Chronique de la pauvreté ordinaire

riatto

La supérette discount empeste la misère et la honte.

Il n’y a que les pauvres qui sachent vraiment se taire. Les cartons éventrés, les emballages grisâtres se chevauchent le long des allées paralysées de silence.

On y croise quelques vieilles alcooliques fanées qui chuchotent des murmures à la caissière pour se faire ouvrir la vitrine cadenassée où trônent les whiskies espagnols, les vodkas turques et tant d’ autres spécialités exotiques.

Yaourts au goût bulgare, importés de Pologne par d’improbables compagnies fantômes domiciliées dans quelque zone d’activité de la Marne. C’est Verdun en sachets, la débâcle de la ménagère qui roule son exode en caddie boîteux.

Les surgelés invitent à la méfiance sanitaire tandis qu’au rayon hygiène on cherche à déchiffrer l’étiquette d’un liquide vaisselle double action aux reflets maladifs.

Quelques excuses bafouillées sous le manteau, où l’on glisse des boîtes de thon à l’huile de vidange. 

La caissière mâchouille un bout de pneu à la chlorophylle sous l’oeil du vigile assoupi.
Lui, là-bas, c’est le capo du camp. L’un des nôtres assurément, mais qui serait passé de l’autre côté contre  un bout de gras dans la soupe. La pire espèce peut-être.

Costume de coton mal froqué, souliers de caoutchouc aplatis par mille ans de garde immobile.

Un pauvre type finalement, et les enfants à la maison, et le train pour rentrer et la banque qui a encore appelé, et elle qui l’attend pour lui gueuler un peu dessus, fainéant.

Demain j’irai dans une vraie grande surface. Une en couleurs, avec de la musique et des promotions clignotantes. Une qui sera chauffée, conditionnée, réfrigérée.

Et des petits saucissons à déguster, des cubes de fromage hollandais, de bons et gros jambons parfumés posés sous les vitrines, des plats cuisinés aux olives, aux cèpes, aux truffes !

De frémissantes charcutières en blouses rose-bonbon avec des nattes blondes jusque-là et des sabots de campagne et qui me demanderont d’un ton enjôleur “ et avec ceci ?”.
 Et moi je leur répondrai de mon plus beau sourire en affectant l’air du type qui n’a pas trop faim et qui, sans regret, balance “ ça sera tout, merci ”.


 Demain je pourrai même ouvrir un paquet de chips avant de passer à la caisse, et je retournerai goûter encore une fois les dés de gouda au cumin et j’aurai l’air de celui qui va se payer toute la boutique !

On me regardera avec considération et respect, j’aurai la présomption d’innocence... 

Je me mêlerai à la foule des gros et des gras.

Demain je serai riche. 

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