Conte à mourir debout
Apolline
J'ai perdu la tête. 2 fois le même jour. Il y a très longtemps.
Un matin, j'avais décidé de m'isoler dans un coin de la basse-cour pour commencer l'histoire du vilain petit canard que m'avait imposé mon institutrice. Je me concentrais sur l'apprentissage de ma lecture, quand j'ai vu débouler la maîtresse de famille, une hache à la main en jappant qu'il y avait sûrement un chien errant dans les parages, vu l'état apeuré de sa volaille, plus le constat des plumes arrachées par ci par là sans compter le grillage déglingué. Quand elle m'a débusquée, elle m'a demandé de son œil méfiant, ce que je faisais là, en même temps qu'elle sifflait dans ses babines : après tout, plutôt bien que je sois là car j'avais acquis l'âge d'apprendre à voir comment on tue un canard, pour l'aider dans cette besogne plus tard. Et puis, elle s'exclama qu'il y en avait un, bien racé, ici dans la masse. Vite, avant qu'il ne se fasse voler pour de bon, car il lui semblait fort tendre. Il ne fallait pas surtout pas attendre demain pour qu'il passe à la casserole car un canard comme celui-là, s'il vit trop longtemps, il devient mauvais sous la dent.
Je posais donc mon livre à plat, à la page 3 en sentant malgré moi, ma bouche claquer sous le bec. Mon bec que j'associais à mon nez, pressentait un spectacle hors normes. En effet, la jeune chienne toujours collée dans les poils maternels détenait le rôle pour tenir solidement les ailes du canard déjà attaché et pendu par les pattes. C'est alors que tout s'est joué, bestial. Le couperet a tranché. CLAC ! La tête est tombée. Mais les ailes se sont rebiffées tellement violentes que les mains de l'aînée ont lâché. La corde aussi. Des cris se sont éparpillés. Des nasillements en mode stéréo accompagnés de mes yeux exorbités crépitaient. Quant au canard décapité, il zigzaguait en dansant dans tous les sens. Je voyais défiler des pattes de partout pour tenter de le pécher. Impossible ! Et puis soudain, la folle bête animée a foncé droit vers moi pour s'écrouler définitivement sur la couverture de mon livre déplié.
L'après-midi, j'avais décidé de rester dans un coin, près de Maman encore agitée dans sa cuisine, pour me délier les mains, m'appliquer dans des lignes de lettres et de mots. Je me concentrais sur l'apprentissage de l'écriture, quand mon cœur m'a envahi. Encore trop palpitant de la séance du matin, il se tournait affamé, vers ma sainte mère. Sainte mère ! Je la sentais lassée. Je voulais l'enlacer. Alors saisissant mes feuilles du cahier, je les ai fait voler devant elle en improvisant une déclaration d'amour, de tout l'amour que j'avais pour elle. Et surtout, je lui déployais à tire d'ailes, toutes les qualités que je lui revêtais. Aimable douce belle gentille etc… Mes yeux brillaient. J'illuminais terre et ciel et mes lèvres avides se mouillaient remplies. Mais soudain un bruit comme un pétard a claqué. D'abord, le sien (pétard) un peu mastoc, s'est posé en bloc et un grognement excédé a tranché : Arrête arrête, tais-toi, j'en ai marre de toi. Si tu continues, je te gifle, tu entends ? Je te gifle et ma gifle sera tellement forte que ta tête sautera au milieu de la cour. Tu as compris ? LA FERME !!!
CLAC ! Mon oreille s'est bouchée. Seul le rire médusé de l'aînée s'est soulevé pour fusionner dans les poils hérissés d'à côté, qui se sont mis ensemble à pouffer dans cette énormité.
Le spectacle du jour était bouclé. Devenue figurante, j'ai regardé la cour. Je l'ai trouvée basse, si basse. Et puis d'imaginer ma tête, gisante dans ce décor, je suis rentrée dans ma coquille. Mais pour ne pas trop me démonter, j'ai affiché comme j'ai pu, l'air bête, avec en prime un sourire un poil jaune niais.
Aujourd'hui encore, quand ça sent le trop plein d'émotions, parfois l'oreille se bouche en pensant : ma fille, tu nasilles !
En ce moment dans mon nid, il fait un terrible froid de canard, j'en ai marre, MARRE.
Je suis juste une femme debout qui, vit s'entête… ne perd jamais la tête.
(Texte protégé)
Apolline, tu sais comment voler dans les plumes de tes lecteurs, je me suis pris ton récit dans les dents comme le canard sur le livre déplié. Bravo pour ce conte à nourrir deux (et plus) bouts.
· Il y a plus de 10 ans ·valjean
Oups je suis toute... retournée... Cela sent le pétard d'un allo maman bobo aime moi... C'est du vécu? Je ne suis donc pas la seule? Lassée et envie d'enlacer... j'aime! Kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Oh oh Merci pour tout chère Vivi la Voyageuse :)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Je suis en train de lire tous les textes de mes abonnés... et de correspondre en même temps avec notre ami le morveux... c'est amusant! kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Le compte est bon pour l'émotion. La construction est fort habile et garde bien ses secrets. A relire avec soin, en hommage à ton entêtement
· Il y a plus de 10 ans ·gill
Grand Merci Dame de Cœur pour ton passage ;)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Un petit pétard dans le trou du cul du petit canard et hop à la marre... le vilain ! Bien joué Madame A !
· Il y a plus de 10 ans ·effect
la mare aux diables aussi ;)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Wow ! Si j'osais je dirais que j'ai reçu une claque en lisant ce texte. Que d'émotions ! Tout y est réuni. Il y a de l'action, du sang, des pétards, de l'amour et du canard. Concernant la fin tragique de ce dernier, je me suis dit que c'est peut-être de là que provient le dicton : "Quand on n'a pas de tête il faut avoir des jambes..."
· Il y a plus de 10 ans ·Chris Toffans
Merci cher Chris pour ta réflexion fort bien.. pansée...
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Joli jeu de mot avec le titre, autrement j'ai bien aimé le style. Hâte de lire la suite, si suite il y aura !
· Il y a plus de 10 ans ·------
Mais tout de suite, merci Lengo pour ta visite :)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Une chronique pleine d'émotions, il est des douleurs dont il faut se libérer !!
· Il y a plus de 10 ans ·marielesmots
Chère Marie, OUI ! :)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Il y a des "mises à mort" de noter âme d'enfant violentes et d'autres tout aussi meurtrières, mais distillées de façon très subtile ...
· Il y a plus de 10 ans ·Sans doute suis-je aussi une de ces "mortes debout".
akhesa
L'important c'est de "jouer du piano debout, simplement sur nos deux pieds, il faut être Nous, vous comprenez " ;) Merci Akhesa pour tes lignes...
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Bonsoir Apolline,
· Il y a plus de 10 ans ·Un vrai conte à rebours, celui d'un amour anti-œdipien, qui bouleverse toute une vie.
4/5
Au plaisir de vous lire.
Bien amicalement.
Paul Stendhal
Paul Stendhal
eh bien quelle surprise dans la nuit ! Alors Merci et Bonne Nuit ;)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Re-bonsoir Apolline,
· Il y a plus de 10 ans ·Merci à vous pour avoir fait le nécessaire ! Pardon pour les autres lecteurs qui ne comprendront pas ce message !
Bien amicalement à vous.
Paul Stendhal
Paul Stendhal