VISA POUR WELOVEWORDS

pouetpouet06

VISA POUR WELOVEWORDS

-         Nom ?

-         Pouetpouet06.

-         Prénom ?

-         Pouet.

-         Vous venez chez nous pour le tourisme ou pour les affaires ?

-         Officiellement pour le tourisme. Mais cela n’empêche pas d’étudier le marché potentiel.

-         Qu’avez-vous à déclarer ?

-         Comme vous pouvez le constater Monsieur le Douanier, dans mon bagage il n’y a que quelques feuilles de papier couvertes de griffonnages, d’autres entièrement vierges et un crayon. Je compte partir à la découverte de votre beau pays et en explorer tous les aspects, les vallons, les collines, les bourgades, les centre villes et les banlieues.

J’espère avoir un contact direct avec les autochtones approfondir la connaissance de leur langue, voire échanger avec eux. Je vais tenter de m’imprégner de l’air du temps qui règne chez vous.

 Me réveiller avec ceux qui chantent au lever du jour leurs messages remplis d’espoirs. Sourire avec ceux qui génèrent l’humour, vibrer avec ceux qui ne croient qu’en l’amour. Interroger vos savants qui inventent des baumes verbaux pour apaiser les bleus à l’âme, et m’endormir le soir, repu de plaisir, sous un ciel étoilé par des myriades d’étincelles de petites et grandes joies, jetées ça et là, en guise de repères pour aider le voyageur à poursuivre sa route.

            Je sais que mon séjour ne sera pas toujours très facile. Je risque de m’égarer dans des sentiers escarpés, de me retrouver dans des culs de sac où je n’aurais rien à y faire, d’avoir à parcourir de nombreuses pages qui ne me mèneront nulle part. Peut être d’escalader des montagnes qui n’accoucheront que de souris, de flirter avec des grenouilles qui se voudront aussi grosses que des bœufs, mais voyez-vous Monsieur le Douanier, ce sont bien là les risques du métier de lecteur. Il faut accepter cette part d’infortune en entreprenant un tel périple. L’Agence de voyage où j’ai retenu mon billet gratuit m’a pleinement informé à ce sujet.

            J’ajoute que moi-même je suis loin d’être un parfait globe-trotter de l’écriture.

Je trimballe dans mes pensées des quatrains aux rimes approximatives, des alexandrins bricolés, dont je ressens les imperfections, mais que j’ai le plus grand mal à mettre à la poubelle. Car, quelque part, en dépit de leurs défauts, ils ne cessent de faire résonner en moi d’anciennes émotions de poète débutant, des pêchés de jeunesse, mais qui vous collent à la peau et ne vous lâchent plus de toute votre existence.

            Vous constaterez Monsieur le Douanier que mon carnet de vaccination contre les gros mots est bien à jour.

            A l’évidence je ne vais pas parcourir vos vastes plaines sans y semer quelques petites graines de ma fabrication. D’abord parce que le geste auguste du semeur s’y trouve très fortement encouragé, et pardessus le marché, il n’y a aucun risque à prendre. Rien à perdre et un peu à gagner. Même avec zéro lecteur, on entretient l’espoir qu’un jour quelqu’une ou quelqu’un viendra cliquer sur votre titre. C’est le suspense permanent ! Ca rapporte davantage de plaisir qu’un Livret A à la Caisse d’Epargne dont on peut facilement prévoir l’évolution à l’avance. Ici, tout reste à découvrir.

            On peut exposer ses écrits, non pas sans pudeur, mais  sans honte aucune. C’est gratuit pour le lecteur donc il ne vous demandera pas à être remboursé. Dans le meilleur des cas il vous adressera sous forme de commentaire quelques critiques élogieuses susceptibles de venir flatter votre ego. Mais attention, ces compliments sont également gratuits, ne l’oublions jamais, sous peine de ne plus pouvoir enfiler nos chaussures.

            Et puis surtout Monsieur le Douanier votre pays est merveilleux car il n’a pas de carte précise, ses frontières sont très floues. Cependant chez vous, c’est bien le seul endroit que je connaisse où il n’existe pas de classes sociales strictement définies : Pas de couleur de peau, le mineur y côtoie le ministre, la femme y est l’égale de l’homme, et je n’ai pas l’impression qu’il y ait un conflit de générations. Par-dessus le marché on y prend sa retraite quand on veut, comme on veut, rien n’y est imposé.

            Maintenant que vous m’avez fiché, identifié, estampillé, je vais me mêler discrètement à la faune locale, je vais me fondre dans la masse, me frotter à tous ces textes, à tous ces écrits. Oui, je l’avoue  je vais essayer de jouir avec les mots, avec les phrases des autres, des inconnus, des traumatisés de la vie et de la plume, de toutes celles et de tous ceux qui comme moi, éprouvent une immense envie de communiquer, et qui à défaut de trouver dans leur entourage une oreille attentive, s’engouffrent dans cet immense espace virtuel, en poussant leurs cris de rage ou leurs cris d’amour, comme des appels au secours, dans l’espoir peut-être illusoire, que quelque part, dans ce gouffre incommensurable, une voix viendra leur répondre.

            Merci Monsieur le Douanier pour le coup de tampon. Ne vous dérangez pas, je rabattrai moi-même la barrière.

           

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