Et toi, tu l'aimes la vie ?

Il ou elle aimait la vie.

Vous avez déjà entendu ça ? A leurs obsèques en général, dit comme « ils étaient bons vivants », comme un des compliments de l’éloge posthume.

Mais s’ils n’aimaient pas la vie, c’est bien fait qu’ils soient morts ?

Les enfants aiment la vie ?  les enfants martyres, les enfants esclaves, les enfants mendiants, les enfants prostitués, aussi ?

Les soldats, chair à canon, les hommes et les femmes sous la torture, les populations bombardées, affamées, opprimées, exploitées, en train d’être exterminées aiment la vie ?

Les indiens d’Amérique du nord, du sud aiment encore la vie ?

Ça veut dire quoi aimer la vie : aimer SA vie ? ou est-ce aimer les autres, la vie des autres ?

Quand on le voit sur son nid d’aigle entourés de femmes, d’enfants, de serviteurs dévoués, de son chien, au sommet de son ambition,  ne pourrait-on pas dire qu’Hitler aimait la vie ?

Les assassins, les despotes, les chefs de gang, les vendeurs de drogues diverses, les proxénètes, les esclavagistes, les kamikazes, les égoïstes aiment leur vie ? ou la mort des autres ?

Pour aimer il faut avoir du temps, il faut pouvoir fabriquer du désir, libérer cette énergie-là.

Tous les êtres humains ont-ils le pouvoir de cela ? Et quand la faim obscurcit tout le reste ?

Que reste-t-il du sentiment de vivre quand la maladie et la souffrance sont envahissantes, quand la démence a remplacé l’intelligence, quand la psychose est devenue le maître.

A-t-on la liberté d’aimer la vie quand un être chéri vous manque au point que tout gris.

Ne pas aimer la vie est-ce être un crétin, un être négligeable, un de ceux qui n’aurait rien compris ? Je pense à ce qu’on aurait pu dire de Pavese et pourtant.

Dès que la vie laisse le moindre répit, offre le luxe d’un instant de paix intérieure, n’est-ce pas facile de l’aimer, par simple reconnaissance ?

Pouvoir aimer la vie n’est pas qu’une aptitude personnelle, encore moins une qualité, ne serait-ce pas l’ultime privilège ?

Qu’est-ce que ça peut foutre qu’ils aient aimé la vie ou pas ? Si nous les avons aimés, si nous pouvons les remercier pour ce qu’ils étaient, parce qu’avant d’aimer leur vie, ils l’ont donnée à d’autres.