67 jours et quelques poussières
Christophe Paris
Juillet 76, seize heures avant la R16. Dernier jour d'école, dernière récrée, premiers rayons de l'heure dorée. Dans la cour je suis, dans la cour je chante. La maladie d'amour, avec mes potes hilares qui n'y comprennent rien non plus. Il fait beau, chaud. Le soleil repeint façades et fenêtres de contrastes exacerbés semblant donner une autre vie aux couleurs. Le rouge brique transfiguré en lave, l'arbre en milliers d'émeraudes, les boutons d'or en minis soleils, le bleu du ciel en mer caraïbe. Je ne connaissais pas van Gogh j'avais pourtant la sensation d'être dans une peinture.
Hall de sortie.
On se quitte le coeur serré avec mes potes, Henri, André, Pascal. Prénoms d'un passé toujours présent. L'année prochaine c'est la sixième...
Triste de quitter mes copains mais heureux d'être en vacances.
J'inspire une grande bouffée d'air avec une étrange conscience du lendemain, celle d'un jour de plus grand, un jour de dernières vacances de petit. Et puis je souris en voyant ma mère et la 4L , cette bagnole si rigolote qui bringuebalotte et qui crachotte. Quatre chevaux tout justes bons pour la boucherie.
Elle est belle avec son affreux sous pull seventies aux rayures marrons, beiges et oranges, son pantalon Tergal rouge à pattes def' de chez Pantashop. Elle rayonne et m'enlace sur un "Bienvenu dans le conte des 67 jours mon ti chou, allez zou grimpe, on file à la baraque".
67 jours... Hallucinant ! Seulement, plus on grandit plus ça rétrécit. Cinq fois mon âge de p'tit et deux fois moins de vacances... Y'a pas un truc qui cloche ?
Cloches.
Comme celles qui sonnent dans mes oreilles et celles de mon frère, tellement impatients qu'on se chamaille une fois arrivés dans notre home sweet home. Le super home, quand je le compare au mien d'aujourd'hui ou plus rien n'est facile, surtout pas se loger.
Poulet froid, salade, mayo et zou mise au pieu avant la mise à feu, lancement du compte à rebours prévu à 10h du matin.
Préparhâtifs
Après une nuit d'agité et un réveil d'ébourrifé, nous voici à la bourre et pas parce qu'on est à la campagne. C'est mon père... Il en est à sa quatrième tentative de fermeture du coffre après quatre rangements différents sous un cagnard qui frappe comme un champion de tennis. Y peste, y geint, y sue, y souffle, et pose la dernière valise comme s'il elle contenait un troupeau d'éléphants.
"Bon Philou, on a vu tu souffres, c'est dur, on compatit, mais là si on veut pas rater la remise des clés, ce serait bien que tu te maaaagnes" . Mon père grommelle, pendant que ma mère se la pète enfilant ses gants de conduite. Cuir en dessous, tissés blancs dessus. Trop classe. Le pur truc pour fille qui fait sa maline.
Dans une vie antérieure, ma mère chui sûr qu'elle était pilote. Elle kiffe grave de sa race les seccais, comme dirait un d'jeune d'aujourd'hui. Niveau champignon elle s'y connaît et tu risques pas l'intoxication, enfin quand t'es habitué. Pied au plancher à l'en trouer, virage au frein à main, talon-pointe et un moulin de R16 trafiqué aux p'tits oignons par son garagiste amoureux d'elle depuis toup'ti. Du coup c'est mon père qui héritait des caisses pourrites. Autant dire que lui, le garagiste, il le voyait pas comme ma mère...
Départ
On monte à bord c'est la fournaise, j'ai l'impression d'être à la plage mais sans la mer.
Le sky is blue, le soleil donne,
Le Skaie y crame, mes fesses bouillonnent.
La faute à cette matière noire chauffée à blanc qui équipait la sellerie du cheval de fer maternel. Le Skaie, c'est comme les filles. On s'y colle, on y transpire, on s'y brûle. L'invention la plus pourrite après celle de mon frère qui vient de me piquer mon Picsou...
Ayai, on roule, fenêtres grandes ouvertes, embrassés par les fragrances de la nature. Le colza, au parfum de fesses qui s'négligent, Le blé à l'odeur brûlée d'or du ciel, La luzerne si rafraîchissante qui vous claque à la gueule, le maïs et son fumet sucré... Pas comme la fumée de clope des parents dans l'habitacle, qui évidemment roulent sans ceinture parce que ça serre…
Mais fini les nationales, voici qu'arrive le grand bandeau.
Autoroute
Ça traîne, même à 160 Kmh... Chamaillerie et enguelerire quand mon père fourche sur un " F'na F'nuffit les n'enfants". La faute à son rhume des foins qui lui coupe l'herbe sous le nez, en nous envoyant dans un fou-rire sans fin.
Faim...
Resto d'autoroute, le Nirvana pour nous, la chaîne Jacques Borel. Les restos qui chevauchent les voies rapides, le truc trop fresh de trop d' la balle, comme dirait un autre d'jeune de maintenant.
Une massive attack de consumérisme.
Des bataillons d'assiettes garnies à l'infini, des régiments de bouteilles au garde à vous, culs dans la glace à s'peler les capsules. Le check point plats chauds, avec ses chefs en toc mais à toques, qui mitraillent leurs sauces chimiques à la louche. Les plateaux couleur marron moche qui collent aux doigts, la déco aseptisée, les banquettes à ressorts qui font tanguer les mômes comme un marin bourré en pleine tempête.
Le paradis en somme.
Les temps changent, les crises aussi, dorénavant c'est sandwiches maison et boissons sorties du frigo...
Départ 2
Avant de digérer des kilomètres, pause toilettes. Le mot est mal choisi vue l'état des lieux. Saturé d'odeurs que je ne souhaite pas à mon pire ennemi, j'évolue en évitant flaques suspectes et papier chiotte qui joue les évadés d'un peu partout. beurk, beurk, finalement je reste dans la tradition, et me trouve un arbre à côté de trois autres avec chacun un môme qui pisse pareil.
L'aire de repos a plutôt l'air agité. ça Déborde de partout, de bagnoles, de gens, de bruits, de rires, de cris, d'odeurs. Surtout celles du type au mini tabouret d'en face qui fait griller ses merguez à l'arrière de son camping-car. On salive mon frère et moi alors qu'on sort de table...
Ayai, on roule, on ze road again.
Rebelote avec la carte routière, cette feuille de papier quasiment plus grande que moi. Papa a l'air d'un jongleur avec.
Y la déplie, y la plie, y la r'déplie, y la r'plie.
Y peste.
Y la tourne, y la r'tourne, y la froisse, y la déchire.
Y peste.
Pas pratique le truc mais tellement fun à voir et à ... Entendre. Maintenant c'est le GPS à voix de synthèse. Plus efficace, mais niveau souvenir ça laisse pas de coordonnées. Moi j'aimais bien mes parents perdus dans la pampa, suivi du concours de mauvaise foi sur le responsable du détour, m'a beaucoup servi d'ailleurs...
Ensuqué, dirait un marseillais, apathique, dirait le Petit Robert. C'est comme ça qu'on se sent avec mon frangibus. Digestion difficile, surtout l'île flottante géante, et ron ron hypnotique du moulin, nous transportent dans les bras de Morphée sans passer par la case péage. Agréable, de dormir dans la voiture. On s'y sentait en confiance, en sécurité, une sorte de fœtus de fer. Vous y roupillez en chien de fusil bercés par les aléas de la route, rassurés par la voix des parents.
Le temps suspendu.
Pendant un long périple, Chronos joue parfois la montre. On roule dans un sens pendant que les heures n'en n'ont plus. Une intemporalité du voyage. On avance, ça défile, on s'ennuie. le temps s'étire, s'alourdi, comme les jambes pliées depuis trop longtemps. Les fesses sont dures, la nuque raide et le cerveau embrumé par le mix radio-moteur. La radio, avec Max Menier et les routiers sont sympas, compagnon de route de mon père. L'horreur totale.
Ça saoule mam' qui met la sauce sur de la soul. Oooh yeah ça groove, les têtes remuent sur le beat et papa se lâche finalement, battant la mesure comme un malade sur la plage avant, on dirait le batteur hystéro du Muppets show. Une Play List d'enfer à damner toutes les oreilles de la famillia. Wild cherry, play that funky music, Wonder et son superstition, Jackie Mitto et son soooooo cool reggae Ghetto organ, Grapevine, Janko Nilovic aux morceaux allumés et flûtés. Plus rien ne compte, plus rien n'existe, qu'une famille en accord parfait sur la grande partition de la vie, le temps de quelques mesures.
Papa coupe au bout d'un moment, faut qui se concentre pour pas se tromper sur la prochaine bifurcation. C'est le moment de meubler pour les parents à l'apparition du premier "C'est quand qu'on arrive ? ".Viennent alors toutes sortes de conversations, l'école, les bonbons, le programme des vacances... Au détour d'une phrase de mon père, mon petit frère lui demande,
- C'est quoi les congés payés ?
- Ce sont des vacances où tu es payé comme si tu travaillais
- Ah mais alors on te payeuh à être en vacances ?
- Oui c'est ça mon p'ti chou
- Bah pourquoi c'est pas toute l'année comme ça ?
J'adore mon ti frère ! Mes parents se marrent, lui expliquent que ce n'est pas par gentillesse, que tout ça c'est grâce à une énorme grève populaire et ouvrière entre fraternité bon enfant, coups reçus et sang versé. Mon frangin est largué moi aussi mais on s'en fiche, on arrive. La grande ligne bleue et ses moutons à laine d'écume apparaissent. Une mer resplendissante de reflets argentés qui embrasse l'anse cambrée d'une plage couleur crème.
Agence de location.
Clés.
Arrivé dans la bicoque de bord de mer, je teste le confort de la literie avec mon frère en sautant sur tous les lits. Un poil zinzinté par le voyage mes parents pètent les plombs et font de même.
Je ris, ils rient, on rit.
Les vacances peuvent enfin commencer.
Texte en hommage à ceux qui ont lutté pour nous, qui ne luttons plus pour personne... Vraiment... Et pour fêter les 80 ans des congés payés.
J'ai adoré, ça ma rendu nostalgique même si j'étais pas née . Tu viendrais pas faire un tour sur scribay, pour nous balancer tes jolis textes :)
· Il y a environ 6 ans ·parismrs
Oh bah merci ! Celui la je l aime beaucoup j ai vraiment pris un pied à l écrire, je viens de le relire et vraiment bah je l aime bien y m a fait progresser ce texte et puis c'était chouette de mélanger réalité et fiction merci de ton choix, je l avais oublié ! Et scribay ?? Why not je check. Thanks for reading :)
· Il y a environ 6 ans ·Christophe Paris
Julia te fait de la pub sur le site que tu connais pas !.... tu sais FB :-))
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Ah bon bah kesskaidit ? C gentil fe sa part , bises maud :)
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Ben va voir ! lol... bisous
· Il y a plus de 8 ans ·ps : viens me lire un peu.... :-))
Maud Garnier
;-) Oui ! j'ai partagé hier... j'ai posté puis je suis partie courir dans la prairie! je vais voir
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Cossu.
· Il y a plus de 8 ans ·effect
Merci du passage l
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Chouette texte qui me rendrait presque nostalgique… Et Vive les congés payés !!!
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
Tout bon le style Christophe et tout y est pour nous transporter dans ces années là. j'adooore !
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
Merci julia c gentil de passer et de m'écrire un si beau j'adore, merci pour ta gentillesse de lectrice
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Bien écrit ! Un style que j'ai du mal a accrocher d'habitude mais là ca le fait c'est cool!
· Il y a plus de 8 ans ·Mention spéciale au truc sur la mer comme disait Lyselotte (la flemme de réécrire la phrase, pourtant je l'ai au moins lu 3 fois).
Ah oui aussi ! Le décors du restau d'autoroute; merveilleux !
Tellement ca.
fefe
Oh merci fefe que de compliments c trop cool merci lire que malgré le style tu as lu et aimé jusqu'au bout, c chouette de lire ça merci ! Et pis cette phrase oui je l'aime aussi chai pas elle est chouette enfin je trouve, merci pour le resto chouette de lire ton enthousiasme partie qui m'a fait marrer à écrire merci fefe !
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
un texte réjouissant à lire avec des fulgurances (pour la même phrase que Lyse(lol)tte)
· Il y a plus de 8 ans ·tu as connu tout ça toi ??? j'te croyais plus jeune que ça (hahaha) ;-))
Maud Garnier
Fulgurance quel joli joli mot, réjouissant, que c beau de lire ça merci maud et content de voir que je fais plus jeune en plume qu'en peau ! Ainormes bises merci maud
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Ben en même temps on voit pas ta tête sur te photo !..... mais avec ton écriture, je dirais la trentaine !..... ??? Dis moir.... haha si tu veux.... biz
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
oh cool pour un 50 ans like me :)
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Haha dis moi quelle âge à ma plume et je te dirais mon âge !.... ;-))
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Un texte magnifique, tout en tendresse et en émotions ... et fort bien écrit ...C'était bien chez Christophe ... :) !!
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
Oh que tu l'as bien lu oh que c gentil tous ces mots, des ressentis qui sont donc passés c chouette de lire des coms pareils, encourageant rassurant, toyt ça pousse à encore et encore apprendre à écrire, chouette !
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
J'adore le rythme, ça speed, on y est ,c'est top ! Merci
· Il y a plus de 8 ans ·ade
MAGNIFIQUE voyage dans le temps au sein d'une famille complice. C'est beau, drôle, plein de clins d'œil et de...j'adore. Vraiment j'adore. Tout, même les références musicales de ta maman que je ne connais pas mais que tu nous offres avec les mots qui font figure. Et puis ça "Une mer resplendissante de reflets argentés qui embrasse l'anse cambrée d'une plage couleur crème". Cette phrase est une pure merveille.
· Il y a plus de 8 ans ·J'te kiffe à donf Christophe.
lyselotte
merci lyse t mimi c chouette de lire tes coms, font du bien rassurent, merci lyse vraiment , en ce moment j'écris beaucoup je me mets en mode lecture en fin de semaine chui certain que t'as sorti de belles perles : ) et pas lâché...
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
merci Ade une fausse autobiographie avec un peu de truc vrais, en fait c une sorte d'hommage aux congés payés que m'a commandé mon C.E, me suis éclaté à l'écrire ! merci de t'être arrêté à mon péage..
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
;-) on ressent ton plaisir à l'écrire dans tes lignes
· Il y a plus de 8 ans ·ade