommes aveugles poursuivent leur marche. Des jambes de toutes formes, de toutes couleurs et de toutes matières défilent devant mes yeux. Le procédé est plus efficace qu’un troupeau de mouton. 1 jambe, 2 jambes, 3 jambes,… Je me sens partir. Dommage pour l’Université, Dommage pour l’héritage, Papa, Maman, paix à votre âme.
Ma vie est une histoire et dans toute histoire, il y a un sauveur. Le mien a pris l’apparence d’un vieil indien. Son chant m’arrache avec douceur des bras de Morphée. Il dépose sur ma langue une feuille sombre, qu’il m’invite à mâcher. Son pouce enduit d’une crème pâteuse glisse sur mon front. Le chant s’est éteint. Il me fait signe de me lever. Comme une évidence, j’obéis à chacune de ses demandes. Lorsqu’il s’efface dans la foule, je me sens bien, flottant.
Le néon bleu pastel sur la façade d’un bar de l’autre côté de la chaussée m’attire comme un insecte. Deux voitures aux lignes ciselées sont garées devant l’entrée. Je pousse la porte et pénètre dans l’établissement lumineux. Derrière le bar, une femme d’une cinquantaine d’année coupe une tarte aux myrtilles et ne prête aucune attention à mon arrivée. Assis à une table à proximité de la vitrine, un homme à peine plus âgé que moi m’invite à le rejoindre. Il est vêtu d’un uniforme kaki. Lorsque je m’approche, j’aperçois les roues de son fauteuil et le haut de ses jambes mutilées.
C’est à cet instant que l’autorité universitaire se rappelle à mon bon souvenir. Sur un écran fixé au mur apparaît le visage sévère de ma professeure d’histoire. « Plus qu’une minute Deverre, plus qu’une minute »
Ma journée sera longue, mais intéressante. Je souris à ce vétéran qui a beaucoup à m’apprendre. Je reviendrai. Je lui tends ma carte et me précipite à l’extérieur. Le rayon me frappe avant que je n’ai refermé la porte.
J’ouvre les yeux sur la salle d’étude. Tous les étudiants sont déjà arrivés.
« Et bien puisque Deverre est enfin parmi nous, nous allons pouvoir commencer le debrief. Votre première session d’immersion dans le monde lointain est terminée. Vous avez tous établi un contact et remis votre carte d‘identification, qui vous permettra de revenir à ce niveau de l’exploration, lors de la prochaine séance. Vous passez donc cette épreuve avec succès.
Toutefois, certains ont déjà fait appel à leur joker d’aide à la navigation, je vous rappelle que vous devez en avoir une utilisation limitée. Je connais un vieil indien qui risque de s’épuiser rapidement. N’est ce pas Deverre ? »
« Concernant les informations que vous détenez sur votre contact, je vous invite à les partager et les confronter avec vos collègues. N’oubliez pas que votre objectif est d’établir une image fiable de l’Amérique telle qu’elle existait il y a deux siècles.
Je tiens enfin à féliciter Barack qui a remis sa carte à une jeune femme, Marilyn, qui a très certainement d’importantes informations à nous transmettre. Elle a eu accès, pendant une période clé de l’histoire de l’Amérique, à des secrets restés inconnus à ce jour. »
Je ne suis pas intervenu pour arrêter mon petit diable colérique qui, à ces mots, s’est jeté sur le petit ange mielleux pour le rouer de coups.
Avec du retard mais me voici ! J'étais déjà très heureux de voir ta notification car tes mots sont rares et le suis encore plus de l'avoir lue ! C'est très réussi, très bien écrit, à la chute très surprenante ! Bravo Clémence.
· Il y a presque 14 ans ·leo
J'ai beaucoup aimé l'écriture vive, le concept complètement fou (quoique ?) et l'Amérique !! Merci.
· Il y a presque 14 ans ·mls
C'est original et sacrément bien écrit. J'ai bien aimé Clémence. Ton texte m'a fait voyager aux States ce soir. Merci beaucoup.
· Il y a presque 14 ans ·bibine-poivron
ah si j'aime bien ! la fin est intéressante, et du coup, ca mérite d'être développé... En roman ! hihihih i !
· Il y a presque 14 ans ·Daniel Macaud