Voyage au bout de la rue

J'ai traversé la rue comme on franchit un monde. Mon boulot perdu, mon mari envolé avec une plus jeune ou plus dévergondée. Me suis retrouvée à errer parmi les poubelles. Pas vraiment une rue, elle. Pas belle ! J'ai déboulé loin des grandes avenues où déambulent les nantis. Tandis que moi... Depuis des mois...

Pas les Champs-Elysées, plutôt le champ des pleurs. Et des peurs aussi. Quand vient la nuit et sa meute en folie. Des coups, j'en ai pris. Et, pas qu'au figuré. Plus de pension pour la divorcée. Ou du moins pas assez.

J'ai survécu un an dans une bagnole pourrie. J'aurais bien aimé la faire démarrer pour reprendre une vie. Mais, pas pu démarrer. Un soir, en revenant du boulot, la fourrière était passée. J'ai vite renoncé à sauver mes apparences. Pas de chances, m'a dit le dirlo en m'envoyant valser parmi mes frères claudos.

Des passages depuis, j'en ai traversés ! Et arpenté des rues ! Faut bien bouffer ! Même chez les éclopés ! Tant pis s'il faut finir nue. A mon âge, qui l'aurait cru ? Faire le trottoir. Le désespoir ?

Du boulot, de l'autre côté de la rue, longtemps moi aussi, j'y ai cru ! Sur les trottoirs, seulement des fiers à bras. Qui tentent, comme moi, de survivre aux coups bas. 

Fallait traverser ! Alors, c'est fait ! Au fond de la ruelle, tout là bas, Elle.  Elle est passée de l'autre côté. Pauvre petite nana oubliée...