Derriere la porte

christinej

Je sais, elle n’a aucune idée que j’existe.

Pourquoi devrait-elle?

Je ne suis qu’un vulgaire vendeur, dans un magasin de produits frais.

Enfin, vulgaire, pas tant que ca, le magasin m’appartient, mais comment peut elle le savoir.

Elle vient faire ses courses, quasiment tout les jours chez moi et jamais elle ne m’a regardé.

Bon, il faut dire que je suis pas beau, je le sais. En plus je vis toujours chez maman et mes vêtements ne sont pas a la dernière mode, ca je le sais, aussi. Mais un regard, un simple regard ca ne mange pas de pain.

La première fois que je l’ai vu, j’ai tout de suite pensé qu’elle s’était trompée de chemin. Vous savez, elle est de ce genre de femme que l’on trouve belle, presque trop belle, avec son allure un peu bourgeoise mais avec des fragrances de délicatesse dans les gestes. Un rayon de soleil.

Ses cheveux blonds tirés en chignon, jamais une touche de maquillage, elle n’en a pas besoin de toute façon. Ses yeux verts ont des petites paillettes d’or qui les rendent magnifiques.

Sa bouche fine et bien dessinée, ne se desserre jamais, sauf pour dire, “bonjour, c’est combien? Au revoir.”

Elle porte, immanquablement le même imperméable beige, avec de gros boutons marrons, toujours fermé du haut jusqu’en bas. Ses doigts sont fins et longs, je suis sur qu’elle joue du piano avec de doigts pareils. Elle a les jambes fines d’une ballerine.

C’est avec grâce qu’elle se déplace, elle doit être, certainement une danseuse de ballet.

Mais a chaque fois, elle ne fait que passer, pas un mots, pas un regard, pas un échange, rien. Elle ne laisse derrière elle, que son doux parfum de jasmin et mon cœur tombé au sol.

 

5:00 du matin.

Le réveil n’a pas besoin de sonner, cela fait longtemps, déjà, qu’elle attend sur le bord du lit. Elle respire a peine, elle veut profiter du calme et du silence encore un peu.

Bon elle a assez trainé, pense t elle.

Elle se lève sans faire de bruit et quitte la chambre, comme le dernier fantôme de la nuit, dans un murmure.

Elle se prépare un café, qu’elle avale en deux minutes, même si cela lui brule la langue.

Elle a appris a être organisée et précise. Tout d’abord, elle nettoie les salles de bain, puis le salon, la salle a manger et les autres pièces. En même temps elle lance une machine a laver. Elle termine toujours par la cuisine. Tout s’enchaine a la minute près.

C’est bon elle est dans les temps.

Vite, elle court prendre sa douche, efface toutes traces de son passage. Un dernier coup d’œil, c’est parfait.

Bon, il faut préparer Son petit déjeuner maintenant et sans fausses notes.

Du café, des œufs au plat, du pain perdu, du fromage et de la confiture, tout cela doit être placé a 8:00 précise sur la table a manger.

Car a huit heure justement la porte de la chambre s’ouvre.

Dans l’encadrement, un homme se dresse a la silhouette bedondaine, la culotte de son pyjama lui découvrant la raie des fesses.

Il se met a bailler avec rudesse et impolitesse, tel un lion rugissant pour prévenir les autres de sa présence.

Malgré son allure débonnaire, ses petits yeux noirs, sournois et chiasseux, scrutent la pièce.

Il renifle a chacun de ses pas, recherchant l’odeur d’une faute. Il ouvre avec force chaque porte en espérant surprendre un ennemi caché.

Apres cette ronde matinale, il pose son flatulent fessier sur la chaise en face du repas.

Alors elle sort de son coin, comme un coucou de son horloge, par force, les yeux vissés au sol, pour lui servir son café.

Une goutte, téméraire et suicidaire, chute sur la nappe.

Aucun mot n’est échangé, pas besoin, plus besoin.

Elle a juste le temps de poser la cafetière, il l’attrape par les cheveux et la fait voler a l’autre bout de la pièce.

“COUCHE” aboie-t-il.

Elle est a terre, ramasse son pauvre corps pour en faire une boule aussi petite que possible. Puis elle attend.

Il engloutit son repas comme un cochon, grognant, bavant, éructant. La nourriture s’étale sur lui, sur la table, sur le sol. Il mastique comme un ruminant mal élevé. Son pet retentissant le fait rire, un rire gras et poisseux.

La chaise bascule et tombe….

Il vient de se lever.

“Viens chienne!”

Est-ce la peur, l’instinct, l’obéissance rudement apprise, qui la font réagir aussi vite?

Elle ne sait plus.

Il la pousse sur le lit, remonte sa robe et la prend, sans délicatesse, bestialement, affreusement.

Dans sa tête elle commence a compter, 1, 2, 3...elle sait qu’a 10 tout sera fini.

Quand elle se relève, elle ajuste ses vêtements, remet ses cheveux en place, reprend en semblant de forme humaine. Lui il suinte de sueur et de vice, il la regarde avec dégoût et mépris. Elle ne bouge pas, elle attend, elle espère que, peut être aujourd’hui….

Il se lève du lit avec la lourdeur d’un pachyderme, renifle et d’un pas lourd se dirige vers une porte peinte de noirceur au fond de la maison.

Il prend la clé qu’il porte autour du cou pour déverrouiller la serrure.

Elle se sent vivre, fébrile son cœur cogne dans sa poitrine au point de lui faire mal.

La pièce est baignée de pénombre, elle a l’allure d’un débarras. Pourtant elle ouvre ses bras et comme par magie trois enfants viennent s’y blottir. Elle les enlace, les couvre de baisers, de caresses, ses enfants, ses merveilleux enfants. Félix 5 ans, Caroline 7 ans, et la plus grande Mélanie 11 ans. Elle leur donne autant d’amour qu’elle peut, leur murmure qu’elle les aime, elle les aime tellement fort.

D’habitude, il part, il ne reste pas, il n’aime pas regarder ces jérémiades, ces pleurnicheries, toute cette merde dégoulinante de sentiments qui le révulse.

Mais aujourd’hui c’est différent, la plus grande a bien changé, elle commence a être pas mal, pas mal du tout même.

Elle l’a vu, ce regard qui s’attarde sur sa fille, la bave qui lui monte a la bouche, cette langue, comme une grosse limace, qui vient lécher ses lèvres d’envie.

NON.

Il peut faire tout ce qu’il veut d’elle, mais il ne touchera jamais a ses enfants.

Non jamais.

 

 

Ah, elle arrive enfin, mon rayon de soleil.

Ses cheveux sont défaits, elle sourit, elle me regarde….

  • Terrifiant, et une chute lumineuse!

    · Il y a environ 11 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

  • merci Cerise David pour le cdc c'est vraiment gentil. Sinon oui c'est une fiction. merci encore

    · Il y a plus de 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • J'ai trouvé que ta chute est sublime sans doute le message qu'elle laisse entrevoir. La liberté la fin des souffrances. C'est magnifique. Cdc parce que ca ma retourné les tripes de par l'écriture impeccable mais surtout le message... on croirait du vécu. ... et j'espère me tromper.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    10712727 927438223957778 7773632960243052824 n

    cerise-david

  • ne t'en fais pas Stef tu n'es pas le seul. a la fin elle se libere (tue) de son tortionnaire, c'est pour cela qu'a la fin elle va faire ses courses sourire aux levres. voila merci de ta lecture

    · Il y a plus de 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • Une nouvelle vie s'offre au rayon de soleil!!
    (c'est horrible de savoir que ca existe des atrocités pareils.)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

  • C'est super bien écrit, je me suis sentie angoissée et même eu la littéralement la nausée. Il est vrai comme l'a dit Octobell que la fin est subtile. Bravo. CDC

    · Il y a plus de 11 ans ·
    525237 629036707110410 376162468 n

    Marie Cornaline

  • merci a vous pour vos commentaires, mais le pire dans tout ca c'est qu' il en existe en vrai des comme ca.
    @Mysteria/Karine oui je me souviens et pour moi c'est un texte fort, dur, tellement bien ecrit

    · Il y a plus de 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • un bon suspens. une fin bien finie. un thème très noir.
    te souviens-tu de ça, Christine?
    bises

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Img 0052 orig

    Karine Géhin

  • Ton récit oscille en permanence entre conte horrible et remarques drôlatiques ! Remarquable ! CDC

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Un bon portrait d'un beau salaud. ça envoie du lourd !
    Moi aussi je trouve la fin bien ficelée.....

    · Il y a plus de 11 ans ·
    120x140 image01 droides 92

    bleuterre

  • Ah la vache ! Celui-là est particulièrement monstrueux ! Mais la pauvre quoi ! J'adore la fin, subtile, pleine de non-dit, mais qui laisse tout deviner. C'est vraiment bien joué !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

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