Une journée mémorable
divina-bonitas
Voilà. Comme beaucoup, un jour, il y a 22 ans, mon cher et tendre et moi, lui le type sérieux et bien sous tous rapports, moi la scribouillarde fantaisiste et rebelle, nous nous sommes dit oui.
Comme toutes les princesses en devenir, je m'étais endormie souvent en rêvant à ce jour, en imaginant ma robe: blanche et froufroutante, créative et époustouflante.
J'avais oublié un détail: j'allais me marier enceinte de 7 mois et demi, fière mais énorme, et quand je dis énorme, c'est un euphémisme. Disons que j'étais une tour fortifiée dans laquelle ma fille était le trésor. L'obsétricien m'avait comparée à un tournedos, moi faisant le gras et ma fille le filet, ce qui est beaucoup moins poétique, mais ce n'est pas l'apanage des scientifiques de faire de l'art avec les mots.
Bref, le sujet de ma robe ou plutôt de ma tenue de mariée fit couler beaucoup de blablas dans la famille. Ma belle-mère me suggérait une jupe beige mi-molets surmontée d'une marinière - histoire sans doute de ressembler à une femelle thon; pendant que ma grand-mère imaginait une robe marine - ça amincit- toute droite agrémentée d'un noeud blanc sous la poitrine. Ce qui apparut à l'oeil de toutes comme une certitude était que le blanc, dans mon état, aurait été totalement inconvenant. Dans un sens, cette interdiction tacite fit mes affaires. Le blanc ne me va pas au teint, non plus que l'ivoire ou le beige, ce qui me permit donc de choisir le rouge, couleur du mariage dans les pays orientaux, symbole de tout un tas de présages heureux qui me convinrent totalement et met en valeur ma carnation pâle, héritée de mes ancêtres toscans.
Loin de toutes ces femmes en bon coeur pour moi, je trouvai mon bonheur chez Maupiou, marchand de tissus magnifiques de la rue de la Paix. J'y achetai de l'ottoman rouge vif et de la dentelle de Calais or, un peu de pongé de soie mordoré pour la doublure. Une brodeuse avec des doigts de fée suivit mes plans et mon dessin et c'est ainsi, parée de mes atours, que je me présentai à la mairie du 17°, sous l'oeil esbaubi d'une maire, qui ne put s'empêcher de me complimenter publiquement. Je ne saurais jamais si c'était de la sincérité ou de l'ironie. Dans le hall de la mairie, personne ne me reconnut. Ma belle-mère cherchait une malouine obèse, ma grand-mère, après avoir fait le tour des statues de marbre, finit par se douter que c'était moi avant d'éclater de rire et d'ajouter: "tu as toujours eu l'art du déguisement". Mais j'assumai en souriant ce statut de reine d'un jour, complètement barrée, fièrement caparaçonnée telle une jument s'apprêtant au tournoi, ravie de ce mariage, de l'enfant qui grandissait en moi, déjà vigoureuse, que j'imaginais belle et charmante. Le rêve devint d'ailleurs réalité. Elle est belle et adorable, vient d'obtenir sa licence de droit avec près de 14 de moyenne générale. Je l'aimais déjà et l'aime chaque jour un peu plus.
Bref, les invités remis de l'émotion que suscita cette robe moyennâgeuse et à tout le moins excentrique, nous mangeâmes et partîmes sur ces entrefaits en voyage de noces. Il m'avait fallu changer mes premiers plans à ce sujet, le corps médical voyant d'un sale oeil une parturiante primipare mettre bas quelque part dans le Périgord à cent lieues du premier hôpital. Même si je savais qu'ils se faisaient du mourron pour rien, car j'étais très en forme, j'acceptais de ne m'éloigner de Paris que de quelques centaines de kilomètres, soit dans les pays de la Loire, où le vin est bon et le fois gras aussi, la Loire enchanteresse et les châteaux magnifiques. J'avais prévu de passer notre première nuit de jeunes mariés dans un vieux château médiéval, une bâtisse totalement d'époque perdue au milieu des bois, arborant la douce appellation de chambre d'hôtes de luxe, dont on m'avait narré le charme des baldaquins et celui du vieux marquis propriétaire des lieux. Comme il se doit, j'avais envoyé un acompte et nous arrivâmes, mon époux et moi aux portes de cet endroit digne d'un conte de fées aux environs de 20h30. C'est là où ça commence à devenir épique, sauf si l'on considère que le pompiste de la station service de l'autoroute croisé en chemin fit couler l'essence par terre en me voyant sortir de la voiture. A sa décharge, ce n'est pas tous les jours qu'on voit débarquer une sorte d'Aliénor d'Aquitaine joviale, semblant enceinte de triplés, demandant les toilettes d'une station Total. Qu'est-ce que nous avons pu rire devant le regard totalement halluciné du monsieur, lequel se demandait manifestement s'il avait atterri brutalement dans un épisode des Visiteurs!
Revenons à l'essentiel. Nous arrivâmes, sonnâmes et furent accueillis sur le perron du castel par un type crasseux, à la mine tout sauf réjouie, disons franchement patibulaire, qui n'avait rien d'un marquis. Il nous fit entrer dans le hall majestueux de la demeure avec un air curieux, comme qui dirait du chien qui a chié dans la braise. Je compris vite pourquoi. Il avait reloué notre chambre 20 minutes plus tôt! Il lui en restait une néanmoins qu'il nous emmena voir. 12 mètres carrés en soupente, 2 lits jumeaux de 90 de large recouvert de dessus de lit premier prix, 4 murs blanchis à la chaux.
Comment dire...comment dire en mots comme je me mis à crier, à hurler plutôt, telle une louve furieuse, une bête enragée, profitant de mon enbompoint pour scotcher le sale gus contre un mur histoire de lui faire perdre quelques décibels d'audition. Evidemment, ce fut le scandale. Les autres hôtes sortirent de leur chambre paniqués, se demandant quel laie sauvage on égorgeait. Pendant ce temps, mon flegmatique d'époux demandaient aux "servantes" du sale type d'appeler les pompiers, certain que j'allais accoucher au milieu du hall de pierre, à même les dalles, dans de grands hurlements de tigresse furieuse. Je parle de "servantes" car c'est ainsi que ce type minable, fils adoptif du marquis défunt, appelait les femmes qui l'aidaient à tenir la baraque. Je découvris à cette occasion et pour la première et dernière fois de ma vie, qu'il était possible de mettre des cadenas sur les portes des frigos et les cadrans des téléphones. Ces femmes étaient en prison au milieu de nulle part, dans une forêt de Sologne, littéralement séquestrées par ce mec immonde, rustre, sale, macho et j'en passe. Nonobstant mes priorités de l'instant, j'aurais appelé la maison poulagat pour le dénoncer.
La nature étant bien faite, en tous cas la mienne, je n'accouchai pas. Nous repartîmes sur ces entrefaites, moi furibarde comme je peux l'être, mon homme suggérant qu'on retourne à Paname. C'était un week-end de Pâques et tout était complet. La tâche s'annonçait difficile de trouver un gîte pour la nuit. Histoire de nous souhaiter un mariage heureux, des trombes d'eau s'abattirent sur la région. Et c'est donc coincée dans une cabine téléphonique dont je ne pouvais fermer la porte en raison de mon ventre, que j'entamais le tour des hôtels de la région pour nous sortir de ce mauvais pas. Au bout du cinquième appel et de l'échec manifeste de ma démarche, je finis par me rebeller. Quand le tenancier d'une hostellerie me répondit encore qu'il n'avait pas de chambre de libre, je lui dis non, que ce n'était pas possible et expliquait ma situation: "Je suis une pauvre Sophie enceinte jusqu'aux yeux, qui prend l'eau dans une cabine téléphonique, c'est ma nuit de noces et le type chez qui nous avions réservé a reloué notre chambre." Le type s'exclaffa "ah le fameux château du guet-apens!" (jeu de mots avec le nom du château). Sensible à ma détresse, le brave homme nous trouva une piaule, une qui n'était pas finie, qui n'avait pas de télé, mais une toute belle avec dais tendu de Toile de Jouy, toute tranquille en rez de jardin, que nous inaugurâmes.
Nous nous mîmes à table à minuit passé, mangeâmes un excellent fois gras en riant de cette mésaventure. Ma robe était -enfin!- parfaitement assortie au décor.
Comme quoi, quand tout semble perdu, il faut garder espoir! Cette journée fut folle mais exceptionnelle en émotions. Je ne regrette rien, ni ma robe, ni le Périgord, ni ce mariage toujours heureux et encore moins d'avoir changé d'hôtel pour cette nuit là. J'appris plus tard que les suites rococo du vieux marquis étaient infestées de cafards!
Merci Wen. Oui, il fallait voir la tête de mon mari, lui et son flegme très british, disant d'une voix blanche au milieu de ce chaos: "appelez les pompiers, elle va accoucher". Quelle histoire cette nuit de noces! Mais quels bons souvenirs aussi!!!
· Il y a plus de 11 ans ·divina-bonitas
Ah la la, j'y étais Sophie ! C'est tellement bien narré que j'y étais vraiment. Je vois la tête de ton récent et tout frais mari lorsque la louve s'exprima. Quant à la cabine téléphonique d'où ton ventre débordait... quelles images ai-je en tête !!
· Il y a plus de 11 ans ·Exceptionnellement décrit, bravo.
wen
Merci à vous toutes...et non, pas fait de rideaux avec. Mais j'adore Scarlett, taratata!!!
· Il y a plus de 11 ans ·divina-bonitas
Jolis souvenirs, vous avez recyclé la robe dans des rideaux ? Le contraire de Scarlett !
· Il y a plus de 11 ans ·Je ne me moque pas, moi j'étais en meringue le jour de mon mariage...
sophie-dulac
c'est génial. Allez coup de cœur qui se passera d'explications.
· Il y a plus de 11 ans ·elisabetha
Vous savez quoi? vous devriez écrire...(hihihi) Talent et humour mêlés dans vos mots. Merci. Merci. CDC et tous les cœurs!
· Il y a plus de 11 ans ·Choupette
oh malgré tes mésaventures c'est une jolie histoire folle que tu nous livres là!
· Il y a plus de 11 ans ·"Comme quoi, quand tout semble perdu, il faut garder espoir!" j'aime beaucoup!
Sweety
Et oui Pawel, les Zarts Za on n'en sort pas indemne côté couleur et mise en volume!
· Il y a plus de 11 ans ·divina-bonitas
Préface aux visiteurs !
· Il y a plus de 11 ans ·Philippe Larue
oui les arts za pplikées ça sert la dame pour faire une robe rouge, ça sert aussi à se faire faire des complimentations et a se cacher dedans pour ne pas être reconnue...!Kiz"é ki l'a invité celle là...!
· Il y a plus de 11 ans ·ZADORE !
Pawel Reklewski