C.D.D

Perrine Piat

Contact à durée déterminée

C'était un parfum, prenant, sucré. Une fragrance qui lui allait si bien qu'on l'aurait cru pensée pour son cou. Je n'avais jamais vu cette personne, c'était mon deuxième mois dans l'entreprise, j'étais là pour gagner quelques sous, pas pour faire carrière. Je travaillais pour m'occuper, mes ambitions étaient toutes autres. J'allais suivre mon mari à l'étranger, on allait avoir une nouvelle vie, loin des enfants, devenus grands, en dehors de la ville.

Ce parfum, dès qu'il a effleuré mes narines… Oh, j'ai senti mon cœur se ramollir, se serrer, se renverser, sans que je ne sache pourquoi. Il m'a émue. Bouleversée. Touchée. Il a annulé toutes les autres odeurs pestilentielles qui régnaient dans cette cafétéria pourtant aseptisée.

Assise devant mon plateau en plastique qui suintait encore la machine à laver, moucheté de tâches et jauni par le temps, j'ai senti son parfum avant de sentir sa présence. Juste à côté de moi. A quoi pouvait ressembler quelqu'un qui portait un parfum si fort ? Un parfum qui me ramenait à l'enfance, qui me rendait femme, qui me donnait envie d'aimer, qui provoquait en mon bas ventre, des montagnes russes jamais envisagées. Un millier de fourmis me parcouraient l'échine. Je sentais mes fesses se serrer puis se desserrer sans que je ne leur ai rien commandé. Troublée par son parfum, par sa seule présence. J'avais envie de voir son visage. De mettre un sourire sur cette odeur. J'avais peur d'être déçue, aussi. Si je tournais mon regard sur la droite et que ses yeux, sa bouche, son cou, ses cheveux n'étaient pas à la hauteur de ce que je m'étais imaginée en respirant son odeur ? J'avais envie de savoir, de découvrir, de rencontrer. Apprécier sa voix, peut-être, aurait pu me suffire pour me faire une idée, mais je n'entendais rien. Simplement sa respiration, délicate, reposée.

Ma main gauche, accrochée à mon plateau, commençait à trembler un peu, je sentais la transpiration envahir ma paume. Ma main droite avait posée sa fourchette et essayait de contenir mon trouble, mon empressement, mon excitation.

D'un coup, dans une brise transportant encore un peu de son parfum, j'apercevais un mouvement venant de ma droite. Et dans l'instant même, je sentais la chaleur de sa peau sur ma cuisse. Sa main. Je baissais alors la tête vers ma ceinture et apercevais ses doigts, longilignes, fins. Ils remontaient le long de ma cuisse vers la braguette de ce jean dans lequel je me sentais maintenant vraiment à l'étroit. Une chaleur humide s'emparait de moi, de mon bassin. J'avais la sensation étrange, jusqu'alors inconnue, d'être en érection. Moi. Femme. Cela était-il seulement possible ? Je me sentais si vide, j'avais plus que tout le désir que ces doigts me remplissent. Là. Comme ça. Sans raison. Mon cœur se soulevait dans ma poitrine, ma respiration était saccadée. Assise là, dans cette cafétéria bruyante et malodorante, seule devant mon assiette, je prenais un plaisir coupable à me faire caresser la cuisse. Et puis le ventre, par une main et une odeur. Je restais interdite. Je ne savais que faire. Insupportable supplice. Parfaite douceur. Je m'abandonnais un instant et me permis de fermer les yeux.

J'avais envie que cette main continue son chemin sur moi, me découvre encore, emportée par un parfum décidément bouleversant. Je m'arrêtais de respirer et ouvris grands les yeux. Alors même que cette main divine s'apprêtait à effleurer, par dessus mon jean, mes lèvres gonflées de désir, elle s'était retirée. Me laissant là, seule à mon plaisir silencieux. Je baissais les yeux, pas de doigt, pas de main. Je tournais la tête, sans réfléchir. Il n'y avait plus personne à côté de moi.

Je me sentais seule, abandonnée, perdue. Comment était-ce possible ? Où cette main et ce parfum étaient-ils partis ? Mouillée de désir. Ma respiration était maintenant haletante, l'excitation laissait sa place à l'angoisse. Je ne savais même pas qui était à côté de moi. Il y a cinq minutes, je ne pensais à rien d'autre qu'à ce plateau jauni, à mon mari, à ma vie et maintenant, je me sentais esseulée, fragile. Cette odeur et ces doigts avaient envahis mon espace et ma tête. Je me sentais humiliée, esseulée. Mon cœur, était ravagé. Je me sentais aussi mal que lors de ruptures adolescentes. Quand un trou béant prenait la place de mon estomac, quand la tristesse s'emparait de tout mon être, quand plus ne rien ne comptais, ni manger, ni boire, ni dormir, ni respirer, ni vivre. Dans de pareils moments, je voulais juste y croire encore, avoir du répit, que la personne aimée m'aime encore, même un peu, même mal.

Je me levais pour aller ranger mon plateau, les yeux dans le vague, les pensées troubles. D'où venait ce désir inopiné, ce plaisir furtif, cet enivrant bien être. Machinalement, je regardais cette horloge de malheur. Il était l'heure de retourner au bureau, une réunion, des mails, de faux sourires. J'essayais de me reprendre. J'avais honte de cette humidité entre mes jambes. Je devais oublier. Tout cela était si ridicule. A quarante-cinq ans, de grands enfants partis de la maison, une nouvelle vie au bout de doigts, comment pouvais-je encore être si futile? Pourquoi m'étais-je laissée faire ? Je m'avançais vers l'ascenseur en m'obligeant à ne plus penser à cette main anonyme. Du concentré de bonheur sur cinq doigts. Je montais les étages, fébrile, allait aux toilettes pour être tranquille, juste un instant. J'étais en colère. Dans ces latrines spacieuses, éclairées par mille néons aveuglants, je me penchais sur le lavabo et me mettais de l'eau sur le visage. J'étais seule. C'était bien.

Jusqu'à ce que mon cœur face volte-face, se mette à danser encore. Immédiatement, je compris. Ce parfum, encore. Toujours. Subtil, raffiné, sauvage. Je jetais un regard dans la glace. La raison de mon tourment. Elle était là.

Grande, beaucoup de classe. Une femme sublime. Ses cheveux mi longs, d'une blondeur stupéfiante, brillaient intensément. Son sourire sublimait un visage gracieux, d'une féminité rare. Son regard, perçant et bienveillant, m'enveloppait d'une immense chaleur. Je ne la connaissais mais j'avais envie qu'elle s'approche. Ce qu'elle fit sans que je ne parle.

Je restais figée devant la glace pour la regarder encore. Je sentais la chaleur de son corps s'approcher du mien. J'essayais d'apercevoir ses mains. C'étaient bien elles, accompagnées de ce parfum délicat.

Je sentais maintenant sa respiration sur mon cou et immédiatement, des milliers de frissons firent se soulever chaque pore de ma peau. Mes jambes étaient en coton.

De la pulpe de ses doigts, tout en me fixant dans le miroir nous faisant face, elle me caressa la joue, replaça l'une de mes mèches derrière mon oreille. Sensuelle.

Mon cou dégagé, elle y déposa un baiser. Je sentais ses lèvres contre ma peau, mon cœur se retournait encore, battait plus fort. Je m'accrochais au lavabo. A chacun de ses baisers, mes paupières se fermaient de plaisir. Evaporée, évanescente.

D'un geste assuré, elle plaqua sa main sur mon bas ventre, collant par la même occasion son sexe contre mes fesses. De son autre main, elle écarta légèrement mes jambes. Me caressant langoureusement. Je tournais la tête vers son visage, mi gênée, mi abandonnée. Elle approcha sa bouche de la mienne. Son souffle chaud remplit mes poumons pour leur insuffler une vie jamais égalée. Nos lèvres se frôlaient, je ne savais plus où donner de la tête. Il aurait pu entrer quelqu'un, se déclarer une guerre ou la mort pouvait bien me foudroyer. Plus rien n'importait. Mon bas ventre était en ébullition, anéanti par le désir, soumis à des explosions de plaisir. Mes lèvres cherchaient désespérément les siennes, qu'elle prenait le soin de faire venir puis de faire disparaître pour augmenter mon trouble. J'étais sienne.

 

Je ne sais ni pourquoi, ni comment, mais dans un frénétique élan, je me suis retournée pour l'embrasser. Jamais un baiser n'avait été si redoutable, si agréable, si délicieux. Sa force et sa vigueur m'étonnaient. Elle était si belle, si femme. Sa langue et ses lèvres étaient d'une douceur indescriptibles, me faisant fondre le cœur à chacun de leurs assauts. Ses mains et ses doigts, entre sensualité et autorité, étaient devenus mes tuteurs. Je me surprenais, moi aussi, à prendre les devants, à multiplier les abordages, les escarmouches, les échauffourées. « J'aime tellement votre odeur » susurrait-elle en m'embrassant. Je n'avais pas mis de parfum. Jamais, ma bouche n'avait été si offerte, mes doigts si puissants, je ne reconnaissais ni mes gestes ni mes agissements. Elle était mienne.

 

Bien maligne celle de nous d'eux qui aurait pu dire combien de temps nous sommes restées dans ces toilettes saphiques. De longues minutes sûrement. A se plaquer contre une porte, à se soulever sur un lavabo, à aventurer nos doigts dans les profondeurs de l'autre, à se respirer le cou, à s'embrasser amoureusement.

Je redoutais que cela finisse. Que dirions-nous alors, comment trouver les mots ? Je ne savais pas comment je devrais me comporter alors. Mais je n'eus pas à me poser la question longtemps car, tout comme elle était arrivée, elle est repartie en un instant. Me laissant seule, heureuse, salie par sa pureté, lavée de ses charges.

 

Impossible de reprendre le cours de ma journée. Mais j'ai tenu dans l'entreprise pour cinq mois, comme prévu. Et avec Eric nous sommes partis, comme convenu.

De l'autre côté de l'Atlantique, j'écris ces mots pour que jamais cette histoire ne se perde, pour que quelque part, cet amour subsiste.

Parfois, dans la rue, je croise ce doux parfum. Alors je respire fort, me retourne, je guette, je reste à l'affût, je la cherche, l'imagine derrière moi. Mon ventre me brûle, mes doigts s'agitent, mon cœur se remet à vibrer. Personne n'en saura jamais rien et pourtant elle est bien là, elle fait partie de moi. Ces effluves ardents, cette fragrance sensuelle, cette odeur délicate.

Pour toujours, à jamais, la puissance de ce parfum me ramène à l'essence de cet instant.

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