Au pied de la lettre

Il vint au monde. Sa mère lui donna le jour. Son père lui donna la nuit. Sa mère lui jeta de la poudre aux yeux. Son père échoua à lui mettre les yeux en face des trous. Toujours la tête dans les nuages, il vivait de l'air du temps au septième ciel, où il s'était construit un château. Château de cartes ouvert aux quatre vents.

Puis vint le jour où il tomba des nues. Il en eut le souffle coupé. Tête brûlée par la loi de la jungle qu'il découvrit en posant ses deux pieds par terre. Panier de crabes qui mangeaient du lion avec un appétit d'ogre. Cervelles de moineau qui se prenaient le bec. Brebis galeuses et têtes de mule qui se regardaient en chiens de faïence. Langues de vipère au venimeux poison paralysant. Agneaux dont le chat dans la gorge étouffaient la révolte. Larmes de crocodiles vite séchées par des poignées de monnaie de singe. Et les araignées au plafond qui laissaient planer la sourde menace de perdre la tête sur tous.

Il passa alors le plus clair de son temps à éviter les zones d'ombres. Mais le monde qui l'entourait le mettait hors de lui, et la plupart du temps, il marchait à côté de ses pompes. Elles étaient tellement habituées qu'elles ne le lâchaient pas d'une semelle, sans plus prendre la mouche. Il se sentait du plomb dans la tête, tellement lourd et sombre qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il tenta de prendre du recul, mais pas à pas, se retrouva au bord du gouffre.

Il voulut prendre le mal à la racine et se mit à faire des étincelles. Mais à toujours vouloir faire feu de tout bois, il finit écorché vif. Et pour espérer renaître de ses cendres, il n'eut plus qu'à se jeter à l'eau. Il but la tasse, ballotté dans le creux de la vague, perdant pied. De l'eau passa sous les ponts, et petit à petit, il retrouva son équilibre, heureux comme un poisson dans l'eau, évitant les coups d'épée qui fendaient les flots autour de lui.

Il aurait pu vivre d'eau fraîche, mais lui manquait l'amour. Et il broyait du noir. La couleur pulvérulente recouvrait le monde qui l'entourait d'une fine couche funèbre. Aussi quand ses yeux se posèrent sur une fille de joie, il mordit immédiatement à l'hameçon. Il lui murmurait tous les noms d'oiseaux qui lui passaient par la tête, colombe, tourterelle, ça lui allait bien, elle qui était gaie comme un pinson. La joie lui semblait bien aller avec ses nuages, en voyant son sourire, il se montait la tête et se sentait aux anges.

Homme de plume, il se fit homme de paille. Remuant ciel et terre pour lui faire une place au soleil, il lui offrit la clé des champs, bien décidé à prendre racine. Il voyait midi toujours à sa porte, le soleil à son zénith quand il lui roulait une pelle avec laquelle il  déblaya le terrain. Il lui coupa l'herbe sous le pied pour adoucir sa marche. Il l'envoya sur les roses pour qu'elle s'étourdisse de parfums. Il sema un grain de folie pour lui faire une fleur. Fauché comme les blés, il fit le poireau jusqu'à la fin des haricots. Il n'aurait jamais pensé avoir la main aussi verte, mais il ne se lassait pas de lui servir des salades : laitue, feuilles de chêne, batavia, scarole, mâche, roquette…Elle ne savait plus quoi en faire. Jusqu'au jour où elle lui posa un lapin, qui s'en régala.

Mi figue-mi raisin, il cultiva amoureusement sa terre jusqu'à faire chou blanc. Mais son oiseau rare à la robe cousue d'or et de fil blanc brillait par son absence dans le miroir aux alouettes. Tout lui semblait sens dessus dessous. Et dans ce monde à l'envers, il perdait le Nord.

L'affaire tourna au vinaigre, ce qui aurait pu arranger ses salades, mais il aurait préféré que tout baigne dans l'huile. Il se débattit pour tenter de sauver les meubles. A force de se prendre les pieds dans le tapis, il finit par tomber sous le sens. Le poids l'écrasa tellement qu'il ne s'en releva pas. La vérité en profita pour lui sauter aux yeux, lui qui s'était obstiné à porter des œillères. Elle avait fui à tire-d'aile. Et lui qui était aux anges se mit à battre de l'aile. Ses nuits blanches s'enchainèrent, le laissant aveuglé de lumière. C'est qu'il fixait sans cesse la lune, rêvant de la décrocher pour elle. Surtout si elle était de miel, ça aurait fait un beau cadeau. Il lui avait parlé à cœur ouvert, les yeux fermés. Elle l'avait mené par le bout du nez jusqu'à le jeter aux orties. Mis au pied du mur, il le heurta de plein fouet,  il s'y cassa la tête et s'y écorcha les oreilles jusqu'à avoir les nerfs à fleur de peau. En lui ouvrant les yeux de sa bouche en cœur, elle le fit basculer dans un puits de science et il atterrit au 36^e dessous.

Lui qui avait le cœur sur la main aurait mieux fait de garder ses mains dans ses poches, et son cœur au chaud avec. Né de la dernière pluie, il fut réduit en poussière et partit en fumée.

Sentant le vent tourner, il se jeta dedans à corps perdu. Et comme il avait déjà perdu la tête, il ne resta rien de lui. Il fit couler beaucoup d'encre entre les lignes. Ne restait plus qu'à tourner la page pour faire face à une nouvelle page blanche.

Point final.

© By Himself