Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire – La fée blanche

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La fée blanche

J’ai toujours gardé, gravé là en moi, cette dernière image de ma mère. Je ferme les yeux et elle est toujours là.  Dans mon esprit. Debout, de dos, en chemise de nuit bleue, fouillant dans l’armoire de sa chambre. Bien souvent, j’aimerais que dans mon souvenir, elle se retourne. Je rêverais de revoir ce visage dont j’ai oublié les plus fins détails. Encore aujourd’hui je me souviens pourtant de sa douceur, de sa beauté lunaire et de cette jeunesse qui pouvaient tout obtenir. Mais je donnerais cher pour retrouver par exemple les prémisses de son sourire évanescent, la manière dont il naissait l’air de rien à la commissure de ses lèvres, avant d’envahir cette bouche pleine d’amour. Un  sourire qui illuminait tout et me renvoyait à mes tout premiers instincts, ceux-là même qui m’auraient poussé à me recroqueviller, minuscule nouveau-né, sur sa poitrine, le nez dans son cou, m’imprégnant de la peau, de son goût et de l’odeur de la femme qui m’avait donné la vie. Mais d’elle il ne me reste que l’image de son dos, la pagaille de ses cheveux brun délaissés, le bleu pâle du vêtement qu’elle ne quittait plus, dans cette chambre qu’elle ne quittait plus non plus.

C’est en poussant la porte de cette chambre des poignées d’années plus tard, que je me suis tout de même demandé : que diable pouvait-elle chercher ce jour-là dans cette armoire ? Les lattes du vieux plancher craquaient sous mes pieds. Nous mettions mon frère et moi la maison en vente. Elle était abandonnée depuis que mon père l’avait quittée. Impossible pour lui d’y rester. La nature et la poussière y avaient repris leur droit. Notre père était aujourd’hui mort, nous héritions de la maison de notre enfance. En pénétrant dans la chambre, tout me revint en pleine figure. Malgré les draps jetés ça et là sur les meubles et les toiles d’araignées accrochées aux cadres encore pendus au mur, tout était comme avant. Des extraits de notre bonheur passé, se projetèrent alors violemment contre les parois de mon cerveau.

Ma mère et moi sautant sur le lourd édredon du lit, riant et sautant encore, parmi les plumes d’oie s’envolant de son traversin percé. Un puzzle aux centaines de pièces éparpillées sur la descente de lit, et elle cherchant pour moi les coins tout en tenant Michel sur son sein.  Plus tard, tout trois dansant à travers la pièce, grimés, des plumes sur la tête, rêvant de faire naître la pluie. Elle me disait le regard absent « Je n’aurais jamais dû grandir Jean » et aimait se comporter ainsi avec nous comme une adulte qui serait restée enfant.

Ces souvenirs me donnaient soudain le vertige. Je me reposais un instant, assis au bord de la fenêtre en alcôve, au bord d’une Londres bourdonnante. Mon père nous répétait « Votre mère est malade, laissez-là se reposer ! ». Nous obéissions à l’autorité paternelle et quittions notre mère à reculons. Il fermait la porte à clef, la laissant tambouriner contre le battant avec force et rage, en répétant d’une voix gonflée de sanglots « J’aurais dû écouter Peter ! J’aurais du l’écouter ! »

Ce jour-là, ce jour précis où elle retournait les affaires de son armoire, notre père nous arrachâmes à son habitude à l’antre de notre mère, avant de l’enfermer. Après le souper, il nous coucha et ne retrouva qu’une chambre vide, le voile des rideaux blancs aspirés par la fenêtre béante, par le vide de la nuit et par Londres assoupie. Ma mère avait disparu.

Mes yeux se posèrent alors sur la porte entrouverte de l’armoire. Je me levai et la rejoignis. Fébrilement, je glissai mes mains dans les étagères encore garnies de draps épais. A tâtons, j’explorai à mon tour ces espaces jadis fouillés par les mains de ma mère. C’est alors que je la trouvai. Une boîte à couture en bois, une petite plaque en laiton vissée sur le couvercle. W. Moira Angela Darling. Son nom. Délicatement je soulevai le couvercle. Mais brusquement un petit pissenlit de lumière s’en échappa puis se mit à virevolter frénétiquement dans la chambre, se cognant à chaque meuble fantomatique. Je restai bouche bée devant cette apparition fantastique, quand la surprise et la peur passées, voyant le petite chose s’agiter dans l’alcôve, j’ouvris alors la fenêtre, la laissant s’envoler et disparaître dans l’immensité du ciel.

On ne retrouva jamais ma mère, Wendy.

  • Joli texte, gagnante potentielle du concours ?
    La pôésie chante depuis votre coeur, très beau très sensible et surtout proche de beaucoup d'entre nous pour les ressentis de moments perdus.
    Heureusement que je n'ai pas choisi le même tableau pour mon texte sinon j'étais mort... :-) Ah, et puis bravo pour le pseudo !

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Christophe Paris

    • oh merci ! Gagnante potentielle j'en doute, il y a de la compétition et notamment votre texte ! Je suis touchée de lire que vous avez entrevu dans mon coeur autant de poésie, c'est très gentil...A bientôt !

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

  • Très beau, avec en effet un petit parfum de mystère qui laisse la place au rêve, à l'imaginaire...

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Anne S. Giddey

  • Magnifique!

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Frankie Perussault

  • Un IMMENSE BRAVO!

    A bientôt,

    Elsa

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Prise de vue sans titre 6194

    auteurdevues

    • Merci GRANDE Elsa

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

    • Tu plaisantes!!! Je suis une toute PETITE nouvelle… Bravo belle BLONDE-THINKING-ON-SUNDAYS

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Prise de vue sans titre 6194

      auteurdevues

  • Merci pour ce texte absolument poignant. Je l'ai lu plusieurs fois et la magie opère tout le temps.
    R.

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    Renise Charles

    • Oh merci ça me touche énormément !

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

    • J'espère que vous le prendrez bien : la première phrase du 5e paragraphe mériterait une petite retouche.

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      Renise Charles

  • Wow, magnifique! Il parait que tu as galéré pour trouver l'inspiration! eh beh je peux te dire que la galère valait le coup, et je suis sacrément sérieux! J'ai eu beaucoup d'émotions en lisant ce texte, ça m'a touché un peu à la façon de Voyage au Phare; en tout cas bravo et merci pour la recommandation

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    jasy-santo

    • Oh c'est top que cela vous plaise ! Oui j'ai galéré, cela faisait des semaines que je cherchais une idée de nouvelles. Vallotton ne m'inspirait pas trop ! Merci encore !

      · Il y a plus de 10 ans ·
      1

      blonde-thinking-on-sundays

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