des haïkus pour l'été
nyckie-alause
Ce matin, il me semble que nous avions rendez-vous ? N'est-ce pas ce que nous avions convenu ? Tu serais arrivée du sud et moi, j'aurais remonté l'avenue de la Liberté. Nous serions partis de chez nous à la même heure, quand la lumière dissout enfin les miasmes accumulés pendant la nuit sous les grilles des égouts.
nos portes claquent
à l'unisson de leurs échos
vibration dans l'air clair
matin d'été
notre rendez-vous
sur une place fraîche
Si tu étais en route… Ce doit être ainsi, tu as décidé de me faire attendre, me faire prendre la mesure du désir que je peux avoir de toi. Je reste pensif, assis sur la pierre froide de la margelle de la fontaine. Du bout de ma chaussure je chasse des feuilles échouées là en les faisant glisser une à une dans la rigole verdie de mousse. Et une à une elles naviguent pour finalement aller s'accumuler sur la grille de fonte, comme un millefeuille trop cuit. Quand elles ont toutes disparu, c'est le manque de bruit autour de moi qui me fait ressentir le manque de toi.
ce matin
le silence des oiseaux
comme s'ils savaient…
les feuilles brunes
dans l'ombre verte
s'agglomèrent autour de la grille
Quand le premier moineau, d'un vol sûr, a traversé l'espace jusqu'à la surface miroitante de la fontaine, a atterri sur le bruissant de la rocaille, a secoué ses plumes comme on se débarrasserait d'un mauvais rêve dans les éclaboussures lumineuses, ses congénères ont entamé un chant de victoire, une conversation. J'ai regard ma montre et j'ai tendu l'oreille. Sont-ce tes pas que je perçois sans encore t'apercevoir. Le rythme de ma respiration se calque sur celui de mon cœur, sur ce que je sais du bruit de tes sandales. Ce que j'en sais, c'est que le pied droit ne produit pas la même note que le pied gauche, un petit demi-ton vers le haut. Plus besoin de tendre l'oreille. Tes pas résonnent dans la ruelle où s'accrochent encore des lambeaux de nuit, comme une ultime tentative de capture. Mes yeux se tendent vers la musique venue du sud, prêts à arracher à cette ombre le premier reflet de ton corps ?
mélodie douce
odeur florale des tubéreuses
air de saison nouvelle
Et enfin tu es là. Légère, un rien distante, tu virevoltes en faisant fuir, mais pour un instant seulement, en faisant fuir les moineaux. Ils se perchent et repartent.
les ombres des moineaux
tombent et se relèvent
un rêve de feuille
jardin en friche
un vieux silence
monte dans les saules
C'est sans guère de mots que nous nous étreignons. La rencontre a eu lieu. Et maintenant ce sont nos pas qui martèlent les pavés, égrènent les secondes, profilent l'avenir. Le mur du vieux jardin s'effrite en grains de chaux pour laisser aux pierres grossières une raison encore de structurer l'espace. La maison reste derrière, cachée, obscure, protégée des intrus.
la porte dérobée
se cache sous le lierre
aux regards malveillants
De ma poche, j'ai sorti la clef. T'en souviens-tu ? Cette grosse clef brune avec une étiquette de carton gris fixé par un bout de ficelle rugueuse qui s'effiloche et pique un peu autour du nœud. « 123 » est inscrit sur le carton usé. Et sur le haut de la porte caché sous le lierre. Un anneau pend qui autrefois a dû permettre d'actionner une petite cloche.
le carillon trébuche
puis s'éteint pour toujours
comme un soupir
Dans le jardin, je t'ai serrée contre moi, je t'ai senti frémir, un tremblement, une vibration, un émoi qui moi aussi me gagne. T'en souviens-tu ? Une moiteur qui commence par la paume de nos mains, quelques sueurs qui descendent le long de nos échines. Cette odeur acide et douce que je respire avec volupté, là, dans ce petit creux caché sous ton oreille. Ta main capture sur mon front des brillances et, en passant sur mes yeux font se fermer mes paupières, contre mon gré. Je n'ai de cesse de pouvoir les ouvrir à nouveau, de t'écarter de moi pour pouvoir te reprendre, de t'amollir pour te retendre.
la journée disparait
quand se ferme la porte
de bois gris
Le temps s'étire loin du monde, toi et moi. L'odeur de fleurs fanées, de laine et du crin des fauteuils, un subtil amalgames de vies vécues, de notre vie à vivre, de disparitions et d'apparitions. La porte refermée, de connivence nous décidons que c'est la nuit. La lumière qui s'immisce dans les interstices dessine au plafond des paysages à l'envers dont on n'est jamais sûrs de l'existence.
C'est quand nous sommes entrés dans la chambre que la voix t'est revenue. Fébrile, chaude, elle caresse mes sens d'un souffle, elle m'électrise. Tes mots, des étincelles, qui partent à droite, à gauche, s'impriment sur le papier fleuri, s'accrochent comme des ombres dans les plis des rideaux. Je te tiens serrée et tu t'échappes encore, un chat. Je te poursuis, te rattrape, te saisis, te relâche, pour jouer encore, animal.
nuit d'été
son chemisier ne tient plus
que par deux boutons de fièvre
J'aurais souhaité que ces boutons qui nous règlent aux dehors tombent d'eux-même, prennent conscience de la vanité de leur existence en ce lieu réservé. Mais rien à faire, chacun doit mener son propre combat contre les lieux communs et les figures imposées. Menons le nôtre me dis-tu. J'acquiesce. Que faire d'autre puisque je t'ai amenée jusqu'ici. Ma main ? Tu te souviens comme tu l'a repoussée. Tu t'es reculée de deux pas, pas plus, avant de tourner sur toi-même et d'obscurcir mon esprits de tout ce que tu m'as dit. Et moi, de t'écouter, je suis devenu aveugle. Cachée derrière tous ces mots tu t'étais dévêtue avant que j'échappe à cette hypnose.
derrière un paravent de mots
elle n'en finit pas
de se déshabiller
Longtemps, nous sommes restés dans la chambre.
volets clos
la vie se joue
dans les interstices
Les bruits du dehors ont finalement réussi, après de multiples et épuisantes tentatives à rejoindre les bruits du dedans, à s'y mêler. La personnalité de la maison et du jardin se sont infiltrés dans la chambre, d'abords dans les coins les plus sombres qu'ils ont rempli avant de se glisser partout. Et j'ai tiré sur nous le drap de lin brodé, lourd et frais. Sur nous. Cette journée, t'en souviens-tu comme d'un jour ou d'une nuit ?
C'est à ce moment-là. J'ai commencé à vivre.
C'est le moment que j'ai choisi, le jour où tu es arrivée en retard.
dans le silence
et dans la nuit
tout est chemin
C'est beau et très parlant. Je me suis essayée aux haïkus, mais beaucoup trop d'erreurs ou de maladresses. Bref, je pense que c'est tout sauf un haïku. J'ai voyagé grâce à ce que tu as écrit...
· Il y a environ 8 ans ·Sy Lou
Je crois pour les haïku il faut abandonner les fameuses règle du 5/7/5 syllabes et n'en faire qu'à sa tête façon écriture automatique et laisser aller les sensation que provoquent les mots eux-mêmes
· Il y a environ 8 ans ·nyckie-alause
Oui et non. Le haïku est un exercice difficile où il faut faire preuve de concision, trouver... l'inatteignable parfois. Et d'un autre côté, tu as raison, l'essentiel est de s'exprimer, de se faire plaisir. Laissons aller l'inspiration du moment, c'est elle seule qui doit nous guider. Tu réussis fort bien à ce jeu-là.
· Il y a environ 8 ans ·Sy Lou
Mon choix : les règles suivies "raisonnablement", à l'aune de la raison quoi…
· Il y a environ 8 ans ·nyckie-alause
Ton choix est respectable, l'essentiel étant que tu t'y retrouves, ce que je crois :)
· Il y a environ 8 ans ·Sy Lou
Oh lala c beau ce texte c une brise légère aux senteurs de filles, ça flotte comme un nuage les haikus sont bienvenus y'a des tournures ou idée trop belles et puis cette prose poétique épidermique trop jolie bôôô merkiniki
· Il y a environ 8 ans ·Christophe Paris
Que tu es gentil d'avoir visité ce texte de début d'été. De puis je n'avais rien écrit jusqu'à … aujourd'hui. La raison en sera développée dans une prochaine publication. Tu vois comme je sais provoquer la curiosité ?
· Il y a environ 8 ans ·Merci et à bientôt
nyckie-alause
Si sensibles correspondances d’escales, de flots d'intime en en îlots -voie -off d’haïkus…. Raccords sublimes d’un invisible ourlé
· Il y a environ 8 ans ·On s’y déroule à respirations de diaphragme…soulevé(es) d’émotion à chaque ouverture...
Ela F
Je suis flattée de recevoir un commentaire aussi "littéraire" et poétique
· Il y a environ 8 ans ·nyckie-alause
Et je m'imagine des amants se voyant en cachette. Que ta plume est belle qui mêlent le jour, la nuit, la lumière, l'ombre, les bruits, les couleurs. Un pinceau magnifique qui peint un instant de vie partagé. Que ta plume est belle, envolée.
· Il y a environ 8 ans ·lyselotte
Un souffle d'été… Merci Lyselotte
· Il y a environ 8 ans ·nyckie-alause
C'est délicatement orchestré ces notes poétiques, j'aime beaucoup.
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
Merci de ton commentaire et de ton passage.
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
· Il y a plus de 8 ans ·jardin en friche
un vieux silence
monte dans les saules... j'aime kissous
vividecateri
ce haïku est tiré de : "Juste la douceur du vent" de Christian Cosberg, éd. Tapuscrits (http://tapuscrits.net). En lisant cet auteur, les pensées se mélangent aux images, les images aux pensées, en beauté et en délicatesse… Ne manque pas de te le procurer
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
merciiiiiiiiiiiiiiiii kissous
· Il y a plus de 8 ans ·vividecateri
Très beau !
· Il y a plus de 8 ans ·ade
Merci...
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
Un petit bijou ta nouvelle, que je relis avec délectation !!!
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
Les haïkus n'ont rien à envier au texte, et inversement...
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
Je suis émue de tant d'éloge…
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
C'est très joli ce mélange de vos mots....:-)
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
beaux entrelas dans une même harmonie
· Il y a plus de 8 ans ·reverrance
Merci pour ton passage, ta note, ton commentaire, ton intérêt… Ne manque pas cet ouvrage de Christian Cosberg, il est délicieux
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause
Et aussi pour le coup de cœur
· Il y a plus de 8 ans ·nyckie-alause