Au Debut

monster-inside

Au début, c'est toi qui ne parlais pas. Tu m'disais rien. Tu restais là, face à moi, l'oreille attentive, les yeux cloués dans les miens, la face barrée d'un sourire. J'en profitais, parce que c'est pas souvent qu'on peut vider son sac comme ça, sans peur ni retenue.Des soirées et des nuits entières, je t'abreuvais de mes péripéties plus rocambolesquement banales les unes que les autres. Parfois tu laissais échapper un éclat de rire, et tu hochais la tête, souvent. Toujours cette barre de dents entre tes lèvres, empêchant les mots de dépasser tes limites.Mon sac vidé, je me suis tue, et c'est toi qui m'as raconté. Ton passé, tes rêves, tes espoirs, tes douleurs, tes obstacles, tes spirales infernales, tes madeleines de Proust, tes manies les plus incongrues, tes inventions folles...Alors je restais là, face à toi, le tympan aux aguets, les yeux dévorants et une tranche de sourire entre la prison de mes pommettes.Quand tu as estimé que tu m'en avais dit assez, et que tu m'as très poliment redonné la parole, je n'ai pas trop su quoi en faire. Quelque chose avait changé, cette langue auparavant si habile à former des syllabes façon mitraillette avait pris une consistance molle flasque paresseuse. Cérébralement, idem. Bloquages dans les rouages, fil conducteur sectionné à la racine des cheveux, suite dans les idées tout bonnement anéantie. Langue et cervelle, même combat: deux éponges gonflées à bloc, lourdes, lourdes, lourdes. Et inertes.Peu à peu, c'est moi qui ne parlais plus.J'avais essayé de relancer la machine, il y avait bien eu quelques soubresauts, mais en vain, le verbe restait prisonnier dans les limbes de ma pensée. Ca t'énervait, je me souviens. Tu restais là, face à moi, regard par en dessous, sourcils froncés, mâchoire serrée. Je restais là, face à toi, oeil poissonneux de cocker triste, sourire timide qui s'excuse de demander pardon. Tu voulais comprendre ce qui avait changé. Comprendre pourquoi, alors qu'au début j'étais si volubile, j'étais devenue aussi aimable qu'une porte de prison. Pourquoi nos mots, si fluides au début, du jour en lendemain semblaient ne plus rimer à rien.L'explication, je la connaissais. Parce qu'au début, je ne t'avais pas trouvé si beau, ni si intéressant. Mes premières et dernières pensées de la journée n'étaient pas pour toi. Je ne voyais pas ton nom en lettres de néon clignotant en filigrane par dessus le reste du monde visible. Je n'avais pas l'impression soudaine que le pourcentage de la population portant ce même nom que toi avait augmenté d'environ mille pour cent. A tous niveaux, au début, tu m'disais rien. Alors j'te disais tout.

Au début, c'est toi qui ne parlais pas. 

Tu m'disais rien. 

Tu restais là, face à moi, l'oreille attentive, les yeux cloués dans les miens, la face barrée d'un sourire. J'en profitais, parce que c'est pas souvent qu'on peut vider son sac comme ça, sans peur ni retenue.Des soirées et des nuits entières, je t'abreuvais de mes péripéties plus rocambolesquement banales les unes que les autres. Parfois tu laissais échapper un éclat de rire, et tu hochais la tête, souvent. Toujours cette barre de dents entre tes lèvres, empêchant les mots de dépasser tes limites.

Mon sac vidé, je me suis tue, et c'est toi qui m'as raconté. Ton passé, tes rêves, tes espoirs, tes douleurs, tes obstacles, tes spirales infernales, tes madeleines de Proust, tes manies les plus incongrues, tes inventions folles...Alors je restais là, face à toi, le tympan aux aguets, les yeux dévorants et une tranche de sourire entre la prison de mes pommettes.
Quand tu as estimé que tu m'en avais dit assez, et que tu m'as très poliment redonné la parole, je n'ai pas trop su quoi en faire. Quelque chose avait changé, cette langue auparavant si habile à former des syllabes façon mitraillette avait pris une consistance molle flasque paresseuse. Cérébralement, idem. Bloquages dans les rouages, fil conducteur sectionné à la racine des cheveux, suite dans les idées tout bonnement anéantie. Langue et cervelle, même combat: deux éponges gonflées à bloc, lourdes, lourdes, lourdes. Et inertes.

Peu à peu, c'est moi qui ne parlais plus.J'avais essayé de relancer la machine, il y avait bien eu quelques soubresauts, mais en vain, le verbe restait prisonnier dans les limbes de ma pensée. Ca t'énervait, je me souviens. Tu restais là, face à moi, regard par en dessous, sourcils froncés, mâchoire serrée. Je restais là, face à toi, oeil poissonneux de cocker triste, sourire timide qui s'excuse de demander pardon. Tu voulais comprendre ce qui avait changé. Comprendre pourquoi, alors qu'au début j'étais si volubile, j'étais devenue aussi aimable qu'une porte de prison. Pourquoi nos mots, si fluides au début, du jour en lendemain semblaient ne plus rimer à rien.


L'explication, je la connaissais. Parce qu'au début, je ne t'avais pas trouvé si beau, ni si intéressant. Mes premières et dernières pensées de la journée n'étaient pas pour toi. Je ne voyais pas ton nom en lettres de néon clignotant en filigrane par dessus le reste du monde visible. Je n'avais pas l'impression soudaine que le pourcentage de la population portant ce même nom que toi avait augmenté d'environ mille pour cent. A tous niveaux, au début, tu m'disais rien. 

Alors j'te disais tout.

Signaler ce texte