Je dirai "mademoiselle" si je veux

Ils commencent à me cavaler sur l’accastillage, les politiquement corrects. A doucement me faire chier, si vous me permettez cette expression triviale, et si vous ne me la permettez pas, il faudra faire avec, j’en ai marre de peser mes mots. C’est pas possible, ils ont des fuites au percolateur, ils bouillonnent à côté de leurs pompes, le n’importe quoi toujours en embuscade dans un recoin de leurs cervelles interlopes. Dernier vanne en date : « mademoiselle », jugé discriminatoire, est à partir de dorénavant et jusqu’à désormais banni de notre vocabulaire. Notez, pour une fois, il valait mieux supprimer le mot purement et simplement plutôt que de le remplacer par « mal femmée », par exemple. On a suffisamment de non voyants et autres techniciens de surface comme ça. Enfin. Ainsi que me le faisait remarquer récemment une employée de maison polyvalente, qui avait commencé sa carrière comme bonne à tout faire, c’est dire son irrésistible ascension sociale : « quand la stalactite de l’ineptie pend au dessus de la tête de Monsieur, frêlement accrochée à un plafond vermoulu de connerie, il suffit du souffle d’un léger alizé d’aberration pour la faire choir sur Monsieur. » En l’occurrence, alizés de noroît, force dix Beaufort.

Ils doivent avoir un truc qui vasouille dans le compteur à gaz, les politiques. L’indice de surchauffe bloqué dans le rouge. Pensez-vous réellement, chers édiles formatés selon un processus énarquien dont le danger pour la santé mentale s’avère chaque jour, que par un tout de magie dont le vocabulaire aurait le secret, effacer le mot effacerait la chose ? Que dire « la linotte picore les traces de la jument » va empêcher les piafs de bouffer de la merde ? Ce n’est pas en faisant des nœuds dans les serpentins qu’on tresse des guirlandes.

Non, « mademoiselle » n’est pas discriminatoire, et le supprimer, c’est appauvrir la langue. On peut en revanche déplorer que son équivalent masculin n’existe plus, ce qui nous fait affubler d’un grotesque « monsieur » des gamins dont les poils n’ont pas encore poussé où je pense. Que ne rétablit-on pas « demoiseau », ou un équivalent quelconque, au lieu de passer « demoiselle » à la trappe ? Ridicule ? Penchons-nous un instant sur l’édifiant opuscule, paru en 1999, qu’est le « Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, grades et fonctions », qui a plus fait pour la dénomination de la femme-objet que des siècles de machisme. Pour les trapézistes, tout va bien, rien ne change. Les amirales, les sauveteuses et les cheminotes ne s’en tirent pas trop mal. Ecrivaine, ce n’est pas très joli, mais enfin ça passe. Là où ça se gâte, c’est pour les pèlerines, les tronçonneuses, les bétonnières ou les débroussailleuses. Le comble étant atteint par le féminin proposé (sans rire) pour entraîneur, qui pourrait prêter à confusion. Le tout étant préfacé par Lionel Jospin, ce qui justifierait à soi tout seul sa mise à la retraite. Alors qu’on ne me fasse pas croire que ces gens-là ont peur du ridicule. En revanche, ils ne reculent devant aucune paresse intellectuelle, ni devant aucune bassesse électorale. Déclarer vouloir enlever le mot « race » de la Constitution devant un auditoire d’outre-mer, ce n’est pas faire preuve de générosité égalitaire : c’est racler le fond des urnes au filet à mailles serrées.

« Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant », disait Victor Hugo. Et vivace. « Noble gueuse », la langue française n’admet pas qu’on la tripatouille sans lui demander son avis. Comme les comédiennes et les divas, elle poussera la coquetterie jusqu’à se faire appeler « mademoiselle » malgré son âge avancée.

Quoiqu’en dise sa vieille ennemie, l’acariâtre langue de bois.