Coin de parc avec enfant jouant au ballon : C’était un jeudi

Lorsque j’étais enfant, j’avais pour habitude de jouer à la « Roseraie », ce grand parc près de la maison où ma grand-mère aimait m’emmener. C’était notre rituel, notre moment à nous. A l’époque, le jeudi était le jour de repos des écoliers.

Pendant que je jouais, elle s'adonnait à son art favori : la peinture. Huile sur toile, peinture à la gouache ou aquarelle, dessin au fusain ou croquis au crayon, elle avait un don naturel pour la représentation. 

Ce jeudi n’était pas un jour comme les autres, c’était mon anniversaire. Elle m’avait offert un magnifique chapeau d’un jaune canari éclatant, ceint d’un ruban bleu foncé qui flottait derrière moi lorsque je courais. J’étais tellement heureuse, tellement reconnaissante et peinais à croire que ce chapeau m’était destinée, qu’il n’appartenait qu’à moi et à moi seule. J’avais l’impression que du haut de mes 12 ans, je pouvais conquérir le monde rien qu’avec ce chapeau. Je n’avais qu’une hâte, c’était d’être dimanche pour pouvoir l’arborer à la messe avec ma petite robe de soie sauvage blanche.

Alors que mon avis lui tenait très à cœur, ma grand-mère n’a pas voulu me montrer ce qu’elle avait peint cette après-midi-là, malgré mon insistance. 

Ce n’est que quelques années plus tard, le jour de mes 18 ans, que je le découvrais enfin. Ce ne fut pas elle mais ma maman qui me l’offrit, car ma grand-mère, contrairement à ses habitudes, manquait à l’appel ce jour-là et elle qui m’apporta un énorme paquet recouvert de papier beige et entouré d’une ficelle de liège fine.

Je le contemplais tandis que maman me dit très doucement « Bon anniversaire ma chérie, c’est de la part de ta grand-mère… »

Il me sembla un instant que sa voix allait se briser, mais cette mauvaise impression se dissipa vite lorsque mon père me regarda avec son plus sincère et réconfortant sourire. Je déchirais en toute hâte le papier cadeau et découvris ce qui m’apparut comme un chef d’œuvre, une toile de maître : une petite fille courant après un ballon rouge, coiffé d’un chapeau jaune. Mon chapeau jaune. C’est alors que j’ai réalisé que cette petite fille, c’était moi.

C’était le plus beau tableau que je n’avais jamais vu.

J’ai voulu courir chez ma grand-mère, qui habitait à quelques rues de chez moi, mais maman m’arrêta. Elle me prit dans ses bras et me murmura : « Ma chérie, crois-moi, ta grand-mère sait combien tu es heureuse et combien tu la remercies. »