Sable blanc (3) - Tubes et cheveux mouillés

cerise-david

Je me réveille dans ce lit devenu trop grand pour ma seule vie. Je me retourne de son côté, le lit est vide et froid. Juste là au bout de mes doigts. Il me disait toujours « Léa t’es trop ci, et pas assez çà ». A force j’ai dû l’épuiser d’être moi. La fatigue l’a envahi jusqu’à me séparer de lui. Les gens ont dit qu’il était trop jeune, il n’a jamais vraiment vécu. Enfermé dans son monde sur mesure, il a rejoint une sépulture tout juste assez grande pour le contenir. Au final, il n’en restera rien. De lui, de nous, de moi qui est un peu partie avec lui. Après lui avoir tant offert, mais tant pris. Je m’extirpe des draps que personne ne réchauffera. Le frigo est vide, mon ventre aussi. J’enfile un maillot et une tunique. Le panier m’attends dans l’entrée… je cherche ma planche un instant et me rappelle qu’elle est entre ses mains… Je peste en espérant qu’il en aura pris soin. En route je m’arrête acheter des croissants… il a du se lever aux aurores pour m’impressionner et être affamé. Enfin, c’est ce que je me plais à penser. Moi et mes romans. Je souris en ressortant de la boulangerie, l’imaginant fier comme un paon, maitre de la vague. Une femme croise mon sourire et me le rends. C’est plaisant, presque rassurant. Les gens ne sourient plus. Trop tristes ou pressés. Enfermés dans leur quotidien ou leur malheur… y’a qu’un bel inconnu et toutes les promesses des jours à venir pour faire sourire une femme qui ne s’aime pas assez et qui a peur de son ombre. Un inconnu enfin prénommé. Je descends la dune, les mains chargées… et cherche du regard les cervicales abîmés de mon novice. La plage est déserte, il est encore tôt. J’installe mes affaires et m’approche de l’eau. Sa fraîcheur me saisit, et j’hésite un instant… laissant mon regard voguer vers l’horizon. Mes yeux se posent sur le tube à quelques mètres de moi et je devine une silhouette dans le creux de la vague. Je ne peux qu’être surprise quand je reconnais l’allure instable et vouté d’Eric qui surgit du ventre bleu. Il reprend une seconde vague et saute de la planche à ma hauteur…

Je savais bien que je finirais par y arriver. Me voilà depuis 6h à faire le pitre dans l’eau pour dompter l’écume. Et quel meilleur moment que son arrivée pour y parvenir. Sous ses yeux ébahis. Rien n’arrive par hasard. Je m’approche d’elle. Son corps est constellé de fines goulettes salées. Ses cheveux bouclés tombent sur son épaule et quelques mèches sont doucement posées sur ses seins enfermés dans un maillot vert qui fait ressortir le soleil de sa peau. Ses yeux sont cernés mais brillants… je prends enfin le temps de la détailler. Et elle se laisse faire sans échapper à ma curiosité… On reste là encore un peu, à se toiser. Le ressac nous fait parfois tanguer, mais ses pieds s’enfoncent dans le sol et elle se cambre un peu plus pour résister à l’assaut des vagues.

-          J’ai pris de quoi déjeuner, le large çà creuse…

-          Et puis, il faut protéger cette peau du soleil.

Je m’assois exténué et reprends notre rituel. Le contact de sa peau me rappelle à mes désirs de conquête. Elle est calme, nos serviettes sont plus prêt l’une de l’autre. Son corps relâché me laisse deviner que la tension des premiers instants s’est effacée. Je continue mon exploration de son dos, je compte ses grains de beauté et me demande si je n’ai pas sous les yeux la carte du ciel tellement leur nombre est insensé… elle me sort de mes pensées.

-          Y’en a 80. Enfin y’en avait. Ma sœur les comptait dans la baignoire, depuis j’en ai fait enlever un ou deux… pour faire plaisir à ma mère et au médecin de famille. On m’a dit que je ne serais pas moins jolie…

-          « On » a parfois raison…

On reprend notre jeu du silence, entrecoupé par le bruit des murs d’eau qui s’effondrent. Sa cuisse touche la mienne, et ses joues sont envahies par les miettes des croissants qu’elle dévore comme un enfant de dix ans. C’est difficile de se contenter de la simplicité du moment, on en attend toujours plus. Dur aussi de se dire qu’il y aura forcément une fin à tout çà. Les leçons n’auront bientôt plus lieux d’être, les journées raccourciront et l’été s’enfuira bientôt. Avec lui l’occasion de poser mes doigts pleins de crème solaire sur sa peau. C’est dur aussi de croire en la réalité s’en en avoir peur… mais pourquoi reculer pour au final toujours tomber. La chute ne sera pas moins violente si on essaye de l’éviter… elle ne sera d’ailleurs pas différentes des précédents et les suivantes lui ressembleront toujours un peu. C’est le souci de « tomber » amoureux… Savoir si on en sera encore capable après…. Après avoir ramassé ses dents sur le sol. Suffit parfois d’un peu de colle et d’un bon dentiste.

Je le regarde en coin. Et m’allonge, les yeux fermés éblouis par l’astre qui se lève sur une journée à ses côtés. Combien de rayon vert avant de le voir disparaitre de mon horizon ? Je l’entends se lever, je le devine qui s’étire, son ombre sur ma peau. Il fait quelques pas… et reviens me saisir à bout de bras. Je n’ai pas le temps de protester qu’il me lâche au-dessus de l’eau. Je sens ma bouche qui s’ouvre pour laisser échapper un cri et déjà l’eau s’engouffre. Je m’échappe d’un bond et recrache vigoureusement. Il se rapproche et m’enlace. S’excusant mille fois d’avoir failli me noyer. Je sens alors une boule remonter le long de mes cotes et venir faire vibrer ma gorge et mes joues. J’éclate littéralement de rire… j’en perds mon souffle et ma vision se brouille. Le sel à la commissure de mes lèvres ne m’empêche pas de les étirer et je laisse transparaitre l’intégralité de ma dentition et sans doute mes amygdales… je ris, encore. Cela faisait si longtemps. Il recule étonné, préparé sans doute à subir mon courroux… j’ouvre enfin les yeux et profite de l’arrivée de l’air dans mes poumons pour lui sauter dessus et le pousser de toutes mes forces dans les bras de Poséidon. Nous voilà à moitié immergé, l’un sur l’autre et dans un dernier effort nos corps se retrouvent collés. Je le laisse prendre ma nuque entre sa main, je suis tendue vers lui… je ne pense plus à demain… je veux juste être ici et maintenant encore 100 ans.

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