Une sorte d’amour et d’eau fraîche

Christophe Paris

Mattéo, esprit posé et corps affalé, nage dans un bain de sueur et de soleil sur un sable meringue dorée. Une chaleur qui l'envoie dans une lascive torpeur, accompagnée d'une sensation d'étroitesse comme une peau devenue trop étriquée. Un sentiment qui le fait gesticuler en de petits mouvements. Dérisoires esquives contre les ardeurs du Roi du ciel. Un bouton-d'or dans un bleu céruléen qui lui rougit son visage de homard des plages.

Il est seul, entre quelques dunes perruquées d'herbes hautes. La mer est à quelques encablures avec son rivage bondé de jet-skis et odeurs de chouchou, le tumulte face au silence, ennemi du progrès humain.

Ici au contraire pas un bruit, excepté un léger chuchotement d'Éole qui lui titille l'oreille de sa brise.
Mattéo s'en félicite, lui qui cherche le calme et un peu d'air, mais il a chaud dans ce paysage aux courbes lunaires, très chaud. Pas l'ombre d'un abri où protéger sa couenne. La grillade se retourne sur sa poêle à frire, un sable si doux qu'il n'a même pas posé sa serviette. Grain de peau contre grain de silicone. Allongé sur le ventre, mains sous le menton et tête droite comme un cancre qui s'ennuie en classe, Mattéo largue pensées et pupilles.

Bord de mer.

L'esprit se met à dériver le regard dans le vague tandis que les flots bercent l'ouïe de Mattéo. Tellement ailleurs, qu'il ne remarque pas deux iris fixées dans les siens.

Ceux d'une jeune femme vêtue d'un paréo en tulle rouge transparent, accompagnée de son mec. Le beau gosse typique qui énerve tous les autres, brun, plaque de chocolat abdominale, tatouages et solaires de caïd.
Mattéo réalise que deux brillantes pupilles pénètrent les siennes et les détourne immédiatement dans une gêne de timide. Loin de lui l'envie de jouer les voyeurs de service. Histoire d'éviter une méprise, suivie d'une baffe du mari, le bronzeur tourne la tête sur le côté en fermant les yeux. Mais c'est comme si rien n'avait changé, l'image de cette fille en rouge persiste dans sa rétine. Ce frêle tissu à bretelles anémiées, censées masquer, mais qui ne font que dévoiler. Mattéo serre la gorge.

 « Waow, pfff, putain le canon !! » pense-t-il, regard riveté sur la belle cible. Des yeux hors de contrôle qui n'en font qu'à leur tête installant un certain trouble, et même un trouble certain. Sentant son enveloppe devenir timbrée, le quadra tente une reprise en main. Non, il déteste ça les mateurs, et puis c'est pas son genre...

Et puis si en fait.

Totalement subjugué, se disant que plus jamais il ne croiserait une telle créature, Mattéo succombe à la tentation reprenant discrètement sa position initiale. Le mec est déjà allongé, la fille non. Comme toutes celles de son sexe, elle fouille dans un sac à main plein de bordel pour y trouver on ne sait quoi. Elle est face à lui à une dizaine de mètres. Plus il la regarde, plus les détails de son corps lui apparaissent, provoquant une fulgurance poétique inhabituelle pour un comptable.

 

            « Que la nature est belle et sans pareil, pour mettre au jour un tel soleil. »

 

Il s'en étonne, c'est la première fois que ça lui arrive, mais reprend vite son petit manège oculaire. Il perçoit des courbes à en damner dix générations papales. La fille accroupie, sa taille de guêpe un peu gourmande et ses fesses en forme de cœur, à l'envers, commencent à accélérer le rythme cardiaque du vacancier qui sue de plus en plus, mais pas de la chaleur. Elle fouille dans son sac, mais aussi dans l'œil de Mattéo se demandant si elle se fait mater ou non. Les deux regards se figent l'un dans l'autre. Le courageux comptable tient bon, bravant les paupières grandes ouvertes de la belle inconnue. Elle en esquisse un battement de cil amusé et approbateur se tournant un peu plus de trois quarts.

Mattéo doute, s'autoquestionne la matière grise.
–Mais c'est quoi ça, j'y crois pas ? Elle me cherche ou quoi ? Bon j'pars en vrille fantasme, oh merde, bon calmage…

Ça y est, la miss vient de trouver son smartphone, passe un appel et s'assoie jambes pliées, mais écartées. Son coude droit posé sur le genou la fait se pencher en avant, dévoilant un décolleté grand ouvert. Il en perçoit le volume, le poids, de ces seins qui oscillent à chaque mouvement de la coquine en rouge. Lui, c'est son coquin qui est tout rouge.
Une érection instantanée, un mât de cocagne dur à en attaquer la plage. Vite ! moins de souffrance pour sa quintessence, un petit creux pour y poser son altérité masculine. Mattéo lévite de la bite quand la fille se rend compte du manège en plissant les paupières, comme pour mieux faire le point, comme pour mieux lui rentrer dedans, comme pour mieux lui faire comprendre. L'homme gaulé essaie de reprendre le contrôle de sa tour, ce bout de chair qui semble ne plus lui appartenir, ce morceau qui vit sa vie comme un grand devenu.
 Schtroumph.
 À cet instant, c'est ça qu'il aimerait. Se retrouver Schtroumph, tout petit, invisible. Mais pas de fuite possible, la cavalerie déboule.
La belle plante commence l'effeuillage par les bretelles d'une lente caresse. Le tissu ne tient plus que par le généreux galbe de sa poitrine ou plutôt par ses deux pointes relevées. Sa jolie frimousse se penche sur le côté. Un vacillement qui bascule et bouscule Mattéo, le regard en braise, le bois en feu, qui tremble sous les yeux de la belle aux cheveux ondulés couleur flammes.

Sauve qui peut.

Le pauvre échaudé tente un acte désespéré en pensant à son boss et ses factures histoire de redescendre la bête. Business with no success. La minette à grandes mirettes passe au mode turbo. Chute de la Tulle, maillot qui capitule et nudité en pleine face de Mattéo proche de la fusion. Débordé par la sans gêne, il se met à flipper, décroche, pense au mec et la baffe qui s'en suivrait.
– Il va s'en rendre compte c'est pas possible ! s'imagine Mattéo dont le regard est une fois de plus happé par la torride silhouette. Pas de répit la voilà qui tire à boulets rouges sous la forme de petits grains de sable collés à ses lèvres, mais pas celles qui embrassent. Des corps étrangers qu'elle écarte en des gestes équivoques de son entrecuisse...
Des doigts qui glissent déplissent sa vallée, pour parfois se perdre dans une grotte luisante d'amour. Mattéo est dépassé par son membre actif, une minorité bien bandante en pleine révolte qui prend le pouvoir. Son sexe est si raide qu'il en est soulevé de terre. Se décaler, sinon il va finir par trouer la chine.

Se décaler n'est pas se retourner, ce qu'il fait pourtant oubliant son érection qui ne passe pas inaperçue. L'endroit est maintenant rempli de serviettes à gens dénudés dessus dont certains s'amusent de l'émoi du comptable lubrique qui hisse son bermuda surfer comme un marin sa grand-voile.
Mattéo comprend sa méprise, il est sur une plage naturiste en constatant les regards insistants sur son tissu et les attentes qui en découlent. Sous la pression, il abandonne sa dernière amarre, le maillot, s'enroulant comme une chenille dans sa serviette pour sauver l'honneur.

De profil, les paupières closes comme un gamin qui pense disparaître en se voilant le visage. Mattéo tente la respiration contrôlée. Sans succès, trahi par des yeux qui cadrent la miss huilant sa poitrine au monoï.
Elle les regarde, le regarde, les regarde, le regarde.

C'est bouche ouverte que Mattéo constate qu'elle s'adresse alors à son homme en désignant le voyeur du bout de l'index.

Gorge sèche.

Cœur qui bat la chamade.

Mais pas pour les mêmes raisons que tout à l'heure.
Fini l'amour, bonjour la trouille.
Le type se lève et Mattéo pense armoire. Une armoire à glace avec plein de baffes protéinées dedans.

Réagir.

Un avion passe au loin qui permet à Mattéo de jouer les fourbes, le fixant avec un intérêt bien au-dessus de la moyenne. Les yeux voient, mais le corps sent. Les poils de l'épiderme du mateur maté se dressent à l'approche du couple. Par prudence il jette un œil qu'il croise avec celui d'un dragon, le tatouage du beau gosse en forme d'armoire. Effrayé il réalise que son propriétaire lui fait étonnamment un clin d'œil. Mattéo est rouge, mais pas à cause du soleil et détourne le regard pour finir dans un autre. Celui d'une femme.

À cet instant il se sent vache, les yeux aussi ahuris que ceux d'un bovidé devant un T. G.V, lorsqu'il aperçoit une madame emplie de béatitude lui balançant un sourire pleines dents, encore propres pour le moment... Son mari sourit également, confortablement installé à l'arrière en mode piston.

Lent du bulbe, mais dur du bout, Mattéo réalise qu'il est non seulement sur une plage naturiste, mais aussi échangiste. Constat confirmé lorsque la belle rousse s'approche de lui après avoir placé son boy-friend dans la bouche de sa copine en levrette, qui du coup ne rit plus du tout.
Le comptable, bouillant à l'intérieur, mais figé d'effroi à l'extérieur, se dégèle tant bien que mal aux premiers sons de la drôlesse.
– Salut ! tu t'appelles comment mon ouche ?
– Ma… ma… té… o, pourquoi ? 

– Bah... Comme tu nous as matés un bon bout de temps je me disais que tu pourrais te joindre à nous…

Le cœur du voyeur s'accélère sur un rythme à paumer n'importe quel DJ, ça frappe dans sa nuque comme le bélier d'une brigade du GIGN forçant une porte de dealer.
Le jeune étalon attrapé au lasso de l'amour tente une dernière ruade bafouillante…
– Euh… enfin…, moi, je suis pas du tout un habitué du genre, je cherchais juste un coin tranquille. Excusez-moi, mais j'me sens mal à l'aise là… Sans vouloir vous vexer… J'vais vous laisser.
– Ah, mais j'suis pas choquée mon minou, juste excitée. C'est rigolo, ton prénom ! Mattéo m'a maté ! balance-t-elle avec un grand smile.
Sourire complice du trio toujours en besogne et réaction paniquée de Mattéo.
– Ah nan nan nan, pas du tout, c'était, tait, tait… tin, tin, tinvolontaire de ma part… J'ai les yeux clairs et suis hyper sensible à la luminosité qui m'éblouit beaucoup, mais vachement beaucoup hein !! ça m'oblige à tourner le dos au soleil…
ça perle du front du côté de Mattéo, la joliesse s'approche plus près, vraiment plus près.
– Fais voir tes yeux… Ah oui clairs et graves verts émeraude… rétorque la miss en pleine parade féminine, regard en coin, sourire aux commissures et dernière phalange de l'index entre les dents.
– c'… c'est… gen…til répond un Mattéo en totale déconfiture.
La louve attaque l'homme agneau.
– De rien mon chou, d'autant que moi les yeux verts c'est un truc qui me met le feu, ici, au même endroit que toi, répond-elle en commençant à caresser sa vallée qui n'a rien d'aride.
Àcet instant Mattéo a la sensation d'avoir remplacé sa salive par un menhir tant il peine à l'avaler.

Joues rouges, bout rouge, le steak d'homme est prêt à consommer.

– Ah oui, mais non là… j'vais y aller j'vous assure… répond le bronzeur qui tente désespérément d'enfiler son short, sans succès. Il en trébuche, se coinçant le pied dans l'élastique et tombe à genoux. L'inertie déboule pour terminer le travail, projetant sa tête sur le sexe de miss en rut. Le voici maintenant nez dans la fente, bloqué par la diablesse qui de la lécher le presse.
Parti.
Mattéo est complètement parti, mais sur place. Il s'oublie totalement à son corps. Se découvre une absence de gêne, lui qui d'habitude est aussi coincé qu'un doigt dans une porte. L'appétit vient en mangeant c'est bien connu, pour un service trois-pièces qui met les petits plats dans les grands. Naturellement, sans retenue, il se mélange à ces autres peaux qu'il caresse, agrippe ou embrasse.
Le mateur en émoi dépasse des limites pourtant bien ancrées dans ses fondations de comptable. Découvre une liberté de mots et de gestes dont il ne se serait jamais cru capable, et il aime ça. Les girls le lui rendent bien en le terminant sur une double fellation pieds dans l'eau, même si pour les filles c'est plutôt les genoux.
Mattéo en transe sexuelle projette son élixir de mâle en un débit de lance à incendie maquillant de son flou les deux visages aux bouches ardentes. Les deux maris applaudissent le final, quand l'invité du jour, syncopé par son orgasme, pâlit d'un coup en tombant raide dans l'eau bleue qui pique les yeux.
Panique après la nique.
Ambulance.
Arrivent deux infirmiers du SAMU local, à poils, par respect des us et coutumes. Hosto, blouse et lumière blanche.
Mattéo est allongé sous les yeux de ses quatre amis qui le regardent avec soulagement, la fille en tulle s'approche de son oreille et lui susurre.
– T'as été génial, on t'a pas vu v'nir toi, sans mauvais jeu de mots ! Tout le monde se marre, y compris le médecin qui pourtant n'y comprend rien. La joyeuse bande l'embrasse en lui donnant rendez-vous à Paris dès son retour trop heureuse d'avoir déniché cette perle qui débite.
Back To Paris.
Après le rêve la réalité sous forme de parano. Le sida. Nuits blanches et angoisses jusqu'au résultat du test. Négatif.
Du négatif pour du positif.
Mattéo, comme sauvé de la mort, prend conscience que, depuis tout mioche, il n'a fait qu'écouter les conseils des autres pour finir seul avec un job de merde.
Smartphone, les potes de la plage…
Un an plus tard, Mattéo est toujours comptable, mais chez le plus gros producteur de films X européens. Il fait du sport, bouffe de la créatine et prend des cours de comédie. Activités qui lui servent à tourner quelques scènes bien chaudes pour son employeur si un scénario de porno au bureau nécessite un monsieur tout le monde.
Changé pour le meilleur ou pour le pire il lui restera toujours une chose, sa tête de bite.

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

  • Comment ai-je pu rater celui-ci? Il est top de chez top ! Drôle, bien croqué, franchement j'adore .

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

  • Après t'avoir lu, je crois que je vais regarder mon comptable d'une autre manière ;))

    · Il y a presque 7 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • Merci de ne pas lui sauter dessus ! Merci pour ta lecture et ton rigolo com !

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Christophe Paris

    • Merci de ne pas lui sauter dessus ! Merci pour ta lecture et ton rigolo com !

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Christophe Paris

  • C'est excellent ! Bien écrit comme toujours, bien rythmé, en petites accélérations ...humour, ironie, portraits bien brossés...j'aime vraiment beaucoup ton écriture !!!

    · Il y a presque 7 ans ·
    Momo 2

    momo84

    • Merkimomo ! Bon je l'encadre ton com et je vais le lire toys les matins c pour bon pour mon ego meeeeeerkkkkkkii !

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Christophe Paris

  • Quelle histoire palpitante si j'ose dire !... lmje me suis bien amusée Christophe :-))

    · Il y a presque 7 ans ·
    12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

    Maud Garnier

    • Oh merki pour ce joli com tout en euphémisme, i zadore !

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Christophe Paris

    • ;-)) ♡

      · Il y a presque 7 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

  • Grand retour :)

    · Il y a presque 7 ans ·
    Img 20170918 100320

    Aurore Rodi (Ancienne Alice Gauguin)

    • Bah ça fait plaisir j'avais la trouille de le publier !

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Christophe Paris

  • Très bien écrit, la tension monte peu à peu...

    · Il y a presque 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • Boudiou j'adore carrément ! C'est drôle et excitant ! je partage tiens !

    · Il y a presque 7 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • T'as bien fait de partager, super !

      · Il y a presque 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci du partage Lyselotte, c'est effectivement très bon

      · Il y a presque 7 ans ·
      P1000170 195

      arthur-roubignolle

    • Oh merci ma bichounette j'héstais à le publier à cause de sa fin eb queue... De poisson. Suis hyper content de voir que ce mixcul qui rigole fonctionne, j'avais peur de plus écrire comme j'aime à force de faire des fiches produits payées en cacahuètes, ouf m'fait du bien de lire ton com et de voir que grâce à toi le texte vit sa vie chez d'autres c'est chouette merki !!! Bôcou !!! Bises baveuses :)

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Christophe Paris

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