Des Pommes et des Hommes (Version Courte)

Roy ¬ Serpand

Sylvie, qui ne pouvait garder un secret, avait appelé 'Chouinette', son amie de toujours et camarade d'infortune : - J'ai enfin trouvé la clé du Bonheur ! Elle était dans le trousseau des possibles !

- Excusez-moi, je crois que ces poireaux sont à vous.
Elle fixait la poche. "Bon sang, c'est exact", chuchota-t-elle. Effectivement, Sylvie avait oublié ses poireaux quelques mètres plus loin, sur les tréteaux du petit marchand périgourdin. Cela ne lui était jamais arrivé ! Mais quand le destin décide de s'emmêler, il joue des farces parfois curieuses, mais jamais hasardeuses. 
Et alors qu'elle se demandait encore comment cela avait pu se produire, l' inconnu ajouta :
- Je vois que vous achetez des pommes. Vous savez qu'il en existe plus de 80 000 variétés ? Il faudrait plus d'une vie pour toutes les gouter ! Celles-ci par exemple, ce sont des Golden Delicious. Et celles-là encore, des Pink Lady !
L'homme était savant, Sylvie l'écoutait religieusement, et le voilà, habile, qui mimait à présent une éclipse avec les deux pommes :
- Et si on les mélange, comme ceci, on obtient donc des 'Golden Lady Delicious'. Un peu comme vous en somme, sourit-il.

Quel charmeur, et elle se mit à rougir, tout sur l'étal n'était qu'or et rubis. Jamais on ne lui avait fait d'aussi beau compliment. Charmant et cultivé, et racé avec ça ! Sylvie venait en effet de s'accorder un instant pour observer son courtisan, et ce qu'elle y vit l'ensorcela. Ce crin souverain, et ces yeux perçants, ces épaules robustes autour desquelles il avait noué son petit pull à la manière d'une cape, elle se serait volontiers laissé cueillir par ce jeune mirliflor ! Sa coquille fendait aux moindres blandices. Le ver était dans la pomme.

Elle ne savait que répondre, il fallait bien une grâce pour la sortir de cet embarras. Et l'impossible se produisit.
- Regardez ! Une hirondelle, on dit que ça porte chance ! s'enthousiasma l'homme. Faites un voeu !
- Voilà.
- Laissez-moi deviner, je parie que vous avez souhaité me revoir !
- Je ne peux pas vous le dire, sinon il ne se réalisera pas !
- Ahahah, vous avez tout à fait raison. Vous êtes incroyable, j'ai l'impression de vous connaitre depuis cent ans !
- Et moi mille !
- C'est impossible, personne ne vit mille ans !
Qu'on ne s'y trompe pas, seule une vraie alchimie entre deux êtres permet une telle vivacité dans le dialogue. Et tous deux, ne le sachant que trop bien, partirent dans un éclat de rire dont ils avaient désormais le secret.
Au comble de l'euphorie, Sylvie remarquait pour la première fois qu'il y avait des fleurs sur le parking. Elles avaient fissuré le bitume. Il regardait lui aussi ce drôle de spectacle.

"Nature always finds a way" dit-il avec grande philosophie et un accent impeccable.
Elle le regardait, avec ses yeux flottants, bouleversée par ce qu'elle venait d'entendre, et posa sa tête sur son épaule.
- Protège-moi, trembla-t-elle.


Ils avaient roulé et roucoulé toute la journée dans les cols de la région. Yann avait insisté pour lui montrer la face cachée de la Mayenne, n'hésitant pas à adopter une conduite sportive par moments pour lui attester assurance et virilité. Très naturellement, elle avait accepté son invitation à finir chez lui cette superbe journée.
Yann, pressé d'entamer les festivités, débouchait déjà une bouteille de vin :
- À NOTRE RENCONTRE ! scanda-t-il.
Ils se regardaient, se dévisageaient, fous de désir. 
Après avoir gloussé et s'être gratté nerveusement la nuque, Yann brisa ce silence chargé d'érotisme.
- Tu sais, j'écris un peu. Veux-tu que je te lise quelques vers que j'ai écrit un soir d'été adossé à un vieux chêne ? Je portais un chandail vintage et…
Elle le coupa, surexcitée. "Oui j'aimerais beaucoup !"
- Attends-moi là ! dit-il, courant vers l'escalier. 

Et elle l'entendait avaler les marches en riant. Elle écoutait l'agitation à l'étage, les tiroirs qui s'ouvraient et se fermaient, mais aussi quelques protestations d'impatience, et tout un charmant monologue.
- Rhaaa mais qu'ai-je bien pu faire de mon vieux moleskine…
- J'aurais pourtant juré l'avoir rangé dans cette commode baroque.
- Oh tiens ! La médaille de Maman !!

Que cette situation l'amusait ! Elle pouffait dans ses mains, le sourire béat d'une jeune innocente.
- Le voilà ! s'exclama soudain Yann, brandissant le petit carnet. Puis il l'invita sur le canapé, et commença sa lecture :


Je t'ai offert mon coeur

- Sur un plateau

Et tu l'as cuit à la vapeur

-Tel un tourteau

Et mes larmes salées

Sur tes lèvres sucrées,

Je garde un souvenir amer

De cette tarte à la merde.


Quelle justesse, quelle souffrance. Elle tourna la tête pour essuyer une larme. Yann bondit du canapé :
- Je vais mettre un peu de musique ! et il disparut derrière une porte. J'espère que tu aimes Julien Clerc ! cria-t-il.
"C'est mon chanteur préféré…" chuchota-t-elle effrayée par toutes ces affinités.
Et soudain, elle suffoquait, se leva pour prendre l'air, mais Yann la rattrapa :
- Je n'ai pas entendu ta réponse, ma tourterelle…
...Qui s'envole à tire d'aile poursuivait le vieux tourne-disques.
Tout était parfait. Trop parfait. Elle le fixait avec des yeux ridés de méfiance, secouant lentement la tête, agrippée au buffet, sentant que ses jambes ne la portaient plus : 
- Qui es-tu ? lâcha une voix chevrotante.
Sentant sa nervosité, Yann saisit doucement ses hanches avec une délicatesse quasi artisanale.
Elle voulait hurler, le griffer et s'enfuir. Mais elle n'avait plus la force de se débattre et éclata en sanglots. Elle lâcha le buffet pour cacher son visage. Heureusement, Yann la retenait. Et elle se laissa fondre contre son torse puissant.
- Excuse-moi, justifiait-elle. C'est juste que, tout ce temps…
- Je sais, la réconfortait Yann. J'ai peur, moi aussi.
Et il l'embrassa avec passion. Enfin ! Ce baiser, ils l'avaient voulu tous deux, depuis le début, et voilà qu'il agissait comme un brasier qui réchauffait deux coeurs inquiets, mais pas que.

- C'est un briquet cette bosse dans ton pantalon? souffla-t-elle coquine, reprenant un standard usité qui faisait toujours son effet.
Mais il recula brusquement, passablement piqué. "Je ne fume pas, ok?! Et quand bien même je fumerais, s'aventurait-il confus, je n'aurais pas besoin de briquet puisqu'à tes côtés je brule déjà." Ce jazz nerveux, gauche et brouillon, cette brioche, rendait la situation encore plus excitante.
Voyez comme elle tremblait à présent. Telle une feuille morte ballotée par le vent, emportée par ses mots. Elle voulait s'abandonner au coeur du volcan. Au diable ses voeux, il y a des feux que l'on n'éteint pas !

Yann la souleva, elle noua ses jambes autour de son bassin. Il se frottait comme un chien, lui caressait les jambes, puis passa la main sous sa petite jupe étriquée pour la palper vigoureusement.
- Hummmpf, tu as mis un string ?! haleta-t-il.
- Toujours, quand je vais au marché.
Pour Yann, c'en était trop. Il sentait gonfler ses veines, gorgées de vice, elles crépitaient sur son front comme des cratères de magma en fusion :
- Très bien, le lit ! - Il bavait de la lave.
Et il courut jusque dans la chambre sans la lâcher, trébuchant dans l'escalier, puis la jeta, essoufflé, sur le lit. Agité, maladroit, il commença par lui lécher l'épaule. Lentement, puis compulsivement. Les yeux mi-clos, et tout à fait fermés, tel un chat se toilettant. Sans un bruit. Pour Sylvie, c'était nouveau.
- Tu aimes ce que je te fais ? s'arrêta-t-il pour récolter fièrement les fruits de son labeur.
Elle hésitait. "Oui.. c'est agréable."

Il avait à présent la croupe relevée, prenant bien soin de se cambrer. Cette image hantait Sylvie. Elle regardait ailleurs pour ne plus y penser, et le vit branler mollement sa petite quenelle. Il accélérait ses mouvements. Elle était nerveuse. 
Il expira un souffle coquin à hauteur de son visage après une saccade plus lente.
Elle sentit son haleine, chaude et plâtreuse. Cela lui rappelait la fois où elle était passée sous un conduit d'aération dans un parking du centre ville de LAVAL. "Bernique, non ! Ce n'est pas un bon souvenir ! Ce n'est pas du tout comme ça qu'il faut faire! s'énerva-t-elle en son sein. Pourquoi faut-il toujours que je gâche tout !" Cette lutte intérieure, féroce, ses yeux plissés l'avaient trahie.
- Ca ne va pas ? s'inquiéta Yann. Tu n'aimes pas ce que je te fais; dis-le moi. 
- Non non, continue, c'est excellent. Change d'épaule s'il te plait, dit-elle précipitamment.
Lentement, il chevaucha son corps, s'installa le long de son flanc, couvrit son ventre de sa jambe, et sa joue de baisers. 
- Tu sais, j'adore l'amour, c'est sublime, chuchota-t-il à son oreille. Quand je fais l'amour, j'ai l'impression d'être une toute petite abeille dans un immense champ de tournesols.
- Butineur ! Tu es un butineur ! plaisanta-t-elle. Je comprends mieux pourquoi tu es célibataire !
- Tu n'y es pas, l'interrompit-il avec gravité. Les femmes ont beaucoup joué avec mon coeur. Depuis, j'ai du mal à me livrer. Mais avec toi, j'ai tout de suite senti que c'était différent, je me sens pousser des ailes.
Elle rayonnait, elle adorait ça.
- Bien sur ! Oui moi aussi je l'ai tout de suite senti !
Le pensait-elle vraiment ? Ou tombait-elle encore dans le piège minable d'un beau parleur qui savait faire émerger en elle tout un tas de certitudes ? Mais elle avait un peu muri.
- Toutefois, je ne veux pas que ça aille trop vite entre nous. Ce soir je vais te branler, dit-elle en l'embrassant tendrement. Tu le mérites.
- Je le mérite… répétait-il en se relâchant.
- Allez, jouis dans mes mains.
Et il jouit? Rapidement, oui. Et Sylvie faisait des petites toiles avec sa semence.
- Petite abeille… chuchotait-elle, lui caressant les cheveux de ses doigts visqueux, l'épiant pieusement dans son état de plaisir semi-conscient.
- Bzz, bzzz! souriait-elle en lui tapotant le museau alors qu'il reprenait lentement ses esprits, lui déposant une caquine de sperme sur la pointe du nez.

Et ils s'endormirent enlacés, heureux comme deux amants nouveaux bercés par les chants d'oiseaux. Ce soir là, Sylvie rêvait de colombes et de champs de coton. Yann refit encore ce délicieux rêve d'évasion fiscale qu'il faisait toujours après avoir joui. Ils étaient au paradis. LIBRES.

Signaler ce texte