Rituels - introduction
grenouille-bleue
(Rebonjour à tous ! Ca devait bien faire six mois que j'avais quitté Welovewords, notamment suite à l'aboutissement de certains projets de romans. Deux sont pris et devraient sortir en avril et juin 2012. Bon, c'est de l'heroic fantasy, donc ça ne plaira pas forcément à tous, mais j'en suis très content ^^).
Voilà l'introduction d'un roman noir que je souhaite également publier, et qui devrait être achevé dans un mois. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, c'est aussi votre cruauté qu m'a manqué :D
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No, no, no, no !
Don’t phunk with my heart !
- The Black Eyed Peas
Sous le T-shirt à l’effigie de NoFX qu’elle portait en guise de chemise de nuit, les faux seins de Fanny se gonflaient au rythme de sa respiration précipitée. La jeune fille était fière de ses implants, indiscernables à l’œil nu. Combien d’hommes avaient défilé dans son lit, l’expression rêveuse devant de tels monticules de chair, incapables de discerner la silicone derrière la texture ferme? Après une adolescence ingrate, elle avait attendu avec impatience de sentir le frisson du bistouri.
Le scalpel qui se tendait en ce moment vers elle était une autre affaire.
- Je ferai ce que vous voudrez, murmura-t-elle, les mots rendus inaudibles par le lourd bâillon qui lui entravait la bouche.
C’avait toujours été son problème, bien sûr, faire ce que les autres voulaient.
Danse autour de la barre. Laisse tomber les habits. Frotte-toi sur les genoux des clients. Fais-lui une petite pipe. Couche avec lui. Couche avec elle. Couche avec eux. Souris à la caméra.
Elle avait traîné dans un nombre incroyable de coups tordus, surprise d’être encore en vie pour profiter de l’argent qu’elle mettait sagement de côté. Cela relevait du miracle à cette époque où le Sida menaçait chaque rapport non protégé, où les bandes contrôlaient le marché du sexe au pistolet-mitrailleur et où le seul respect qu’elle gagnait dépendait de la qualité de ses gémissements.
Le scalpel captait les dernières lueurs de la bougie sur la table. Bientôt, la cire serait totalement consumée, la flamme vacillante disparaîtrait. Il ne resterait plus que les ténèbres et la silhouette adossée au mur, un sourire d’anticipation sur ses lèvres pleines.
Fanny lutta contre les liens qui entravaient ses membres, sans succès. Dans les films, dans les romans, elle avait souvent vu l’héroïne s’en sortir au dernier moment en parvenant à faire coulisser ses mains trempées de sueur contre la corde lâche, ou en trouvant un morceau de métal providentiel. Mais Fanny n’avait jamais appartenu à la race des héroïnes – ou alors l’autre, la dangereuse, celle qu’on s’injectait à la seringue en une giclée de vie saumâtre. Elle finirait ses jours comme elle les avait commencés : dans un cri déchirant, une gerbe de sang et une odeur d’excréments.
Dans sa cuisine, la vaisselle du week-end s’entassait encore. Elle ne supportait pas la saleté ; la simple vue des assiettes recouvertes d’une fine pellicule de graisse la rendait malade, mais elle n’avait pas eu le temps de s’en occuper. Maintenant, les couverts resteraient ainsi le temps qu’on découvre son corps. Elle ne comprenait pas pourquoi des détails aussi insignifiants la perturbaient, pourtant elle ne parvenait pas à se l’ôter du crâne.
Peut-être les poètes avaient-ils raison. Peut-être la dernière minute d’une vie s’étendait-elle à l’infini et qu’on avait l’occasion de revenir sur tous les événements importants, tous les détails marquants. Penser à des assiettes sales résumait bien la médiocrité de sa vie.
- Plus que quelques minutes, murmura la voix, chaude comme une caresse.
Les yeux de Fanny revinrent à la bougie. Un gémissement étouffé remonta contre son bâillon : il ne restait presque plus de mèche. Les volets de son appartement fermaient hermétiquement. L’assassin avait pris la peine de couper toutes les lumières, jusqu’à éteindre la télévision en veille pour moucher sa diode. Dans quelques secondes, l’obscurité se refermerait sur elle. Elle tira de nouveau sur ses liens, sans succès.
C’était quand même trop bête. Elle avait été payée pour coucher avec un nombre incalculable de personnes sans jamais ressentir la moindre émotion pour l’un d’entre eux. A vingt-cinq ans, elle en venait à croire que son cœur ne battrait jamais, que les souffrances qu’elle vivait au quotidien avaient démythifié l’Homme – avec un grand H et un petit sexe.
Lorsque le dandy l’avait abordée dans ce bar lounge des Champs-Elysées où elle aimait à traîner, elle s’était d’abord dit qu’il était trop vieux pour elle. La cinquantaine arrogante, peut-être un peu plus, avec un regard bleu de grand prédateur et des cheveux poivre et sel impeccablement noués en catogan. Qui portait une telle coiffure de nos jours ? Un directeur artistique coké jusqu’aux oreilles, un acteur de théâtre dramatique en mal de sensations, un marginal de plus à sa collection.
Puis son regard avait glissé sur la chevalière à son doigt et son opinion avait changé : un nobliau désargenté, en décalage avec son époque, teinté de mystère et de romantisme, rêvant d’un temps où une canne au pommeau d’ivoire ne provoquerait pas l’hilarité générale. Il parlait d’une voix grave et posée, rassurante, envoûtante, celle d’un homme habitué à se faire obéir.
Un coup d’œil à son costume, taillé sur mesure, grand couturier, pour que l’image évolue de nouveau : non, il ne manquait pas d’argent. Peut-être une des ces familles, de ces maîtres de forge qui avait su avec habileté passer de la noblesse à la bourgeoisie, de la richesse terrienne aux succès industriels. Elle avait lissé sa robe et lui avait souri. Elle aurait dit non au marginal ou au noble déraciné ; mais on ne refusait pas l’invitation d’un homme plein aux as.
Il s’était montré brillant, drôle, caustique parfois. Surtout, il l’avait écoutée. Elle avait du mal à se rappeler la dernière fois que ça lui était réellement arrivé. Il était vicomte, elle n’avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire, mais ça semblait très bien. Il jouait avec sa chevalière, lui avait montré les armes de sa famille – elle avait pensé au début qu’il allait sortir une épée, comme dans les films, mais ce n’était qu’un mot qu’il utilisait pour parler de son blason.
Tout s’était passé comme un conte de fées.
Le premier baiser, tellement doux, tellement tendre qu’elle s’était sentie fondre dans ses bras. La première nuit, sa surprise à le découvrir si énergique pour son âge, sa curiosité sur les effets éventuels du Viagra, puis l’oubli et l’abandon sous ses caresses expertes. Quelques mots au creux de l’oreiller pour compléter son bonheur. Elle avait quitté son manoir à regret, heureuse de sa soirée, plus propre qu’elle ne s’était sentie depuis des années, depuis que le sang avait commencé à couler entre ses jambes et que les hommes avaient cessé de la considérer comme une égale. Elle avait pris un taxi pour rentrer chez elle, s’était glissée sous ses draps avec une sensation étrange au creux de la poitrine. Elle avait envie de le revoir. Pour une fois qu’elle ne tombait pas sur un pervers, peut-être sa vie allait-elle s’améliorer ?
Puis l’irruption en pleine nuit, la forme indistincte dans la lueur du plafonnier, le chloroforme sur son visage, le réveil sur la chaise, la corde sur ses mains, le scalpel contre sa joue.
Elle aurait dû s’en douter. Il ne pouvait pas lui arriver quelque chose de positif, pas après toutes ces années. Elle n’était que Fanny aux gros seins, Fanny au beau cul, Fanny porno trash. Comment avait-elle pu croire à une quelconque rédemption.
- Tic, tac, souffla la voix. La lumière va bientôt s’éteindre, et tu sais ce qu’il se passe la nuit ?
Un sanglot secoua la jeune fille. Le tissu maculé de bave l’empêchait de parler, mais elle n’avait rien à répondre. Elle n’avait jamais eu peur du noir, voici au moins une terreur à laquelle elle avait échappé. Pourtant ses yeux captaient la lueur de la petite flamme jusqu’à ce que les larmes jaillissent, elle s’abreuvait à sa source, elle projetait toute sa volonté pour soutenir la bougie et l’inciter à brûler encore quelques secondes, juste quelques secondes, s’il te plaît mon Dieu, si tu existes, un miracle mon Dieu…
La flamme disparut.
Dans l’obscurité totale, les bruits prenaient des proportions indécentes. Il y avait la respiration précipitée de Fanny. Le sang qui lui battait aux tempes. Les gémissements de terreur qu’elle tentait de maîtriser. Le frottement de la corde contre ses mains engourdies. Le frôlement de pieds nus contre le plancher, qui se rapprochaient, se rapprochaient. La chaudière, quelque part dans l’immeuble, qui se mettait en marche. Un autre souffle, tout proche du sien.
Et puis les sensations, exacerbées elles aussi. Une main qui venait frôler le tissu de son t-shirt. Un doigt qui titillait son sein droit. Un baiser obscène, si doux, contre sa nuque. Elle sentit la chair de poule l’envahir.
Le scalpel commença son travail.
j'adore les polars, et plus c'est dégueu, plus ça me plait! très bon avant-goût, je veux la suite!
· Il y a presque 13 ans ·Karine Géhin
ah, le fantasme masculin du faux sein indétectable... j'attends la suite avec impatience! bravo, je trouve personnellement que ce texte est plus abouti que les premiers que tu avais postés ici, notamment au niveau du style qu'on sent plus travaillé, et plus fluide en même temps. La suite!
· Il y a environ 13 ans ·victoria28
On se laisse happer par ton histoire, servie par une belle écriture soignée.
· Il y a environ 13 ans ·nouontiine
Penser à éteindre, un petit geste pour la planète, bravo!
· Il y a environ 13 ans ·yl5
(********************************************)²
· Il y a environ 13 ans ·bibine-poivron
Allez Grenouille, je vais m'en remettre !!!
· Il y a environ 13 ans ·sophie-dulac
Merci pour vos encouragements, ça fait vraiment plaisir de voir que ça vous plaît !
· Il y a environ 13 ans ·Sophie, je n'avais pas l'intention de vous terroriser, la suite est espérons-le plus légère ^^
grenouille-bleue
C'est bon, très bon... félicitations :-)
· Il y a environ 13 ans ·3d0
salut Grenouille, heureuse de vous revoir parmi nous !
· Il y a environ 13 ans ·bravo pour la parution de vos romans, à défaut d'extraits, j'espère que vous nous donnerez des nouvelles le moment venu !
Pour ce texte, vous êtes bien à votre aise dans le genre thriller ... j'ai limite la trouille de lire la suite ... et j'ai un peu la phobie du noir...
sophie-dulac
On ne s'ennuie pas.C'est bon signe.
· Il y a environ 13 ans ·Marcel Alalof