Je crois que je vais l'inviter pour le thé, demain
poulpita
Mon voisin est mort. On avait le même âge. 64 ans. C'était dimanche dernier. Et depuis, je ne suis pas allé voir sa veuve.
D'abord, j'étais pas censé savoir ! Je revenais du loto, organisé par les autres vieux du quartier. J'ai croisé l'assistante de vie dans les étages. Une brune, bien bronzée. Elle m'a fait une indiscrétion. J'avais rien demandé. Enfin. J'avais peut-être le regard interrogateur. Elle a craché le morceau. Les pompiers. L'hôpital. La mort. Tout seul. La nuit. Mais j'étais pas censé savoir.
Ma voisine a même pas mis de faire part, dans l'entrée de l'immeuble. Je sais même pas quand a eu lieu l'enterrement. Je peux pas monter la consoler. On est inconsolable dans ces temps-là. J'en sais quelque chose. Imaginez. Faire la soupe plus que pour un. Enfin deux. Pasqu'elle a toujours son fiston à la maison. Il est spécial, lui. Je préfère pas commenter. Non. Vraiment, entre lui et son mari, elle était pas gâtée.
Son mari. C'est bien simple. Après vingt ans à l'entendre traîner ses chaussons du matin au soir au dessus de ma tête, je l'appelais toujours Monsieur. Pas Monsieur Ferrer. Non. Monsieur. Tout court. Il était froid, et hautain. Des grandes lunettes en plastique marron. Haut et vouté. Pied noir. Le teint rouge brique.
C'était du style qui a travaillé toute sa vie dans des bureaux du ministère. Qui a du traverser la méditerranée pour refaire sa vie. Qui pensait mériter sa retraite, plus que n'importe qui. Sa retraite ? Faire des courses avec sa petite voiture. Regarder la télé. Un repas, une fois par mois, avec sa sœur et ses trois caniches. Et basta. Ca rigolait pas souvent, au-dessus.
C'était du style qui commence par vous serrer la main quand vous êtes monté en urgence le relever du carrelage des toilettes, parce qu’il s'est vautré, et ne peut plus se relever. Tout rigide, plein de principes. Et vide dedans. Pas d'étincelle. Rien. Une carcasse. Alors qu'il soit mort, ça fait pas grande différence.
Enfin si. Pour sa femme. Hier soir, en fin de journée, elle était sur le balcon. A côté de l'étendoir à linge. Elle était toute pensive. Elle regardait les arbres de l'avenue. Je l'avais jamais vu faire ça avant.
On s'est dit bonsoir. Elle a presque souri. Je crois que je vais l'inviter pour le thé, demain.
[texte également posté sous http://poulpitablog.wordpress.com/]
j aime beaucoup la progression de votre histoire, de la dureté de cet homme à la douceur de sa femme, il y a de la poésie dans cet étendoir à linge...
· Il y a presque 11 ans ·marjo-laine
Merci d'avoir pris le temps de lire.
· Il y a presque 11 ans ·poulpita
alors ? elle a parlé un peu ? .....
· Il y a plus de 11 ans ·nan-p
ca fonctionne très bien et l'histoire et le style
· Il y a plus de 11 ans ·c'est très plaisant à lire
reverrance
C'est touchant parce que direct !
· Il y a plus de 11 ans ·cerise-david
je pense au demi sourire de la voisine sur son balcon où apparemment elle ne se penchait pas beaucoup que la libération est proche pour elle! Et vous allez l'aider à se trouver à ne plus être sous l'emprise de la routine et d'un mari inintéressant!!! Papotez bien toutes les deux autour d'une tasse de thé et de beaucoup d'autres ensuite...
· Il y a plus de 11 ans ·yoda
Merci pour vos commentaires.
· Il y a plus de 11 ans ·Je vous laisse le soin d'imaginer la scène du thé...
Ou de l'écrire et la poster sur notre plateforme préférée ?
poulpita
I'm agree, a lovely wording that gives this anonymous story a real mood.
· Il y a plus de 11 ans ·bonne continuation à vous.
smilling-cocoon
Oui, le style fait la différence ici
· Il y a plus de 11 ans ·psycose
Justement, c'est le style qui fait tout ici. Pas de fioritures. Je me demande ce qu'elles se raconteront autour du thé. Tout en économie, sûrement.
· Il y a plus de 11 ans ·Mathieu Jaegert
Touchant, même si c'est ..direct!
· Il y a plus de 11 ans ·Choupette