Victor Dubrownick ....fin

Manou Damaye

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 Là, il m’en bouche un coin le père Louis… Si ce n’est pas gentil ça !

 Un de ces mercredis de pluie, il est venu seul à la maison. J’avais une dissertation à finir pour le lendemain et puis j’étais un peu déçu que Violette ne soit pas là. Victor s’est installé sur mon lit en m’attendant. Absorbé par mon écriture, je n’ai pas vu le temps passé. Il s’était recroquevillé sur lui-même comme une bête blessée, des larmes silencieuses coulaient de ses yeux vairons, de sa main gauche, il tirait doucement le lobe de son oreille droite. Ce geste, qui d’habitude lui donnait tant de prestance, montrait sa profonde fragilité. Je me suis assis à côté de lui en lui disant qu’il m’arrivait encore de me réveiller avec mon pouce dans la bouche. J’espérais le faire sourire, il éclata en longs sanglots. J’eu envie de prendre ses larmes dans mes mains, comme une nouvelle initiation. Etre capable de boire la douleur de mon ami. Ses yeux rouges me regardaient avec désespoir. Quand le cœur fut vidé du trop plein, il prit ma main, y posa ses lèvres et d’une voix atone me dit « merci mon frère ». Je lui demandais si sa mère lui manquait, je m’attendais à un nouvel océan de douleur. Mais Victor était souvent surprenant. Il s’assit face à moi et me dit.


-  J’ai fait tomber ton frère dans les toilettes parce qu’il te faisait du mal et que la loi qu’il imposait aux autres n’était pas la bonne. Tu sais, j’ai toujours su que tu me suivais, sans toi je n’aurais certainement pas survécu après la mort de ma mère. Ce jour là, j’aurais voulu être avec les bêtes de l’autre côté du mur, on m’aurait tranché la gorge, j’aurais été libéré, libéré de la violence de mon père. Le Salat était à sec, et puis la noyade, ce n’est pas mon truc. Toi, tu étais là, à m’épier dans les troènes, il fallait que je sois courageux. C’est pour t’impressionner que j’ai mis mes doigts dans le sang. J’ai eu peur, tu sais, et puis quelque chose s’est réveillé en moi.  J’ai pensé à Violette, elle ne pourrait pas s’en sortir toute seule avec le  « bourreau ». Jusque là, c’est sur moi qu’il se défoulait.  Quand Maman essayait de le calmer, il doublait les coups. Il a toujours été comme ça, mais après la naissance de Violette c’est devenu horrible, il traitait Maman de putain parce que Violette a les yeux noirs et que personne dans sa famille ne peut avoir les yeux noirs. Papa ne frappait jamais au visage, tu parles, pour un instituteur. Il me disait, « Tu te tais ou je tue ta mère !» 


 Victor avait enlevé son sweat-shirt tout en parlant, son ventre, sa poitrine, son dos, ses bras étaient lacérés de cicatrices, il en avait de toutes les couleurs, du rouge grenadines au rose dragée.


-  Je suis sûr que c’est lui qui a tué Maman, pourtant, je n’avais rien dit ! Tu es le premier à qui j’ose en parler. Maintenant il me fait du chantage avec Violette. 


 C’était au début de sa SSSH, on se voyait moins souvent mais j’ai compris qu’il avait besoin de mon amitié,  je lui ai promis que je ne l’abandonnerai jamais. Peu de temps après j’ai quitté St Girond, trainé de ville en ville, et voila comment je suis devenu barman. Un été, sur la côte,  j’ai rencontré Hassan. Il m’a présenté à  Günter Klaïne, un gars du business, il me filait des petits boulots, il était correct et  payait rubis sur l’ongle. J’étais encore au Lavandou quand Victor est revenu dans ma vie. Sa femme venait de mourir, Aurore, je ne l’ai jamais connue. J’ai pris ma journée, on s’est enfermé dans ma piaule et là, il m’a tout raconté. Son mariage, Aurore, mais surtout cette folie meurtrière qui parfois le submergeait et lui faisait de plus en plus peur. Des pulsions de mort qui se calmaient dans le sang. J’ai appelé Klaïne, ils se sont rencontrés, il est parti à Kaboul. Là bas, on tue pour de l’argent, ici on finit en prison. Victor est revenu deux ans après, avec une femme, jusqu’au jour ou…. C’est lui qui a rappelé Klaïne. Maintenant à moi de me coltiner l'inspecteur Girond


Il m’attendait au bar, la vivacité de son regard s’était noyée dans l’attente et le pastis. Le patron m’a glissé dans l’oreille.

- Les flics chez moi, c’est pas ma tasse de thé, à la moindre embrouille, demain t’es viré !

 Comme si je savais pas ! Ce qu’il ne savait pas, lui, c’est qu’il n’y aurait plus de demain. En une demi-heure j’avais refait le tour de ma vie. Tout ça pour quoi ? Demain j’irai voir Violette, demain je reprendrai des études, demain je sortirai de ce « Rendez-vous » de trou à rat.  Mais pour l’instant fallait attaquer la première phase, faire parler l’inspecteur.

Voila qu’il se lève avant même que je n’ai fait le tour du comptoir et me prend par le bras.

- Venez, on va laisser votre patron tranquille,  ce serait dommage de perdre votre place. Si on allait parler dans ma voiture, elle est juste en face. On discute 5 mn et je vous raccompagne au 6 rue de Belleville, c’est bien là que vous habitez ? 

On s’est engouffré dans son coupé Bertone. Rien à voir avec une voiture de flic banalisée. Ca commençait à sentir mauvais

- C’est pas légal ce que vous faites là !

 Il démarre.

- Moi, j’enquête sur ton copain depuis des années. C’est le père de son ex, Aurore, tu sais celle qui est morte, qui a déposé plainte. Rassure toi, je ne suis pas aux mœurs ! Il se trouve que ton copain quand il est venu te voir au Lavandou, tu l’as présenté à Günter Klaïne. Et celui là il me le faut, derrière y a du gros poisson. Tu comprends, toi tu restes à ton « Rendez-vous », tu ne changes rien. Sauf que maintenant, tu sais que tu as les flics au cul ! Si tu coopères, je ferme les yeux sur tes petits business. Je ne parle pas du miel, si tu vois ce que je veux dire. Que ton copain il aille tuer du Turc, du Chinois ou de l’israélo-palestinien, c’est pas mon problème ! Je travaille pas pour interpole, moi je veux Klaïne. Parait qu’il a un service à te demander et qu’il va bientôt te contacter. Tu es mon petit poisson, capitche ! Eh bien, te voila au jus !

Je le regarde, abasourdi.

- On est arrivé, tu peux descendre ! Ne t’en fais pas, on va se revoir !

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