Rhinoplastie

sophie-dulac

Rhinoplastie

 

A force de  passer mon poing dans le miroir, de croiser mon profil sous Lexomil, il fallait bien que je me décide, je suis rentrée à la clinique.

C’est une belle chambre individuelle en rose trop pale «  pâté de foie », une mauvaise reproduction de  Gauguin plane sur un couvre lit pilou désuet.

 Une opulente  infirmière périphérie de Saint Denis vérifie si j’ai pris ma douche à la Bétanine  avant de m’apporter une pilule pour me relaxer.

 Un malabar blouse longue et sabots Birkenstock m’enlève en chaise à roulettes dans un dédale de couloirs. D’intermittentes  portes battantes sous d’aseptiques néons blafards laissent passer mon convoi, désinvoltes portails avant la salle d’opération.

On m’allonge  sous un soleil globe en plastique. Le petit cachet bleu vient bravement à bout de mes réticences quand une bouche voilée de polypropylène blanc me demande de rester calme avant de me poser une voie veineuse, mon autoroute narcotique. Considérée par un bataillon de masques chirurgicaux, je songe à la mangue outrancièrement orange du Gauguin de ma chambre et je m’endors.

Dans mon sommeil artificiel,  mon inconscient bien confortable, mon nez est taillé, coupé et dépecé.

On rabote son cartilage, on le taille, le ciselle, le sculpte. On reconstruit, on raccommode ressoude la pulpe et recoud la chair.

Je me réveille dans une autre salle, ankylosée, la bouche en carton pâte, presque étonnée de ne pas sentir du jus de mangue dans mon gosier. Un vilain goût de sang remonte dans mon œsophage assoiffé. Un autre polypropylène survole mon visage et me réclame un mot nécessaire à l’estimation du retour de ma conscience.

Je demande de l’eau, on me répond que je pourrai boire dans ma chambre.

Pilotée à nouveau par Birkenstock, je glisse dans les couloirs et leurs portes battoirs  jusqu’à mon lit et mon Gauguin.

Elle me regarde toujours la mauvaise croûte, ma seule interlocutrice. Dans son cadre suranné, la très belle tahitienne et son nez empâté me tend toujours une mangue.

Je ne ressens aucune douleur juste un sentiment de malaise, j’ai mal au ventre je vais vomir.  Je me dirige titubante jusqu’au cabinet de toilette attenant à ma chambre, j’observe mon visage amorphe. J’ai une grosse coquille d’œuf sur le nez, un plâtre en résine recouvre le chantier sanguinolent, une énorme compresse est collée sous mes narines et je pleure.

Une bruine commence à suinter le long de mon affreux faciès.  Des larmes de désespoir et de joie, des larmes d’humiliation, de rédemption, de soulagement mais aussi d’effroi, je pleure et j’étouffe dans la confusion de mes sentiments. Je vais me noyer dans l’eau tiède et salée de mes sanglots que je n’arrive plus à réprimer.

Juste le temps de saisir la sonnette, de m’accrocher au lavabo et la massive infirmière arrive en force. Elle me prend dans ses bras chauds jusqu’à mon lit.

Elle me prodigue divers soins, étrangement sa bonne humeur accroit mon désarroi. Des compresses d’eau glacée sont posées sur mes yeux, ma moustache pansement est ôtée provisoirement pour évacuer le sang contenu dans le canal de chaque attelle nasale. Cette tuyauterie toute nettoyée, elle me conseille de me reposer, deux comprimés arriveront  à éteindre le feu de mes émotions contradictoires.

Je dors d’un sommeil sans rêve, je sais que demain je sortirai les paupières enflées d’ecchymoses. Avec les jours, les stigmates de l’opération s’évanouiront, sous la coquille de résine, un nouveau nez parfait apparaitra.

 Quant aux bleus de mon âme, ces tumeurs inopérables, elles resteront.

« Le laid peut être beau, le joli, jamais. » Paul Gauguin

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