Souvenir

fionavanessa

Adolescence

Il me souvient que nous nous sommes aimés. Des deux, tu étais largement l'aîné.

Depuis mes dix-huit ans, je n'ai pas perçu autant de toi que j'aurais pu.

A quel point tu étais doux. Ce sont les déserts de l'expérience qui me l'ont enseigné.

Nos origines nomades s'étaient trouvées. Toi l'Espagne, moi plus mélangée entre nord et sud, Albion et Alger. Je conserve de toi quelques croyances, depuis tant d'années. Qu'au fond, nous n'avons besoin de rien de plus qui ne rentre dans un sac; que parfois les questions sont mal venues, mieux vaut ne pas en poser; que nous ne pouvons cheminer sans s'alléger de tout le superflu, pour ne garder que le goût du vrai, qu'importe ce qu'on en dise. Par-dessus tout, tu m'as confortée à aimer les coins sauvages, au creux de la forêt où tu aimais m'emmener; à l'abri des regards, à l'abri des miens.

Mes parents m'ont tuée. Ils ne t'ont jamais vu. J'avais appris déjà à protéger d'eux mes secrets. Par mon choix de partir à Paris, mon bac en poche, dans une école prestigieuse, je les ravissais et je t'immolais. C'est moi qui ai pris peur quand tu as voulu m'offrir un anneau, un bébé. M'éloigner de la promesse des grandes bibliothèques, des théâtres et des musées. Je me suis envolée. Je ne me doutais pas alors que j'étais vouée à revenir au plus humble, comme tu me l'avais appris, et à choisir le chemin de l'ombre douce et des bébés.

Pour moi, tu restes le compagnon le plus tendre de mes sauvages jeunes années. Tu m'as enrichie sans mot dire. Etre là. Ecouter le chant flamenco de la reinita de los mariposas, dérouler sa mélopée en cascade des aigus ouvrant le ciel aux plus graves, heurtant le lit de graviers d'une gorge douloureuse.

Ma tendresse était primale, la tienne mûre et choisie. Je ne pouvais alors appréhender que ta douceur désabusée sortirait du lot.

Je me rappelle avoir appris en t'observant la beauté des gestes qui prennent tout leur temps, tout leur sens.

Tu me respectais comme une reine, j'étais ton initiée.

Je me rappelle ton regard perçant, parfois enfantin. Mon Espagnol blond, je me souviens quand tu m'appelais, de ma chambre louée dans une famille dont le garçon de dix ans était celui à qui je tenais compagnie, lui préparant son dîner.

Je courais te retrouver, je n'aimais pas perdre de temps et voulais raccourcir le chemin entre nous.

Les rives du canal, l'après-midi, adossés à la butte herbeuse, toi pêchant, moi lisant mes notes de future bachelière, la cueillette d'un baiser.

Je me rappelle lorsque tu n'avais plus que ta voiture pour toit, tout ce que tu avais, tu le partageais avec moi. J'aimais y dormir, au calme dans la forêt, allongée à tes côtés sous ton toit de tôle. Incapable d'en dire le modèle, j'en revois pourtant les contours. Ton chien noir qui t'avait adopté. Je t'aimais plus que mes mots adolescents n'osaient l'avouer, et toi, au verbe si discret, tu m'apprenais que quand on aime, tout coule de source.

C'est sans doute un peu ta main forte qui m'a aidée à pousser la porte d'un théâtre, à rebrousse-poils de ma famille, à soulever le rideau de l'aventure, en plein coeur de mes études.

Roberto, de là où je suis, aujourd'hui à peine plus âgée que tu n'étais quand nous nous sommes connus, d'ici, je te salue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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