Sarah.

Myo'

Elle est folle, Sarah.

Il y a quelque chose de déchu en Sarah. Trop d'assurance, certainement. Sûr qu'avec ses cheveux bleu électrique et ses tatouages un peu partout, elle impressionne. Et ses vêtements sont bien trop classes pour la folie qu'elle s'est obligée. Escarpins, slim et hauts ajustés ne vont pas avec la noirceur inscrit sur son corps. Ça admire, c'est terrifié, ça jalouse et ça critique. Sarah répond de son sourire pourpre et de la peinture de son majeur. Et Sarah rit. De ses dents parfaites, elle rit devant leur visage qui se décompose, elle rit de la haine qu'elle leur inspire, elle rit de voir leurs lèvres s'agiter espérant trouver quelque chose de venimeux à cracher, et elle rit comme jamais quand ils sont obligés de ravaler l'injure. Leur frustration, la colère et leur impuissance ont des airs de jouissances à ses yeux. Puis Sarah insulte. Sarah insulte comme elle respire. Avec une facilité déconcertante. Sa bouche susurre des mots pas très jolis jolis qui feraient pâlir le banlieusard qui se la joue rebelle. Sarah démontre par a + b aux autres à quel point ils sont insignifiants. Minables. Abjectes. Et incroyablement inutiles. Quelques mots et un rire, et déjà ils sanglotent sur sa cruauté. Sarah s'en fout. Ils le méritent, ils méritent bien plus. Ils devraient tous crever. Tous. Ils sont tellement cons, à harceler les autres pour avoir l'illusion d'être forts. Leur manie de se mettre en groupe, pour isoler un laid, un autiste ou une rousse pour les détruire à coups d'insultes faciles. Ils sont ridiculement cons, ridiculement identiques. Sarah les méprise, alors elle fait en sorte que ses mots les tuent. Chaque syllabe fait plus de mal que la précédente. Sarah détruit aussi les souffres douleurs, car ils sont cons eux aussi à ne pas savoir se défendre. Sarah détruit tout le monde, il ne faut pas s'en faire. Du bourgeois au clochard, du timide à l'excentrique, de la personne respectable au salaud, elle s'en fout, ils sont tous cons. Sarah hait les gens, et ils lui rendent bien. A la seule différence que Sarah le hurle quand eux le murmurent. Sarah sait blesser. Même ses silences sont calculés pour détruire. Elle pratique la franche cruauté depuis l'enfance.


Sarah a un quelque chose de candide dans ses traits. Elle ressemble à une poupée de porcelaine avec son teint d'albâtre et ses grands yeux vides. Ils n'ont jamais connu la chaleur que le brun a habituellement. Dans son brun à elle, la pupille se noie dans l'iris, et ils semblent noirs. On dirait une tâche d'encre dans la neige. Et c'est beau. Il y a de la naïveté dans la rondeur enfantines de ses joues pleines. Des tâches de son se sont égarés sur sa peau blême lui donnant un air docile insupportable qu'elle camoufle avec un excès de fond de teint. Ce grain de beauté sous la paupière rajoute à la fragilité de son visage. Sarah détruit ce charme avec les vagues de ses cheveux, l'encre de ses pores et ses vêtements bien trop adultes. Sarah camoufle sa candeur, elle se déguise, son maquillage s'égosille à le dire.


Son corps à un quelque chose de décharné. Ses seins se perdent sur son torse, ses membres sont trop longs, trop fins. Les doigts d'un enfant peuvent faire le tour de ses poignets, ses cuisses rêvent de s'effleurer. Sarah semble géante, alors qu'elle est petite, ses os se comptent sans difficultés. Les ballerines crèvent de ne pas avoir ce corps. Quand Sarah passe devant l'Opéra avant un ballet, elle les voit la haïr de ne pas savoir l'utiliser comme il faut. Et cette rage entraîne les sanglots frénétiques, lorsqu'elles se plaignent d'être obèses et d'avoir des seins trop gros, alors qu'elles ont les formes d'une enfant. Le corps de Sarah terrifie, on s'attend à ce qu'il tombe en lambeaux. Sarah se brisera quand le vent soufflera. Elle est bien trop blême, on dirait un cadavre. Et ça, même la candeur de son visage n'y change rien. Sarah est magnifique avec ses artifices, mais sans, son corps attendrait la perfection visuelle.


Sarah... Même son nom a des airs d'Évangile, il est bien trop doucereux, bien trop musical, bien trop parfait. Sarah aurait voulu quelque chose que les gens peinent à prononcer et qui sonne comme une torture. Un truc qui hante par sa brutalité, quelque chose de détestable. Mais, elle n'a eu que Sarah, comme il y en a des millier. En primaire, il y en avait deux, au collège quatre, et elle n'a pas voulu compter pour le lycée. Sarah aime se croire unique, mais son prénom lui fait perdre cette utopie. Y'en a partout des comme elle.


Sarah aime les hommes, les femmes et les soirées mouvementées qui l'empêchent de penser. Sarah aimerait avoir l'esprit embrumé en permanence, de traverser la vie dans un état second. Sarah veut que tout ne soit qu'euphorie.


La mère de Sarah est morte. C'est un fait dont personne n'est au courant. Sarah dit que sa mère s'est barrée à la naissance, ça attise moins de compassion. Son père lui n'a personne avec qui en parler. Les gens s'en foutent de toute façon. La mère de Sarah est morte dans un bain de mousse sanglante. Et Sarah a perdu la candeur de ses cinq ans en ouvrant la porte de la salle de bain. C'était beau quand même les courbes de sa mère, et tout ce rouge, et la fresque des dauphins rieurs, et la mousse blanche, et tout ce blanc, celui des murs, du sol, de la mousse, de partout du blanc , et tout ce rouge, beaucoup trop rouge, qui gouttait de son bras pour finir sur le sol, qui restait sur la lame de rasoir, qui emplissait la baignoire qui était beaucoup trop blanche. C'était beau, il y avait quelque chose de poétique. Sarah se souvient qu'elle avait refermé la porte doucement, comme pour ne pas la réveiller. Elle ne sanglotait pas, malgré les larmes qui coulaient. Elle est allée voir son père pour lui dire que Maman était allongée dans la baignoire et qu'il y avait du rouge partout. Son père a blêmi, il n'est même pas monté pour vérifier. Il s'est précipité sur le téléphone, puis des tas de gens sont venus dans la maison, et ils disaient tous à Sarah qu'ils étaient désolés et Sarah pleurait. Sa mère était égoïste, elle n'a même pas fait de lettre d'adieu, rien à quoi se raccrocher, rien pour expliquer ce soudain désir de mourir. Son père n'avait pas assez d'argent pour déménager, alors les souvenirs venaient envahir Sarah en permanence.

Sarah passait ses journées dans la baignoire. Elle la remplissait à ras bord d'une eau bouillante et mettait le chauffage au maximum. Comme pour retrouver la chaleur des bras de sa mère. Elle se noyait dans la mousse, et parlait à sa mère. Elle lui racontait ses journées et elle pleurait. Sarah pleurait beaucoup. Ses longs bains ont rapidement cessé, son père ne pouvait pas payer toutes les factures. Mais, Sarah restait quand même dans la baignoire, même pour faire ses devoirs. Elle ne la quittait que rarement, la maison était trop vide. Sarah était fille unique, mais avant le foyer était toujours plein de vie : la famille débarquait à l'improviste, les voisins venaient toujours prendre le thé, les amis s'invitaient quand ils le voulaient. La maison était bien trop triste après, même son père était monotone. Pourtant, il essayait de sourire et de la rendre heureuse, mais il n'y arrivait pas. A présent, la maison est miteuse et quand Sarah rentre il n'y a que la saleté et la cadavre de bouteilles qui l'attendent. Et son père se fout de ses longues virées dans la baignoire.

 

La mère de Sarah est morte, et Sarah fout sa vie en l'air avec l'espoir de la revoir un jour.

  • Tout est hyper bien écrit, c'est vraiment beau mais tellement horrible en même temps... J'adore tes descriptions, j'avais l'impression d'avoir Sarah devant moi...

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Fond ecran oiseau bleu1

    ninoche

    • Je ne sais pas quoi dire, juste mille fois merci !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

  • D4une poésie sans nom, une touche de délicatesse dans un univers d'une réalité affligeante. Cette histoire m'a touchée, mes yeux émettent des larmes que je ne puis résorber, je les laisse couler doucement, relisant en même temps ton texte si touchant...

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    Etsukko

    • Oh ! Merci, merci, merci mille fois pour tous ces compliments !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

  • La dureté de la beauté... la beauté de la dureté! Entre vérité à s'en mordiller les lèvres et descriptions sensuelles à en rougir.. je suis conquise.
    La Sarah que je suis est touchée en plein coeur.
    Merci.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Newton williamblake

    srh

    • Merci surtout à toi, ça me fait énormément plaisir !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

  • Joli rythme de ce texte qui va contre le butoir de belle façon. Ce texte est beau. On part du tribunal des hommes pour finir par la mort. J'ai adoré remonter ce courant de tristesse. Bravo ! Un autre !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Droopy bogie orig

    koss-ultane

    • Merci énormément, ça me va droit au cœur !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

  • Les mots sont poignants et touchants, c'est très beau. Tu m'a réconcilié avec Les "Sarah"... Bravo. Et merci !

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    mamzelle-plume

    • Merci à toi !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

  • Outch. Très hard tout ça.. on prend une claque.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Merci beaucoup, ça me touche énormément !

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

  • Je n'ai pas de mots. J'adore. Tout simplement, bravo.

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    upheaval

    • Merci du fond du coeur

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Myo'

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