Rupture

petisaintleu

Dans le cadre du concours Shakespeare et la jalousie

Quand nous arrivâmes sur Paris avec Caroline, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. J'étais vraiment heureux de retrouver la capitale. Pour elle, c'était le nirvana. Elle quittait papa-maman pour commencer sa vraie vie.

Pourtant, dès le début, elle me sortit laconiquement que je n'étais qu'un compagnon transitoire, un marchepied qui lui permettait de se mettre en orbite pour ses rêves de conquête.

Je n'en avais pas tenu compte. Tout allait bien. On faisait l'amour comme des lapins. Pourtant, nous n'habitions pas un clapier. David nous avait obtenu un très bel et spacieux appartement du type haussmannien à Ivry-sur-Seine, propriété d'une régie HLM, moyennant un billet qui permit à mon dossier d'être sur le haut de la pile en une semaine.

Les premiers mois se déroulèrent sans l'ombre d'un soupçon. Caroline était très fière de son nouveau lieu de résidence. Deux fois par mois, elle organisait une soirée avec ses nombreux amis qu'elle avait retrouvés en migrant en Ile-de-France. Nous avions une petite dizaine d'années de différence. Cet écart n'était pas un souci. Nous avions sensiblement les mêmes références, surtout au niveau musical, ce qui pour moi était un gage non négligeable de durabilité : Mickey 3D, Dyonisos ou Louise Attaque.

C'est au niveau professionnel que les premières failles apparurent. Nous nous étions rencontrés sur Lille. Nous travaillions tous les deux à la centrale d'achats d'Au Roi Merlin. Les horaires étaient alors ceux des bureaux et bien entendu, nous avions nos week-ends. En réintégrant un magasin, travaillant sept jours sur sept pour me faire des primes généreuses avec les permanences dominicales, sans oublier les astreintes qui m'obligeaient à me lever à l'aurore ou à me réveiller en pleine nuit, ma disponibilité devint quasi-nulle. Je reprenais mes habitudes de workaholic.

Je n'ai rien vu venir, trop harassé par la fatigue, trop concentré par mes objectifs professionnels. Pourtant, les signes auraient dû me sauter aux yeux entre les étreintes refusées, les petites attentions disparues et surtout ses retours au petit matin.

Quand un jour elle m'annonça que c'était terminé et qu'elle avait rencontré quelqu'un d'autre, le monde s'écroula. Bon prince, j'allais dormir chez des amis. En parallèle, l'insidieuse jalousie me hantait. Je lui laissais douze messages par heure en lui promettant de repartir sur des bonnes bases. J'en étais arrivé à délaisser mon travail. Je me plantais même à la sortie de son bureau pour la suivre et pour chercher à découvrir son nouvel amour. Il m'est aussi arrivé de rester des heures entières devant l'appartement, planqué dans ma voiture, dans le désespoir de saisir deux ombres derrière les fenêtres.

Un matin, j'avais rendez-vous pour un entretien au Grand Bizarre de l'Hôtel-de-Ville. En quittant le gîte d'un camarade, je m'aperçus qu'il manquait un document important et qu'il se trouvait à Ivry.

En montant les marches, mon intuition s'acharnait à me prévenir. Quand je sonnai, un inconnu m'ouvrit. Alors que je n'ai jamais fait acte de la moindre violence, je lui indiquai que j'étais le locataire et qu'il avait deux minutes pour dégager. Je sentais physiquement un jet de testostérone envahir mon corps. Quand Caroline se présenta d'un air courroucé, elle se prit un aller-retour.

L'instant d'après deux images me traversèrent l'esprit : celle de Bertrand Cantat qui avait commis l'irréparable quelques mois auparavant et celle de l'assassinat de Cleitos par Alexandre le Grand. Je n'ai jamais eu les résultats des tests que je passais deux heures plus tard en vue de mon embauche.

Il me fallut un mois pour faire tomber la pression. Je refaisais le monde dans ma tête. Je prévoyais de me suicider devant mon ex pour la faire culpabiliser pour le restant de ses jours, je m'imaginais tout plaquer et rejoindre une lamaserie au Bhoutan.

J'ai soigné le mal par le mal en sombrant dans les relations éphémères, comme une antidote provisoire. Au moins, la jalousie n'eut alors pas droit de cité.

Signaler ce texte