Baden power

J'avoue qu'il y a un peu de transfert dans le fait que j'ai inscrit Célestin aux scouts. C'était mon rêve lorsque j'étais enfant. Je m'imaginais avec mes copains construire une cabane dans les bois, être lâché en pleine nature, le sac à dos sur les épaules. Après des heures à nous orienter, armés d'une carte au 1/25 000 éme, d'une boussole, et de nos compétences en astronomie pour repérer l'étoile du Berger, nous arrivions éreintés au camp. Il ne nous restait plus qu'à dresser la tente et à faire du feu à l'aide d'un silex pour cuire le lapin pris dans le collet que nous avions dressé.

A priori, je ne suis loin d'être le seul à m'être construit cet imaginaire. Il n'y a qu'à se remémorer la pub Herta et ce petit garçon, casquette sur la tête, taillant des lamelles de bois pour créer un moulin à eau. Je ne pense pas avoir été le seul à me projeter dans le monde des rêves, celui de l'enfance, quand c'était mieux, que l'innocence était synonyme de solidarité, de partage et de toute absence de calcul pour chercher à écraser l'autre. Béatement, je me dis que le scoutisme  le préservera pour un temps de la violence des sentiments de notre société moderne et désincarnée, qu'il se fera de  vrais copains.

En ces temps d'incroyance, on pourra sourire voire suspecter le mouvement de prosélytisme catholique. Je ne suis pas pratiquant. Mais j'habite Saint-Denis. Loin de moi toute idée qui pourrait laisser croire que je suis réactionnaire ou que la moindre pensée raciste ou catholique intégriste m'habite. J'avoue que parfois, croiser dans les rues une majorité de femmes voilées me pèse. Je souhaite éduquer mes enfants dans un juste équilibre. Celui de respecter l'autre dans sa diversité et ce qu'elle a d'enrichissant sans pour autant se laisser piétiner les valeurs de ce qui a fait (j'ai conscience de la subjectivité du passé composé) notre nation.

J'ai totalement conscience que rien n'est immuable. Aucune civilisation, hormis peut-être la chinoise, n'a survécu au temps. Vercingétorix, Du Guesclin et Napoléon sont des images d'Épinal qui restent collées à la persistance rétinienne de fantasmes nationaux, construits après la défaite de 1870. La France du « c'était mieux avant » n'est bien évidemment qu'un leurre de populistes. Elle alimente des arrière-gardes de frustrés qui confondent entre soi et méconnaissance de la réalité historique et culturelle. Comme si nous étions  englués depuis Clovis dans un bloc inamovible de valeurs.

Il n'empêche que je ne peux me résoudre à piétiner du pied le passé. Malgré toutes ses imperfections, je suis issu du monde judéo-chrétien et je sais qu'il existe un dénominateur commun vers lequel converge tout Européen. Je ne suis pas prêt à le renier au nom de la déliquescence des valeurs. Et soyons clair. Loin de moi de penser qu'elle est le fruit  d'une horde de barbares musulmans prête à fondre chez nous pour nous égorger, violer nos épouses et convertir de force nos enfants. L'ennemi vient de l'intérieur, de la débauche de sentiments individualistes qui ont permis d'ouvrir des brèches où se sont engouffrés les traders et les admirateurs du Veau d'or.

Alors oui, le scoutisme peut paraître ringard. Pour Noël, Célestin n'aura toujours pas de Playstation. Je ne dis pas qu'il ne me la réclame pas. Mais il a vite fait de l'oublier quand, comme hier, nous explorons Paris en trottinette. Les petits garçons d'aujourd'hui sont tout aussi curieux qu'hier et ils peuvent tout autant être émerveillés de découvrir les Invalides ou les sarcophages du département égyptien au musée du Louvre. Ce n'est pas une question d'intelligence. Célestin n'est pas spécialement plus doué qu'un autre. Je compte simplement sur ma capacité à lui transmettre un peu d'humanité, mâtinée d'un doigt d'impertinence, pour qu'il garde un cap et qu'il sache louvoyer entre l'individualisme forcené et le matérialisme à outrance en se forgeant un esprit critique dénué de raccourcis.

Décidemment,  tu as de la chance mon Célestin. Profite à fond de ces quelques années où ton papa te gardera sous son aile protectrice pour sortir du nid quand tu te sentiras l'âge de te jeter par toi-même dans le monde sans te faire plumer. Et j'attends avec impatience que tu me conduises dans les bois pour me faire découvrir les traces d'un sanglier, me faire écouter le chant du rouge-gorge ou me faire goûter l'ail des ours.

Stop. Tout cela n'est que littérature pour masquer ma beaufitude. Comme tout un chacun, j'aime à me vautrer des heures sur le canapé à ne rien foutre. Mais plutôt que de m'avouer une pignole décervelée devant TF1, il m'est plus facile de coucher deux ou trois poncifs. La vérité est ailleurs. En délestant l'éducation de mon fils une partie du week-end à un prêtre dont j'espère la pédophilie contrôlée, je pourrai tranquillement me donner bonne conscience à mater des conneries en bouffant des chips.